Il est par excellence l’artiste itinérant qui, du bout des doigts, transforme un lambeau de matière en merveilles. Loin de ses études d’ingénierie, juché sur son vélo, tantôt la tête en l’air, tantôt les yeux au sol, il collecte la précieuse “étoffe”, qui fait de lui maintenant, l’incontournable artiste du spathe. Patrick Lafrontière récolte depuis plus de 20 ans, sa substance première aux pieds des palmiers royaux, à Cayenne, place des Palmistes. Cette étonnante “peau” semble, en apparence, tombée du ciel. Humains, indissociables de la fibre, il a dès le début, créé des écrins voluptueux. Tannées, presque sculptées sur le modèle, les robes donnaient l’impression de voir évoluer des femmes végétales sorties de la terre. Il a ébloui le public lors de nombreux shows de mode, en Guyane, aux Antilles, dans l’hexagone et à l’étranger. Comme Joseph Beuys et sa feutrine, la passion de ce créateur guyanais, pour son matériau de prédilection, l’a conduit en Inde. Bénéficiant d’une résidence d’artiste, il a pu, durant plusieurs mois, observer et étudier le tissage indien pour l’adapter au spathe dont les propriétés d’étanchéité et de résistance permettent de multiples usages. De cette expérience est né un documentaire inédit, et surtout une nouvelle façon de travailler. Tisser est dans la culture guyanaise, grâce notamment aux peuples autochtones, mais tisser se retrouve depuis la préhistoire, en témoigne des paniers retrouvés sur des sites historiques. La rencontre avec l’archéologue, tisserand et vannier suisse qu’est Jacques Reinhard lui a permis d’aborder cet aspect du tissage sans machine et de tenter d’en maitriser les différents modes opératoires. Riche de toutes ses expériences, il est toujours en quête d’autres végétaux à métisser. Actuellement, ce qui fait son caractère particulier, c’est la taille que prennent ses dernières œuvres. Fréquemment, Patrick Lafrontière agence des lieux intérieurs tels que des bars, des cafés, des maisons de particuliers. Certaines de ses pièces, accrochées au mur sont comme des morceaux de tissus, arrachés et empesés, racontant une histoire. Mais aujourd’hui, il nous propose un autre regard, plus large, plus questionnant. Chaque année, pour le carnaval, il présente des grandes robes végétales constituées de patawa, de coco ou de palmiers rouges. Aussi riches que peuvent nous l’offrir les bois guyanais, les couleurs des fibres varient du brun sombre au bordeaux chatoyant. Cette année, il fut récompensé grâce à une robe en gui, étonnant matériau que cette plante parasite, dont seul un artiste pouvait y extraire du potentiel. Devenu artiste du Land Art, il offre aux passants des curiosités artistiques éphémères. Comme le nid géant de Nils Udo, la dernière création de cet artiste fut un immense cube. Mélange savant de bois flotté et de lanières de spathe entremêlées, il fut posé sur le banc des Amoureux, place des Amandiers, à Cayenne. Emportée par la mer, une nuit de tempête imprévue, cette œuvre avait pour titre prémonitoire Le temps au temps. Au début des années 1970, Claes Oldenburg, artiste américain, s’illustrait en mettant en scène des sculptures surdimensionnées d’objets du quotidien. Prochainement, Patrick Lafrontière nous proposera sa dernière création, une chaise monumentale de huit mètres, pesant près de 400 kilos. Constituée principalement de lianes, assemblées en garrots, comme un épiderme régulier et sensible, Le cycle de la vie, tel est son titre, nous rappelle la symbolique de cet objet somme toute banal : repos, confort, pouvoir…Absence ou présence… Il nous interroge, sur la place de l’Homme dans notre Guyane, et par delà ses frontières. Au détour de nos rues, à Cayenne ou ailleurs, prêtez attention à ses œuvres surprenantes, d’apparence muette.

Texte de Stana Sampson

Photos de M. Linguet assistante photo Marika Thébia et Easyguyane, P-O Jay, M. Granier, P. Lafrontière