A 153 km au large des côtes de la Guyane, la société Tullow Oil cherche du pétrole depuis début mars 2011.
Sur ce sujet, nous avons interrogé en juin 2011 Rodolphe ALEXANDRE (Président de la Région Guyane), Chantal BERTHELOT (Députée de la Guyane), Christian ROUDGE (Coordinateur de Guyane Nature Environnement – GNE), Patricia TRIPLET (Directrice du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Guyane) et Joachim VOGT (Directeur régional de la Tullow Oil en Guyane).
Pour les plus courageux d’entre-vous, ou les fanatiques de la question pétrolière, nous vous proposons de lire, sur le site web de notre magazine, l’intégralité des interviews. Nous les avons retranscris exactement de la manière dont elles ont été conduites : en face à face avec un enregistreur, ou par échange mél, à savoir envoi des questions et réception des réponses.
Seuls quelques propos ont été retouchés afin de « gommer » le trop d’oralité propre à toute interview en face à face. nous avons souhaité ici sur le web conserver le langage personnel de chacun des intervenants.

PS : vu la longueur des textes, si vous avez une interrogation sur un point particulier concernant le forage exploratoire, n’hésitez pas à entrer un mot clé dans le moteur de recherche de votre navigateur. Par exemple : approvisionnement – boues – consortium – consultation – crevette – développement – durable – Etat – étude – impact – marée noire – multinationale – peak oil – pêche – poissons – Préfet – prix -problème – public – région – répercussion – retombées – risque – Shell – taxe – Total – vivaneau

Entretien avec Rodolphe ALEXANDRE – Président de la Région Guyane

(propos reçus par mél)

Est-il normal qu’il y ait eu aussi peu de consultation démocratique au sujet de ce forage exploratoire ?

Au préalable, permettez-moi de vous rappeler que cette consultation a été organisée par la Préfecture, et qu’à ce titre, la personne la mieux à même de vous répondre est certainement le Préfet. Toutefois, puisque vous me demandez mon avis, il me semble qu’il ne faudrait pas perdre de vue qu’il s’agit en l’occurrence d’une phase d’exploration, dont l’impact sur l’environnement est extrêmement limité. S’il s’avérait que cette première étape était concluante,  et qu’elle avait vocation à déboucher sur une exploitation de la ressource, nous ne doutons pas que la Préfecture effectuerait toutes les démarches de concertations prévues par la loi avec les collectivités et avec la population, et nous nous engageons à l’accompagner dans ce sens, afin que les Guyanais, pour qui une exploitation pétrolière était absolument inimaginable sur notre territoire il y a de cela quelques années, puissent véritablement s’approprier les enjeux de ce qui pourrait s’apparenter à une révolution sur le plan de notre économie locale.

Est-ce que le risque écologique potentiel d’un tel forage s’équilibre avec le gain potentiel ?

Aucun gain financier ne saurait justifier une catastrophe naturelle, c’est une évidence. A la Région, nous avons tous parfaitement conscience que notre biodiversité exceptionnelle, qui, par ailleurs, est bien loin d’avoir livré tous ses secrets, tant en mer que sur terre, est notre le bien le plus précieux, et qu’il convient de la préserver absolument. Personne ici n’a envie de vivre une marée noire du type de celle qui a frappé la Louisiane l’an dernier, et il serait absurde d’affirmer que les recettes générées par cette activité pourraient compenser des dégâts aussi importants. C’est pourquoi  la Région, en cas d’exploitation pétrolière, sera particulièrement exigeante quant au respect des normes environnementales européennes en la matière, et veillera à ce que tous les systèmes de surveillance et d’alerte soient mis en place afin de limiter au maximum l’impact environnemental de cette activité, et prévenir la moindre fuite qui serait de nature à polluer la mer et la mangrove de Guyane.

Aujourd’hui, le forage exploratoire n’apporte que peu de retombées pour la Guyane. Si on en venait à un forage d’exploitation, comment faire pour que l’économie guyanaise en profite ?

