Il y a ceux qui, ce week-end, ont assisté aux Premières rencontres autochtones à Cayenne. Puis il y a les autres. Ceux qui ont pris la route de l’ouest, direction Awala-Yalimapo, pour se rendre aux 7e Jeux Kali’na. Au programme : course de pirogue, grimper de cocotier, ou encore tir à la corde… Bref, de la souffrance, des cris de guerre, des grimaces en plein effort et aussi quelques bonnes tranches de rigolade. Mais si certains ne sont venus que pour « participer » et s’enfiler quelques gorgées de cachiri, d’autres n’avaient qu’une seule chose en tête : la victoire.

Pour faire honneur à l’art et à la culture amérindienne ce week-end, il fallait se lever tôt, se coucher tard, ou mieux encore, posséder le don d’ubiquité. Alors qu’à Cayenne se tenaient les premières Rencontres des peuples autochtones, la commune d’Awala-Yalimapo, elle, organisait la 7e édition des Jeux Kali’na. Une bien belle et double occasion de faire couler à flots le cachiri. Mais il fallait donc choisir. Et c’est ce qu’ont fait près de 250 sportifs, plus ou moins expérimentés et plus ou moins amérindiens, en prenant la route de l’ouest. « On a réuni 25 équipes , dont certaines sont venues de Cayenne, Rémire, Macouria et Kourou », se félicite Franck Appolinaire, chargé des affaires culturelles à la mairie d’Awala-Yalimapo, et accessoirement, préposé au poste de speaker-commentateur-chauffeur d’ambiance. « Les Jeux Kali’na sont devenus un grand rendez-vous populaire », explique-t-il d’entrée. Toutes ces disciplines permettent de mettre en avant notre culture, tout en rassemblant le plus de populations différentes ». Le cadre est posé.

« On est venu pour tout donner »

L’équipe d’Ayawande vient de remporter l’épreuve de grimpette sur cocotier. Mais les Jeux sont encore longs, avec neuf disciplines au programme. La plupart des  concurrents ont déjà la tête tournée vers le lancer de harpon qui s’apprête à débuter. Certains semblent gonflés à bloc et discutent tactique. D’autres préfèrent évacuer la pression. Comme l’équipe Yépé, tout droit venue d’Antecume Pata. « On ne s’est pas beaucoup entraîné. L’important, c’est de participer », balaie sereinement Ataïnalu Kutaku,  enveloppée dans un joli tee-shirt aux couleurs de son équipe. « C’est André Cognat  (ndlr : le chef et fondateur du village) qui a fait les tee-shirts », précise-t-elle. Quant aux billets d’avion, « c’est la commune de Maripa-Soula qui les a payés ». Voilà pour les modalités. Les Jaguars de Mayande, eux, viennent de moins loin, mais affichent d’autres ambitions. Classée deuxième l’an dernier, l’équipe mananaise ne compte pas faire le voyage en classe touriste. « On est là pour gagner », confirme Sylvio, le capitaine de la bande. « Et on est venu pour tout donner » renchérit Dorothy.

Tournée de cachiri

Samedi midi : le soleil tape dur sur la plage de Yalimapo. A l’ombre d’un stand qui propose un bon kachilipo des familles, René Monerville refait le match des épreuves qui ont eu lieu le matin. Le maire de Camopi (qui a eu le temps de faire l’ouverture des Rencontres autochtones la veille au soir au Cayenne), est fier de représenter sa commune. A sa table, c’est tournée de cachiri. «Très bien pour prendre des forces », argumente l’élu, en bon directeur sportif. Car des forces, les concurrents vont encore en avoir besoin. Dans quelques instants va démarrer la redoutée épreuve de remontée de pirogue. La compétition est clairement ouverte, on se chambre gentiment, mais l’ambiance reste bon enfant. Selon les équipes, les stratégies ne sont évidemment pas les mêmes. Là, tout est question de force, mais aussi de savoir-faire. Il faut lever, mais il faut aussi pousser. Le tout est de trouver le bon équilibre. Le niveau est donc très, très hétérogène. Tant mieux pour le spectacle. Tant mieux aussi pour les équipes les plus en difficulté qui recueilleront le plein d’encouragements auprès du public, « de plus en plus nombreux chaque année », assurent les organisateurs.

