Je m’appelle Igor. J’ai presque trente ans, je suis un homme à tout faire. Ma grande carrure m’aide à travailler. Certains disent que je suis stupide, un simple d’esprit, et peut-être que je le suis… Mais je ne l’ai pas toujours été, ça non !
Il y a quatre ans je travaillais au chantier naval du port du Larivot. C’est là que j’ai rencontré Luc. Luc était mon meilleur ami. C’était un jeune homme mince et élancé, sa peau était brun foncé et ses cheveux étaient d’un noir que je n’avais jamais vu auparavant. Il avait le visage jeune, le corps musclé et travaillait dur malgré les lourdes charges qu’il transportait. Les femmes : il aimait beaucoup les femmes ; mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était les bateaux.
Luc et moi travaillions au Larivot depuis plus de trois mois sur la rénovation d’un navire : c’était un lieu ouvert au bord du fleuve et l’odeur du bois humide des ponts ne quittait jamais cet endroit. Notre chantier était centré sur un très beau et très ancien navire. Nous avons su plus tard que ce bateau avait acheminé des esclaves en fuite, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Nous avons passé près de six mois à lui rendre son prestige d’autrefois.
Une fois la tâche achevée, nous reçûmes la visite du grand-père de Luc. Celui-ci n’avait eu aucune nouvelle de cet homme depuis la mort de ses parents et voilà qu’il était là. Il disait être là pour offrir un présent à son petit-fils, qui saurait en être digne. On n’avait pas bien compris ce qu’il voulait dire : le navire que nous avions restauré pendant des mois allait devenir le sien. Luc était désormais propriétaire et décida de réaliser notre rêve : nous démissionnâmes tous deux et partîmes en mer, en quête d’aventure.
Cela faisait trois semaines que nous étions en mer, nous nous étions beaucoup éloignés de la côte : nous ne voyions plus que l’océan de tous côtés. L’odeur de la mer salée et le soleil avaient légèrement altéré nos sens. Luc et moi avions pris pour habitude de discuter sur le pont avant de dormir.
Un soir, nous l’avons vu : elle avait des cheveux noirs comme l’ébène et une silhouette féminine. Elle portait une sorte de jupe rouge et se tenait debout sur le pont, contemplant la lune. La lumière blanche de l’astre sur son visage lui donnait une apparence mystique. Nous étions un peu ivres mais assez lucides pour aller à sa rencontre, non sans étonnement. Nous nous approchâmes doucement sans qu’elle ne nous vît, quand elle nous dit : « Nous nous rencontrons enfin ». à ces mots – je m’en souviens, ils résonnent encore dans ma tête – il y eut comme un écho dans la voix de cette femme. Elle se retourna. Son visage était d’une beauté sans égal. Nous nous approchâmes encore si près que nous aurions pu la toucher. Luc tendit la main afin de la saisir et elle lui tendit la main à son tour, puis descendit de la marche où elle se trouvait. Elle nous conseilla d’aller dormir et nous dit qu’elle nous expliquerait tout le lendemain. Cette nuit là fut la plus longue de toutes les nuits.
Le lendemain, en nous réveillant, Luc et moi discutâmes et il m’avoua que durant la nuit, pour la première fois depuis aussi longtemps qu’il se souvenait, il avait vu le visage de sa mère dans une confusion totale. Il ne parvenait pas à établir une limite entre son rêve et la réalité. Mon ami me raconta ce rêve dans lequel sa mère le réveillait durant la nuit pour faire une balade sur le bateau. Elle lui aurait expliqué qu’elle l’aimait et qu’elle n’avait jamais voulu l’abandonner mais qu’on ne lui avait pas laissé le choix. Elle l’avait aussi mis en garde contre la femme du bateau qui était une âme très ancienne qui errerait encore sur cette terre tant que Luc serait en vie. Puis Luc ajouta : « Elle m’a aussi donné cela. », en me tendant un bracelet en perles bleues, noires et rouges. Je vous jure que jamais je n’avais jamais vu ce bijou à son bras auparavant. Nous allâmes déjeuner et nous vîmes apparaître à nouveau la femme étrange, nommée Aïssatou. Cette dernière, prise de stupeur en voyant le bracelet de Luc, entra dans une sorte de transe et commença à parler dans une langue incompréhensible. Elle se mit à courir en entraînant mon ami avec elle. Elle attrapa un sabre accroché à l’entrée de la cabine, puis enlaça Luc en criant. Sur ces mots elle enfonça le sabre dans le dos de Luc. Tout alla très vite. L’arme tranchante les traversa tous deux sous mes yeux. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé avant que l’on nous retrouve, moi inconscient et Luc mort… mais aucune trace d’Aïssatou. Je sus plus tard que l’on avait retrouvé le squelette décharné du grand-père de Luc. Les analyses auraient révélé qu’il était mort depuis deux ans.
Je m’appelle Igor Jorin et je crois que j’ai perdu la raison .

Nouvelle de Miatti Talitha

Illustration Cécile Arnicot