Alors ; s’agissant de la phase d’exploration, notre problème, actuellement, est double. D’abord, nous avons un problème structurel, qui concerne le port de Dégrad-des Cannes. Il s’avère que celui-ci ne permet pas aux bateaux ravitailleurs de la société exploratrice de s’approvisionner chez nous, ce qui nous prive de recettes fiscales très importantes notamment par le biais de la TSC. Il est d’ailleurs évident qu’en cas d’exploitation, nous veillerons à ce que les travaux de mise aux normes soient effectués, en concertation avec la CCIRG, et avec la participation des pétroliers, pour éviter que ceux-ci n’aillent se ravitailler au Surinam comme c’est le cas aujourd’hui. Ensuite, il y a l’octroi de mer, qui n’est pas applicable aux équipements destinés aux forages, conformément à une loi de décembre 1968 qui prévoit que la fiscalité locale ne soit pas applicable aux activités en haute mer. Cela trahit une absence de maîtrise de notre fiscalité, et c’est précisément ce contre quoi nous nous sommes inscrits lors de notre Assemblée plénière du 20 juin dernier, au cours de laquelle nous avons demandé une habilitation au titre de l’article 73 de la constitution, en vue d’obtenir une adaptation de la loi autorisant la Région à taxer le pétrole produit, et à en fixer le taux localement.

Est-ce qu’une collectivité peut avoir assez de poids pour négocier avec un consortium de cette taille ?

Disons qu’au départ, le premier interlocuteur de ce type de multinationales qui souhaitent s’implanter dans une région donnée, c’est la Préfecture. Après, il est bien évident que compte tenu de la compétence de la Collectivité régionale en matière de développement économique, celle-ci est impliquée de fait dans toutes les tractations et négociations qui pourraient découler de cette implantation. Mais si nous pouvons orienter certaines des décisions qui seront prises, et peser de tout notre poids afin de faire valoir les intérêts de la Guyane s’agissant notamment du lieu d’implantation, de l’éventuel impact sur l’environnement, des retombées économiques et des retombées en termes de création d’emploi au niveau local, force est de reconnaître que le dernier mot en revient à l’Etat ; on l’a vue encore récemment avec le cas de la société Im Gold.

En cas de présence de pétrole en Guyane, cela aura-t-il un impact sur le prix à la pompe ?

Dans l’hypothèse où la Région obtiendrait l’habilitation dont je vous parlais tout à l’heure, le carburant produit en haute mer deviendrait inéluctablement soumis à une taxe spéciale, sur le modèle de ce qui se passe pour l’exploitation aurifère. Cette nouvelle taxe nous permettrait de dégager des recettes supplémentaires ; et par ricochet, nous permettrait de conserver un niveau global de recettes fiscales équivalent voire légèrement supérieur tout en baissant le niveau de la TSC, ce qui entrainerait effectivement une baisse du prix à la pompe. Par contre, il faut bien que vos lecteurs comprennent que cela relèvera d’une décision politique, et qu’il n’y a pas de lien mécanique de cause à effet entre l’exploitation pétrolière et le prix de l’essence à la pompe en Guyane, pour la simple raison que le brut ne sera de toute façon pas raffiné chez nous, du moins, à court terme.

Quels sont les projets à moyen ou long terme pour faire que la Guyane soit de moins en moins dépendante du pétrole ?

La Région soutient en effet plusieurs projets. Nous avons les palmiers à huile et les microalgues, pour lesquelles nous avons lancé un appel à projet, et qui doivent, si l’expérimentation s’avérait concluante, constituer une alternative à l’essence en tant que biocarburants. Nous avons aussi notre projet de doter les communes enclavées de panneaux photovoltaïques à hauteur de 700.000€, afin de garantir aux populations un éclairage public propre et pérenne. D’autres projets devraient voir le jour dans les prochains mois. A la Région, nous avons mis en place une démarche à long terme de développement d’énergies alternatives, afin de réduire au fur et à mesure, et dans l’optique du doublement de notre population dans les 20 prochaines années,  notre dépendance aux énergies fossiles, qui ne sauraient, quoiqu’il en soit, constituer une solution d’avenir, tout le monde en est bien conscient.

Pensez-vous que le développement de la Guyane passe par l’exploitation de ressources minières, quelles qu’elles soient, par des multinationales ?

