Si en Europe les caractéristiques biologiques et écologiques des cours d’eaux sont connues depuis près de 70 ans, en Guyane, les premières études remontent seulement aux années 1980. Aujourd’hui, une vaste étude sur les petites criques de tête de bassins versants est mise en œuvre afin de proposer aux gestionnaires une méthode qui permettra de définir un indice de qualité de ces milieux. L’objectif étant, à terme, d’y évaluer l’impact des activités humaines.

Autrement dit, ces petits cours d’eau que l’on franchit à pied, sont une vraie curiosité pour les chercheurs. «Ce sont des milieux naturels sensibles qui abritent des espèces qu’on ne rencontre pas souvent. Il reste encore un voile à lever sur ces écosystèmes et sur l’écologie des communautés aquatiques qu’ils abritent », explique Bertrand Goguillon, chef du service patrimoines naturels et culturels au Parc amazonien de Guyane. En effet, à ce jour, la grande majorité des études et collectes de poissons d’eau douce de Guyane a été réalisée dans la frange littorale et le long des fleuves navigables à cause de leur facilité d’accès. « L’essentiel du sud de la Guyane, en particulier ce qui constitue aujourd’hui le cœur du parc national, est composé de gigantesques réseaux de petits cours d’eau soumis à des précipitations variables selon les bassins versants et dont l’accès est plus difficile, surtout dans le haut des têtes de bassins », confirme Pierre-Yves Le Bail, ichtyologue et directeur de recherche à l’INRA* de Rennes. L’implantation territoriale du Parc amazonien de Guyane et ses moyens logistiques ouvrent de nouvelles opportunités d’étude aux scientifiques.

Le programme “petites masses d’eau”

Ces petites criques situées en tête de bassins versants sont aussi appelées “ petites masses d’eau ”. Elles ne dépassent pas un mètre de profondeur et dix mètres de largeur. Elles représentent près de 70% du réseau hydrographique de la Guyane, soit environ 80 000 km de cours d’eau. Quelle est la qualité des eaux et des écosystèmes de ces petites masses d’eau ? Comment mettre en place des indices de qualité de l’eau et du milieu aquatique ? Comment atteindre les objectifs de qualité des eaux fixés par la Directive cadre européenne sur l’eau d’ici 2015 ?
Afin d’apporter des réponses vis-à-vis de la réglementation, la DEAL* et le Parc amazonien de Guyane copilotent un ambitieux programme d’étude des petites masses d’eau, orchestré sur le terrain par le laboratoire Hydreco et de nombreux partenaires scientifiques. Sur toute la Guyane, une centaine de stations d’étude doivent être évaluées. Elles sont aussi bien situées sur des zones intactes que sur des zones soumises à des pressions humaines, qu’elles soient agricoles ou liées à l’exploitation forestière et aurifère. Le choix précis de ces dernières est soumis à l’expertise de l’ONF*, fort de son expérience dans le suivi de l’activité aurifère notamment. Une trentaine de stations concerne la partie sud de la Guyane, où jusqu’à présent, faute d’accessibilité et de moyens logistiques, il était difficile de mener des études de cette envergure.
Le programme “petites masses d’eau” cherche à vérifier le bon fonctionnement global du milieu et à établir des indices de qualité de l’eau. Pour cela, des équipes de scientifiques prélèvent des poissons, des invertébrés et des substrats. Ils vont notamment décrire les habitats aquatiques, les relations trophiques, etc. C’est la mise en relation de ces différents paramètres qui permettra d’obtenir des indices sur la qualité de l’eau et de comparer les différents sites d’études.
Au parc national, on y voit un outil supplémentaire pour mettre en exergue les méfaits de l’orpaillage illégal : « l’intérêt majeur de ce programme pour le parc national est d’acquérir des connaissances qui permettront, entre autres, d’évaluer l’impact de l’orpaillage clandestin sur ces milieux », précise Bertrand Goguillon.
Pour Pierre-Yves Le Bail, un tel projet à l’échelle de la Guyane va au-delà de la simple réponse à un cadre réglementaire : « la compréhension des interactions entre les communautés de poissons et leur milieu naturel est primordiale pour préserver la diversité de l’ichtyofaune guyanaise. On doit mettre en évidence leur éventuelle fragilité, leur capacité à résister ou non à des perturbations des écosystèmes et mieux cerner le niveau acceptable d’exploitation de leurs populations par l’homme, analyse le chercheur de l’INRA. Bien sûr, l’étape suivante consistera à adapter les modes de pêche pour qu’ils soient durables. Mais bien entendu, cela doit se faire en concertation avec les communautés locales, dans le respect de leurs modes de vie et avec leur consentement et leur implication », complète-t-il.

Une étude pluridisciplinaire
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