Les ateliers Des images pour se dire sont la déclinaison pédagogique du projet artistique et documentaire D’une rive à l’autre de Miquel Dewever-Plana. Portés par l’association La Tête dans les Images et les écoles de Camopi et Tahluwen, en partenariat avec la Direction des affaires culturelles, le rectorat de Guyane, la fondation Total et le Parc amazonien de Guyane, ils ont permis aux écoliers de CM1 et CM2 d’exprimer par l’art et l’image leur réflexion sur l’identité, le territoire, et leurs représentations des relations entre le monde amérindien et le monde occidental. Le 10 juin 2016, c’était le premier projet guyanais à être lauréat du 2e prix de l’audace artistique et culturelle remis par la fondation culture & diversité à l’Élysée, en présence du président de la République et des ministres de l’Éducation nationale, des Outre-mer et de la Culture.
Comme l’explique le photographe Miquel Dewever-Plana, « Aujourd’hui les Amérindiens sont à un moment charnière de leur histoire et doivent donc entreprendre une traversée culturelle et sociétale pour atteindre l’autre rive et ainsi intégrer cet autre monde, sans doute plus imposé que choisi. Qu’emporteront-ils avec eux ? Que garderont-ils de leur identité, de leur culture, de leur mémoire collective ? Est-ce possible d’être à la fois amérindien ET français ? Le but n’est pas d’opposer un monde à un autre, de dire que le monde d’hier était mieux que celui d’aujourd’hui, d’exalter le monde amérindien et décrier le monde occidental (ou inversement)… mais plutôt de faire naître une réflexion sur ces changements et bouleversements que l’Humanité a toujours vécu. Les cultures, les langues, les identités et les sociétés, si petites soient elles ont toujours évolué et se sont toujours construites avec ou contre “ l’autre ”». Ce sont ces questions existentielles développées par l’auteur qui ont été posées aux élèves de Camopi et Tahluwen. À travers une approche ludique et le langage des arts plastiques, qui dépasse la barrière de la langue, les enfants ont pu exprimer leur ressenti personnel par le biais de la création et de leur imagination.

 

Pourquoi les Indiens manifestent ?
Parce qu’ils ne veulent plus d’eau sale dans le fleuve ;
Parce que les Brésiliens veulent nous prendre tout l’or
pour s’en faire des colliers ;
Parce qu’après on mange des poissons pleins de mercure
qui nous donnent des maladies.
Schmeichel Sakeu, 11 ans, Wayãpi, Camopi

J’aimerais beaucoup aller en France,
car j’aimerais découvrir la ville de Paris et la tour Eiffel. J’aimerai aussi me balader en bateau sur la Seine
parce que ça doit être beau et ça doit être
comme lorsque je suis dans ma pirogue sur la rivière.
Apolline Monpera, 10 ans, Teko, Camopi
Le photographe, assisté de la plasticienne Ti’iwan Couchili ont ainsi encadré quatre ateliers de 20 heures dans les deux écoles concernées, réparties sur deux années scolaires. « Les enfants tiraient au sort, par groupe de deux ou trois, un thème parmi des propositions qui évoquent “ leur monde ” et “ l’autre monde” (les animaux de la forêt, l’orpaillage, Paris, l’abattis, etc.). Pendant toute la durée de l’atelier, ils réfléchissaient à ces thèmes par différents moyens. Ils peignaient ensuite des tableaux à partir d’illustrations qui représentaient pour eux les deux univers, à l’aide de plumes et de pigments naturels. Ils se photographiaient ensuite devant leurs peintures afin de se représenter dans tous les espaces dépeints. »
Leur réflexion sur leur identité et leurs appartenances multiples a ensuite été approfondie par un atelier d’écriture durant lequel les élèves ont pu expliquer, légender leurs créations. Les Intervenants en langues maternelles (ILM) ont accompagné, traduit et interprété les échanges entre les deux intervenants et les élèves qui s’exprimaient plus facilement en teko, wayãpi ou wayana.
Les travaux des élèves ont été exposés dans les deux écoles à l’issue des ateliers ainsi que dans leurs communes pour être présentés à tout le village. Une partie des œuvres a été présentée à Cayenne, au Rectorat, puis, virtuellement, lors de la remise du prix de l’audace, à l’Élysée, à laquelle se sont rendus quatre élèves de chacune des deux classes lauréates.

« Le voyage en avion était fabuleux. […] Riddick a dormi sur mon épaule et une dame de l’avion a apporté le petit-déjeuner. Nous avons goûté pleins de choses et j’ai préféré les pizzas mais pas les sandwichs, il y a trop de salade et de tomates dedans.
A l’Arc de triomphe, c’était difficile de monter toutes les marches. En haut de la tour Eiffel, la vue était magnifique et les gens étaient tout petits vus d’en haut. On est allé dans un magasin de jouets et il y en avait plein. Moi, j’ai acheté une tête de poupée à coiffer.
Au jardin du Luxembourg, on a mangé des cerises, des fraises, des mûres et des framboises. C’était délicieux ! Le métro c’était génial et l’escalator aussi. Dans le parc de la Villette, il y avait un énorme toboggan dragon. On a couru partout et on ne voulait pas retourner à l’hôtel.
à l’Élysée, j’ai trouvé les jardins vraiment très beaux mais on n’avait pas le droit de courir sur l’herbe. Pourtant on avait bien envie.
Au théâtre, j’ai sursauté quand quelqu’un a tiré mais j’ai surtout beaucoup ri. J’ai aussi aimé les contes du musée du quai Branly, je ne voulais plus partir. »
Témoignage de Blandine Tounké, 10 ans, Tahluwen
Le programme de leur voyage à Paris a été conçu de sorte à répondre aux rêves exprimés par certains dans les témoignages accompagnant les ateliers, et, suivant le principe de connaissance/reconnaissance animant l’ensemble du projet, de leur montrer que leurs cultures étaient représentées au cœur des plus prestigieuses institutions patrimoniales parisiennes. C’était l’occasion rêvée de passer d’une rive à l’autre, de se découvrir à Paris et de visiter ses lieux emblématiques : la tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, le musée du Louvre, de la porte Dorée, de l’Homme, du quai Branly, d’Histoire naturelle et des sciences et technique. C’était aussi l’opportunité de rencontrer les parlementaires guyanais, la sénatrice en charge du rapport sur le suicide, le président de la République et les ministères en leur rappelant l’urgence pour le gouvernement de prendre des mesures radicales pour sauvegarder leurs cultures, leurs lieux et modes de vie. Les enfants de Tahluwen ont ainsi remis à François Hollande une lettre des parents d’élèves réclamant l’ouverture d’un collège bilingue dans leur village annonce entendue et actée publiquement par la ministre de l’Éducation nationale il y a quelques semaines.

Texte David Redon avec l’association La Tête dans les Images
Photos Miquel Dewever-Plana