D’une manière générale, nous, notre objectif, c’est d’optimiser l’exploitation de nos ressources naturelles, qu’il s’agisse de ressources minières, de notre biodiversité, ou de notre pharmacopée, pour asseoir notre développement économique endogène. Il est évident que dans la mesure du possible, nous souhaitons contribuer en priorité au développement des entreprises locales ; mais dans certains cas de figure, qui peuvent être la complexité du site, les difficultés d’accès, ou le sous-dimensionnement de nos entreprises locales, il faut bien reconnaître que certaines opérations ne peuvent être conduites que par des grands groupes étrangers, qui disposent le plus souvent de moyens financiers et technologiques sans commune mesure. Mais quoiqu’il en soit, l’implantation de grands groupes sur notre sol doit clairement être perçus comme une opportunités pour tous : pour les futurs salariés qui seront recrutés localement ; pour toutes les entreprises locales, qui pourront bénéficier de nouveaux marchés et de nouvelles commandes ; pour les collectivités, qui voient ainsi leurs recettes augmenter, et pour l’image de la Guyane, qui ne peut que s’en trouver renforcée auprès des investisseurs étrangers, et devenir, à terme, une véritable terre de développement économique.

Entretien avec Chantal BERTHELOT – Députée de la Guyane

(propos reçus par mél)

Est-il normal qu’il y ait eu aussi peu de consultation démocratique au sujet de ce forage exploratoire ?

Sur de tels projets d’envergure, il faut absolument une information claire de la population. Certes, il y a la démarche administrative obligatoire, telle que l’enquête publique, mais cette enquête est toujours aussi illisible et rébarbative pour le citoyen qui veut s’informer… Combien sommes-nous à consulter les épais dossiers techniques mis à disposition? L’entreprise demandeuse doit prendre le temps d’expliquer son projet aux riverains qui seront dans le futur concernés quotidiennement par cette  activité d’extraction. Je déplore un manque de communication de la part des opérateurs pétroliers sur ce projet.

Est-ce que le risque écologique potentiel d’un tel forage s’équilibre avec le gain potentiel ?

En aucun cas il est question de prendre un risque écologique en fonction de gains potentiels. La question que nous devons nous poser est plutôt : quels risques écologiques sont liés à de tels forages? A l’Assemblée Nationale, j’ai défendu l’amendement dont j’étais cosignataire visant à abroger les permis de recherches pour les forages en eaux profondes. Ici nous devons rester vigilants sur la protection de l’environnement. Pour les gains, je préconise simplement que l’on s’inspire de pays voisins comme Trinidad qui en tant que producteur de pétrole ont négocié avec les compagnies pétrolières installées sur leur territoire des pourcentages sur leur production.

Aujourd’hui le forage exploratoire n’apporte que peu de retombées pour la Guyane. Si on en venait à un forage d’exploitation, comment faire pour que l’économie guyanaise en profite ?

Actuellement, la loi ne permet pas de retombées fiscales pour notre région. Mais c’est à nous élus de l’Assemblée et du Sénat de faire avancer la législation fiscale dans ce sens. Sinon, en amont de la construction et de l’exploitation de la plate-forme pétrolière, l’exploitant doit développer des partenariats avec la collectivité territoriale afin de mettre en place des plans de formation et d’apprentissage. Ainsi, de jeunes guyanais seront formés aux métiers du pétrole, et pourront être embauchés par la suite.

Est-ce qu’une collectivité peut avoir assez de poids pour négocier avec un consortium de cette taille ?

Soyons clairs : le forage se fait dans les eaux territoriales françaises. Le consortium devra donc respecter la législation française, et les négociations seront menées avec l’Etat. L’autorisation sera donnée par l’Etat. Bien entendu, il est souhaitable que l’Etat associe les collectivités concernées à ces négociations. Et cela, quelle que soit la taille de l’entreprise : il n’y a aucune raison qu’il y ait de traitement particulier.

En cas de présence de pétrole en Guyane, cela aura-t-il un impact sur le prix à la pompe ?

Nous devons tous nous battre pour que oui le prix de l’essence à la pompe en Guyane baisse à partir du moment où il y a une production locale. On ne peut sensément être « producteur » et continuer de payer l’essence aussi cher… Là encore, je fais appel à l’expérience de nos voisins producteurs de pétrole !

Quels sont les projets à moyen ou long terme pour faire que la Guyane soit de moins en moins dépendante du pétrole ?