Fin de la première journée. Les plus éreintés sont déjà partis s’écrouler dans leur hamac. D’autres soignent leurs crampes au rhum gingembre. « Le week-end va être long », prédit un spectateur accroché au comptoir. Heureusement pour lui, sur la grande scène de la place du village, l’ambiance vient de monter d’un cran. C’est l’heure des chants et des danses traditionnelles. Le public joue le jeu. Malgré les efforts dépensés dans la journée, les concurrents s’y mettent aussi. Petit décrassage artistique avant d’aller dormir.

La stratégie du slip

Dimanche : réveil au petit matin. Les mines ne sont pas toutes très fraîches, mais on sent déjà une envie débordante chez certaines équipes. Le responsable de la sono a laissé de côté l’album de Wayana Boy (passé en boucle la veille), et envoie du Black Eyed Peas à fond les ballons. Le moment idéal choisi par un groupe de belles blondes pour lancer une petite chorégraphie de fitness matinal, version flash mob. Un peu plus loin, un concurrenta fait tomber le short pour exhiber un « Curaçao » écrit à la main sur son slip. Toutes les tentatives d’intimidation sont permises. Le concours de tir à la corde peut commencer. Les bras se tendent, les visages se crispent, et certaines équipes terminent vite la tête dans la sable. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire, la tactique rentre aussi en jeu. « Il faut s’adapter. Chaque équipe a une stratégie différente, détaille Julie de Matiteam. Il y a ceux qui tirent tout le temps, et d’autres qui contrôlent en attendent le moindre relâchement pour forcer ». « On manquait aussi un peu de masse », précise Benoît, qui tient à rappeler fièrement que son équipe a terminé 5e au grimper de cocotier. Mais bon, comme ils disent en chœur : « On est surtout là pour le plaisir et la découverte ». Ce qui n’est pas vraiment le cas de l’équipe brésilienne, bien partie pour jouer les premiers rôles. Après avoir déjà flambé la veille au lancer de harpon, la voilà encore en bonne position pour remporter la course de pirogue. Le clou du spectacle.

« Ils sont partis vers Tahiti !»

Là encore, les différences de niveau sont flagrantes. Certaines embarcations ont du mal à garder le cap, comme celle de l’équipe Pacifika, qui semble bien mal embarquée. « Ils sont partis vers Tahiti », rigole un spectateur. On espère quand même qu’ils reviendront puisque les pirogues ont été spécialement fabriquées pour l’événement. Comme l’indique Jean-Paul Ferreira, le maire d’Awala-Yalimapo, « ce sont les jeunes de la mission locale qui ont travaillé dur pendant six mois pour les réaliser », en compagnie d’un ancien. « L’art, c‘est ce qu’il y a de meilleur à donner aux jeunes », confie l’ancien en question. Piercing à l’arcade, diamant à l’oreille et pantalon large, Blaise, 22 ans, était de la partie : « C’est quelque chose qui va rester graver dans nos cœurs », dit-il, dans un flow de rappeur à base de « respect » et de « force ». « C’est important qu’on avance, enchaîne-t-il. Comme ça, la culture ne se perd pas ». En fait, tout est dit. Sinon, ce sont bien les Brésiliens qui remporteront la course de pirogue. Et on allait oublier : l’histoire de cette 7e édition des Jeux Kali’na retiendra que l’équipe locale d’Ayawande s’est encore imposée , devant Anuwana et Yépé. La prochaine édition des Jeux Kali’na sera délocalisée en Martinique.