En France métropolitaine, nombreux sont les amateurs de champignons qui, une fois l’automne installé, s’en vont parcourir les sentiers forestiers à la recherche de cèpes, morilles et autres pleurotes – pour les cuisiner, les observer, les étudier. Qu’en est-il en Guyane, y a-t-il des passionnés de champignons ? Nous avons débusqué trois scientifiques pour vous et leur avons donné la parole.

Il paraît que l’on connaîtrait seulement 5 % 1 de la diversité des champignons. L’étendue des connaissances qui restent à acquérir sur ce sujet est donc vaste. Nous avons cherché à en savoir plus auprès de Mélanie Roy, chercheuse au laboratoire Évolution et diversité biologique (EDB) à Toulouse. Il reste visiblement énormément de choses à apprendre sur les champignons de Guyane, confirmez-vous ?
Mélanie Roy : Tout à fait. Dans l’hexagone, on estime entre 16 000 et 30 000 le nombre d’espèces de champignons, et les estimations soulignent une plus grande diversité en région néotropicale. Par ailleurs, des comparaisons sur les champignons endophytes  mettent en lumière une richesse spécifique plus importante sous les tropiques. Nous avons encore beaucoup à découvrir sur la diversité et le rôle des champignons en Guyane française, et plus largement en Amazonie.

Dans le cadre du projet FUNGUY, vous avez effectué plusieurs missions de terrain en Guyane afin de réaliser un inventaire des champignons associés aux arbres, qu’en retirez-vous ?
M. R . : Lors de la mission en 2012, notre équipe de 11 personnes a parcouru pendant 2 semaines les sites des Nouragues et de Paracou. Les premiers résultats témoignent de l’étendue de notre méconnaissance : sur les 991 champignons observés, 504 ont pu être identifiés comme appartenant à des espèces connues. La moitié des spécimens est donc constituée d’échantillons pour lesquels les données moléculaires permettront de dire s’il s’agit d’espèces déjà décrites par ailleurs, ou découvertes lors de cette mission.

Comment est composée votre équipe ?
M. R . : J’ai monté le projet FUNGUY avec Heidy Schimann, chercheuse au laboratoire Écologie des forêts de Guyane (Ecofog), situé à Kourou. Elle s’intéresse aux fonctions des champignons du sol et à leur rôle dans le fonctionnement des écosystèmes tropicaux. De plus, nous nous sommes entourés d’experts mycologues professionnels et amateurs. Dans le groupe, il y a notamment Régis Courtecuisse de l’université de Lille, sa renommée est internationale en mycologie. On compte également 2 amateurs de haut niveau, ainsi qu’Audrey Sagne, qui a débuté une thèse en 2012.

Comment en êtes-vous venue à travailler sur les champignons de Guyane ?
M. R. : La passion des champignons m’est venue tardivement. Dans le cadre de mes recherches, j’étudiais surtout les plantes. Puis, je me suis intéressée aux symbioses3 qui existent entre les champignons et les plantes. Petit à petit, je me suis rapprochée du solet des symbioses racinaires. Maintenant, j’essaye de travailler à la fois sur l’écologie des champignons et sur leur évolution, en collaboration avec des taxonomistes.

Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement chez les champignons ?
M. R. : Leur diversité, au niveau des formes et des odeurs qu’ils dégagent. Certaines espèces ont des odeurs caractéristiques de crustacés, d’autres de fleur d’oranger ou d’alcool de poire. J’aime aussi leurs couleurs, souvent aquarellées. Il m’arrive d’ailleurs de dessiner et de peindre certaines espèces que je croise.

De son côté, Jean-Louis Cheype vient régulièrement des Alpes jusqu’en Guyane. Pendant quelques mois, il prospecte le sol de la forêt à la recherche de champignons. Que vient-il faire exactement ? Tout d’abord, d’où vous vient cette passion pour les champignons ?
Jean-Louis Cheype : J’étudie la mycologie depuis une trentaine d’années et, comme pour beaucoup de mycologues, cette passion a commencé par la recherche de champignons comestibles non classiques. Puis, j’ai eu connaissance de l’existence de la Société mycologique de la région du Mont-Blanc et j’en suis devenu président quelques années après.