Quand on parle de pétrole, il faut distinguer sa consommation pour l’énergie et celle pour le carburant automobile. Je prône, pour ma part un changement de comportement immédiat dans notre consommation. Pour moi, c’est du court terme. L’utilisation volontariste des ressources durables : hydraulique, biomasse, solaire, est indispensable. Il faut aussi sensibiliser le public aux techniques de construction plus respectueuses de l’environnement (ventilation naturelle, utilisation plus importante du bois, etc.).

Pensez-vous que le développement de la Guyane passe par l’exploitation des ressources minières quelles qu’elles soient par des multinationales ?

Je suis effectivement pour l’exploitation de nos ressources naturelles, mais pas dans n’importe quelle condition. Il faudrait, en effet, asseoir notre développement sur un cadre législatif qui assure des retombées pour notre territoire. En parallèle, ce cadre obligerait l’exploitant au respect des normes environnementales. C’est simple, tant que ces conditions ne sont pas réunies, il faudrait garder le sous-sol vierge de toute exploitation.

Entretien avec Christian ROUDGE – Coordinateur de Guyane Nature Environnement (GNE)

Pourquoi avez-vous émis de fortes réserves face à un projet qui pourrait être économiquement intéressant pour la Guyane ?

Nos réserves sont liées à la prise en compte des risques, mais pas n’importe lesquels, les risques majeurs. Pour que ce soit bien clair, sur ce type d’installation, sur ce type de procédé industriel, il y a 3 types d’accidents possibles : des accidents mineurs, d’importance moyenne, ou majeurs. Sur les deux premiers types nous n’avons pas d’inquiétude particulière parce que ce que l’entreprise a déclaré dans son dossier d’ouverture des travaux nous paraît suffisant en termes de moyens et d’organisation. Par contre pour les accidents de type 3, ceux qui sont susceptibles de générer une marée noire par exemple, là nous avons constaté que l’Etat ne prévoit pas du tout ce genre d’accident dans son plan Polmar, et que l’entreprise, dans son plan de réponse aux pollutions, n’apportait pas suffisamment de garanties pour nous permettre d’être confiants. Si d’aventure l’entreprise et l’Etat devaient faire face à une marée noire, il n’y a pas d’assurance que des moyens seront présents en nombre, suffisamment rapidement, avec une technicité adaptée, etc.

Qu’est-ce qu’un accident mineur ou de type moyen ?

C’est codifié, cela dépend de la nature de la pollution en termes de volume. Jusqu’à quelque m3 c’est type 1, jusqu’à un seuil supérieur c’est type 2. Pour les accidents de type 1, la crise est gérée uniquement par les moyens de la plate-forme, et rapidement. Pour les accidents de type 2, la plate-forme ne suffit pas. Ils doivent faire appel aux moyens à terre, voire à des moyens étatiques. Quant aux accidents de type 3, ils sont obligés de faire appel à des moyens étatiques et le commandement des opérations est transféré à l’Etat.

A GNE vous avez vu une défaillance sinon au niveau de l’Etat, également au niveau de la Tullow Oil pour les accidents de type 3 ?

