L’hélicoptère décrit brusquement une courbe serrée et l’horizon s’incline à 80°. Entre mon coeur qui s’affole à l’approche de l’inselberg et mes organes centrifugés qui se rassemblent résolument dans le flanc gauche, difficile de rester concentré, l’oeil rivé à l’appareil photo pour tenter d’immortaliser l’arrivée à la borne 4.
Une grosse averse s’achève alors que le B3 – l’hélicoptère qui transporte l’essentiel des vivres et du matériel – atterrit en douceur sur la roche. Les pâles plaquent la végétation au sol tandis que les cinq autres membres de l’expédition, largués 20 minutes plus tôt par un “Dauphin”, maintiennent fermement la bâche bleue affolée qui protège leur matériel. Après plus de 90 minutes de vol, la turbine se tait enfin, les pâles ralentissent et le vacarme assourdissant du moteur fait place aux bruits familiers de la forêt. Nous voilà enfin dans le “Grand Sud” de la Guyane. Un pas de plus et c’est le Brésil. En une enjambée, nous passons du Parc amazonien de Guyane au Parque Nacional Montanhas do Tumucumaque dans l’état d’Amapà. Une frontière mythique que seuls quelques militaires et deux botanistes ont eu le privilège de fouler brièvement avant nous. Même le pilote de l’hélicoptère est impressionné : il n’a pas souvent l’occasion de pousser sa machine si profondément vers le sud.
Cette frontière minimaliste, matérialisée par sept bornes – sept obélisques blancs espacés de 20 à 40 kilomètres les uns des autres – sépare certes la Guyane du Brésil, mais définit surtout le devenir des eaux de pluies… Au nord des bornes, les fleuves guyanais s’écoulent directement vers l’Atlantique ; au sud, les rivières alimentent l’Amazone et son gigantesque bassin versant. Du point de vue de la flore et de la faune terrestre, cette frontière est virtuelle : les mêmes espèces se retrouvent indifféremment de part et d’autre de la ligne de partage des eaux. Mais du point de vue des poissons, c’est un mur infranchissable : d’un côté des espèces amazoniennes, de l’autre des espèces guyanaises…
Pour les biogéographes – les biologistes qui s’intéressent aux grands patrons de répartition des flores et des faunes – cette ligne de partage des eaux a peu d’influence : Guyane, Amapà, Parà, Suriname et Guyana appartiennent à une même entité : le plateau des Guyanes. Mais pour notre petite équipe, cette quatrième borne frontière est l’un des points les plus isolés du plateau des Guyanes, un voyage vers le centre du monde plein de promesses…


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