Qu’est-ce qui vous a mené jusqu’en Guyane ?
J.-L. C. : J’avais envie d’en apprendre davantage sur les champignons et l’hexagone me semblait un peu étroit. J’ai commencé à mener des recherches en Guyane en 2005. J’ai surtout prospecté des secteurs facilement accessibles dans l’est et à Saül. J’ai également parcouru le secteur de Cayenne (mont Bourda, fort Diamant, sentier Vidal), ainsi que le mont Grand Matoury.

Cet intérêt pour les champignons va-t-il de pair avec un goût prononcé pour le travail de terrain ?
J.-L. C. : Effectivement, car je suis avant tout passionné par la photographie sur le terrain. D’ailleurs, j’ai créé un site web4 en 2004 afin de partager les images capturées ces dernières années. Une partie5 de ce site est d’ailleurs dédiée à la Guyane et je compte bientôt l’étoffer de mes nombreuses découvertes.

Que recherchez-vous exactement ?
J.-L. C. : Je m’intéresse à toutes les espèces de champignons. Je prends du temps pour photographier les espèces que je trouve en parfaite condition et j’essaie de les identifier systématiquement. La littérature mycologique sur la Guyane étant très restreinte, cela m’amène parfois à découvrir de nouvelles espèces. J’ai d’ailleurs rédigé deux articles avec Egon Horak dans le bulletin de la Société mycologique de France6, dans lequel nous avons décrit plusieurs entolomes nouveaux pour la science. D’autres articles sont à venir…

Quels sont les principaux usages des champignons en Guyane française ?
J.-L. C. : Tout d’abord, on trouve quelques espèces de champignons comestibles en Guyane. C’est le cas des pleurotes (Pleurotus djamor, par exemple) et des Auricularia, qui sont consommés notamment par les Arawak. Toutefois, du fait de la méconnaissance de ces champignons, leur consommation est pour ainsi dire confidentielle. Il faut d’ailleurs signaler la présence d’un champignon dangereux, Chlorophyllum molybdites, qui vient souvent dans les jardins et qui ressemble aux Lépiotes élevées de métropole. Les chamans utilisent également des champignons. Ils consomment des espèces hallucinogènes pour atteindre la transe, cet usage est bien connu en Amazonie.
Dernier portrait de cette série, Audrey Sagne est une jeune Guyanaise qui a fait ses études en biologie moléculaire et en bioinformatique, et qui s’est récemment prise de passion pour les champignons. Elle réalise aujourd’hui une thèse sur ce sujet, au sein du laboratoire EDB de Toulouse et en partenariat avec le laboratoire Ecofog de Kourou.

Comment vous est venu cet intérêt pour les champignons ?
Audrey Sagne : À la fin de mes études, en octobre 2012, on m’a proposé un sujet de thèse sur les champignons de Guyane et j’ai saisi cette opportunité. Assez rapidement, j’ai effectué des missions de terrain en Guyane avec Mélanie Roy. Son dynamisme et sa passion pour les champignons sont très communicatifs. Depuis, je suis devenue très curieuse. En ce moment, je travaille au laboratoire Ecofog à Kourou et je fais souvent des tours sur le campus pour identifier les champignons. Cela me permet de garder le contact avec le travail in situ et de tester mes connaissances.

Quel a été votre ressenti lors de vos premières missions de terrain ?
A. S : Ces missions sont l’occasion de s’évader, de développer sa curiosité et de profiter de l’immense expertise des mycologues. Pendant les missions, j’étudiais le groupe des champignons ascomycètes, il s’agissait de regarder avec une loupe chacune des espèces rencontrées, feuille par feuille. Notre progression était assez lente, cela impliquait d’être minutieux et patient.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre sujet de thèse ?
A. S : Je vais étudier la distribution spatiale des communautés fongiques de l’écosystème forestier de Guyane. Ce sujet est pour l’instant assez peu exploré. Dans les forêts guyanaises, plusieurs études ont déjà permis une caractérisation importante de la diversité des communautés d’arbres en termes de taxonomie, de phylogénie, de diversité fonctionnelle et de structure des communautés. Cet état de connaissances est encore loin d’être acquis en ce qui concerne les communautés fongiques.
En quoi les champignons de Guyane constituent-ils un sujet d’étude important pour la compréhension des écosystèmes tropicaux ?

