Depuis près de 20 ans, Pierre Demonchaux exerce ses talents en Guyane. Il y puise ses inspirations, comme il a pu le faire lors de ses voyages en Amérique du Sud ou en Afrique. à travers ses œuvres, qui illustrent avec force et constance sa passion pour la matière et sa fascination pour la biodiversité, transparaissent les richesses naturelles de la Guyane. Désormais reconnu, son travail lui a notamment valu d’être invité à exposer en 2014 au Grand Palais, à Paris, lors du salon international Art Fair. Toutefois, Pierre Demonchaux ne se définit pas comme un artiste. « Cette appellation, souvent galvaudée, me gonfle toujours un peu, lance-t-il. Ce n’est pas un mot qui a une définition carrée, stricte. » Il préfère employer le terme de créateur. « La création s’inscrit dans une recherche d’expression, explique-t-il. Il ne s’agit pas d’essayer d’être différent mais plutôt d’avancer dans une idée, d’évoluer dans un courant de pensée. Si tous les gens qui créent étaient des artistes, ça ne voudrait plus rien dire. Tu peux faire de la cuisine ou de la musique tous les jours et ne pas être un artiste. » En fait, Pierre Demonchaux s’identifie davantage à un plasticien. « Ça fait appel à tout, ça ouvre de nombreuses possibilités », dit-il en souriant.

Son atelier, Pierre Demonchaux a choisi de l’implanter au beau milieu de la nature, entre Cayenne et Macouria. Au cœur même de ses sources d’inspiration que sont les arbres, les plantes et la terre. Une évidence aujourd’hui mais, comme tout créateur, c’est le temps et d’innombrables influences qui l’ont conduit à découvrir sa propre identité créatrice. « Il y a des thèmes, des gens, des mentors qui t’influencent, assure-t-il. J’ai notamment été inspiré par Brancusi (Constantin, sculpteur roumain), Soulages (Pierre, peintre et graveur français), De Stael (Nicolas, peintre français) ou Giacometti (Alberto, peintre et sculpteur suisse). Ils ont tous, à leur époque, fait avancer leur courant de pensée. Parfois avec des choses simples. Je suis assez brut et les trucs trop compliqués ne me parlent pas. Comme chez Dali ou Miro. Il faut que ça me parle tout seul, je n’attends pas une explication. »
Des tables, des chaises, des fauteuils, mais aussi des tableaux, des sculptures qui conjuguent le végétal et des matériaux industriels, l’atelier de Pierre Demonchaux regorge de créations d’une folle diversité. « Tout ce que je fais ne relève pas forcément de l’artistique, admet-il. C’est parfois du design, avec des contraintes. Mais c’est difficile d’expliquer soi-même ce que l’on fait. Parfois, j’aimerais même qu’on m’explique ce que je fais ! » Un aspect se retrouve néanmoins souvent dans ses œuvres : la fracture. « Je suis vachement attiré par ça, oui, reconnaît-il. Ça s’inscrit un peu dans ma vision du monde actuel. La scission des matières, que ce soit du caoutchouc, du bois, il y a une sensation de déchirement. C’est presque reptilien. »
Pourtant, cette vision ne peut être systématique. « C’est une question de ressenti, affirme Pierre Demonchaux. Mon intérêt ne se loge pas toujours dans une pièce. Dans tout ce que j’ai pu faire, l’intérêt n’est pas dans l’objet mais dans une vision globale de la matière. La réutilisation sans fin des déchets de la première pièce, par exemple, c’est une démarche globale qui peut être intéressante. Quand j’utilise des lianes, je vois le rapport entre nous, la nature, l’environnement. Ce qui est intéressant, ce n’est pas ce que tu fais, c’est ton chemin pour le faire. »
En réalité, son travail dénote un besoin viscéral d’un perpétuel renouvellement. « Si je travaillais toujours la même matière, j’aurais l’impression de retourner toujours au même endroit. C’est moins stimulant que de changer de lieu tous les jours. Certains deviennent experts dans un seul domaine. Comme des musiciens qui sont maîtres d’un instrument. Mais d’autres en appréhendent davantage et y apportent à chaque fois quelque chose de nouveau. » Lorsqu’il porte un regard sur la création artistique en Guyane, Pierre Demonchaux voit « plein de choses différentes ». Il constate toutefois un « manque de stimulation ». Tout en avouant son attirance pour les créations de Marcel Pinas ou John Lie-A-Fo. « J’aime bien Pinas parce qu’il a su se servir de son histoire et de sa culture en les faisant évoluer, soutient le plasticien. Il les a portées dans son temps. Dans les arts Tembe, quand je vois des tableaux, c’est super dans un musée. Le côté historique est magnifique. Mais c’est comme si je faisais des meubles Louis XVI. Tu n’attends pas d’un designer ou d’un créateur qu’il fasse du Louis XVI. Pinas, il va chercher des bribes et il en fait quelque chose d’autre. » Quant à John Lie-A-Fo, Pierre Demonchaux apprécie la simplicité de son œuvre. « J’aime le côté animalier, symbolique, indique-t-il. C’est simple, bien fait, il y a de la justesse. » La vie d’artiste, de créateur, véhicule souvent une image idyllique de réussite. Notamment à travers des portraits de personnages dont l’œuvre a atteint un certain degré de notoriété.
Mais qu’en est-il réellement ? « On ne se rend pas compte des sacrifices que cela implique, affirme le plasticien. Quand on a 25 ans, pas d’argent, alors que tes amis commencent à travailler et gagner leur vie, tu te poses des questions. On dit de toi que tu es un marginal. Mais ce sont ces sacrifices qui te placent en marge. Plein de gens seraient capables de raconter des choses. Mais ce n’est pas sans rage que tu le fais. Et puis, quand finalement quelque chose te vient, que tu sens que tu as trouvé quelque chose, c’est un sentiment incroyable. C’est jubilatoire. » Une sensation après laquelle le plasticien continue de courir. Sans relâche.
« Sinon je m’ennuierais».

Texte de Thomas Fétrot
Photos de Ronan Liétar,
Mirtho Linguet