A. S : Les champignons sont des acteurs majeurs dans de nombreux processus écosystémiques, en particulier dans le recyclage des éléments nutritifs, la dégradation de la matière organique. Ils jouent également un rôle dans la défense des organes des plantes hôtes : parfois, en l’absence de certaines espèces de champignons endophytes sur la plante, on observe une nécrose des feuilles et une augmentation de la mortalité des plantules.
Pour mieux comprendre les distributions spatiales de ces communautés fongiques, il faudra tout d’abord caractériser leur diversité ; or, la diversité de ces organismes reste encore très mal évaluée en milieu tropical. L’identification taxonomique est possible sur les champignons macroscopiques via leurs fructifications mais les communautés de fonges microscopiques sont quasiment inexplorées.

Comment allez-vous vous y prendre pour contourner cette difficulté ?
A. S : L’expertise taxonomique en mycologie devient rare et les caractères morphologiques sont souvent difficiles à reconnaître pour les champignons. Face à cela, les technologies de séquençage à haut-débit (Next Generation Sequencing) offrent une opportunité unique pour progresser de manière significative dans la réalisation des inventaires de la biodiversité.

Entretiens réalisés par Claire Lafleur , CEBA ( Centre d’étude de la biodiversité amazonienne )
Photos de Gwenaël Quenette et Jean-Louis Cheype

 

Connaissez-vous la chanterelle de Guyane ?

Cantharellus guyanensis

 

La chanterelle de Guyane, Cantharellus guyanensis, a été décrite par Montagne et Leprieur au XIXe siècle, et retrouvée récemment en plusieurs endroits (Nouragues, mont du Mahury, montagne de Kaw, Saül). D’autres échantillons ressemblants ont été décrits en Colombie, au Brésil, au Guyana et au Suriname. Avec des collègues chercheurs, nous avons pu démontrer grâce aux données moléculaires qu’il s’agit bien de la même espèce.
Ce champignon semble assez répandu et est apparemment consommé en Guyane. Toutefois, le mystère persiste sur son écologie. C’est semble-t-il le cas d’un certain nombre d’espèces de champignons en Guyane.
En Europe, les chanterelles vivent en symbiose avec des arbres, qui leur fournissent des sucres issus de la photosynthèse, en échange d’eau et de sels minéraux. Ce mode de vie symbiotique (ectomycorhizien) est très répandu en milieu tempéré. En Guyane, et ailleurs en Amazonie, on ne sait toujours pas à quels arbres peuvent être associées les chanterelles. Ce mode de vie est d’ailleurs réputé rare en Guyane.
D’autres espèces rares de champignons ectomycorhiziens ont été observées, comme des bolets ou des russules. Ceux-ci apportent un nouvel éclairage sur l’écologie des champignons et des plantes en Guyane. Leur rareté en fait un modèle d’étude difficile. Pourtant, de tels champignons peuvent jouer un rôle essentiel dans la stabilité des forêts.
Si vous connaissez la chanterelle de Guyane, ou d’autres champignons comme des bolets, des lactaires ou des russules, nous vous invitons à les signaler (jean-louis.cheype@orange.fr, melanie.roy@univ-tlse3.fr, ou heidy.schmann@ecofog.fr, ou) ou à nous envoyer vos plus belles photos !
C’est en connaissant l’écologie et la distribution de tels champignons que nous pourrons un peu mieux comprendre les relations qu’ils tissent avec les arbres. Peut-être découvrirez-vous de nouvelles espèces ?

Par Mélanie Roy et Heidy Schimann