Au niveau de l’Etat elle est reconnue. C’est plus une carence qu’une défaillance. Il est de notoriété publique, depuis que le Préfet Daniel Ferey l’a exprimé au micro d’une radio publique guyanaise, que le plan Polmar n’était pas dimensionné pour faire face à un accident généré par une crise sur cette plate-forme. Il est dimensionné pour faire face à un accident type déversement sur un tanker d’approvisionnement de la Guyane. Le problème est que ce plan a été revu en 2009 et qu’en 2009 GNE n’était pas encore créé. Et aucune de nos associations membres [Sepanguy, Kwata et Gepog, ndlr] n’a été invitée, et personne n’a prévu a priori au niveau des services de l’Etat que deux ans plus tard on aurait très certainement un forage avec une exposition aux risques qui serait présente. Car le risque est présent quand même, personne ne le nie à l’heure actuelle. Tout le monde, l’entreprise et l’Etat, a bien conscience qu’un forage off-shore représente un risque. Donc pour répondre à votre question, nos réserves viennent principalement de la prise en compte des risques majeurs et également du caractère un peu précipité de l’instruction. 80% du littoral guyanais est constitué de mangroves, de vasières, et nous avons en Guyane un rôle important à jouer dans la conservation de cet écosystème fragile et menacé de par le monde. A l’heure actuelle, dans le plan Polmar ou dans la bibliographie disponible ici, dans l’étude d’impact ou le plan de réponse qui doit être pris par la Tullow Oil, à aucun moment une marche à suivre pour la dépollution de ces écosystèmes n’est proposé. Il y a seulement une page qui, sous notre pression et sous la pression de l’Etat, a été rédigée par l’entreprise. Et cette page se contente de dire que si jamais il fallait dépolluer la mangrove, peut être que le plus simple serait de laisser la nature faire elle-même son travail. Ce n’est pas là quelque chose qui nous satisfait en termes de réponse. Les entreprises qui participent à ce forage, dont notamment deux multinationales, ont les moyens de financer une telle étude. On peut imaginer qu’avec 50 000 € on peut arriver à disposer d’un travail intéressant. Et puis la France est parmi les premières puissances mondiales. Tous les états tropicaux qui sont confrontés à de l’exploitation offshore n’ont pas les moyens de financer une telle étude. C’est toute la possibilité de la France par contre. On aurait souhaité que dans le cadre de ce permis une telle étude aurait pu être créée. Cela aurait profité à la Guyane et à d’autres pays de par le monde, notamment les pays francophones.

Une journée de forage c’est 1 million de $…

C’est ça. D’où cette étude, même à 100 000 €, ce n’est pas grand-chose. Ce qui a limité cette entreprise là-dessus, c’est le temps. C’est-à-dire qu’une telle étude aurait demandé plusieurs mois pour se réaliser. Mais cela fait partie d’une autre de nos réserves dans le contexte général qui prévalait et qui prévaut toujours à la prise de l’arrêté préfectoral, un an après la catastrophe de Deep Water Horizon, à savoir la raréfaction du pétrole et le risque accru lié à l’activité pétrolière off-shore. Plus on va chercher profond, plus le risque et le nombre d’accidents sont importants. Cela s’explique par le fait que l’activité soit en pleine croissance. Malgré le fait qu’elle progresse au niveau technique, elle est de plus en plus sollicitée par les entreprises pour faire de la production et de la recherche. Alors que le Commissaire européen à l’énergie a appelé les Etats membres en octobre 2010 à faire jouer le principe de précaution, nous aurions souhaité que le gouvernement français et le Préfet de Guyane puissent prendre un peu plus de temps pour étudier cette déclaration d’ouverture des travaux, de façon à attendre que l’Europe s’arme d’une directive appropriée, qui n’existe toujours pas à l’heure actuelle, mais aussi pour que certaines de nos questions puissent trouver des réponses en termes de dépollution, de préparation aux risques majeurs, d’évolution du plan Polmar, etc.

Selon vous, la population aurait-elle dû être consultée à propos de ce projet de forage ? Et si oui, par quel moyen ?

Le problème ce sont les dispositions légales, ce que le droit permet. A l’heure actuelle on a un droit qui est ancien en la matière et qui ne prévoit pas la consultation du public. Si le Préfet avait voulu appliquer stricto sensu le droit applicable, nous n’aurions même pas pu avoir accès aux documents. C’est suite à notre sollicitation d’octobre 2010 que le Préfet a répondu favorablement, que nous avons pu être informés des travaux et de l’étude d’impact et des dangers produite par l’entreprise. Après, nous ne sommes que l’un des représentants de la société civile. Il est certain que l’information du public a été certainement minorée et n’a pas été satisfaisante de mon point de vue. L’Etat et l’entreprise surtout, dont c’est la responsabilité, auraient du aller plus loin, notamment pour l’information de la population littorale, qui est exposée aux risques dans ses usages notamment, et donc a le droit de savoir exactement ce qui doit se passer, ce qui allait se passer. Après, au-delà de l’information il y a la consultation ou la concertation. Encore une fois j’en reviens aux possibilités légales. Le droit à l’heure actuelle ne le permet pas. Peut être qu’à l’avenir il le permettra. Et j’en veux pour preuve les déclarations de la ministre, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui déclarait en avril de cette année que le Code minier était vieux, qu’il fallait le réformer, et notamment accroître la participation du public, et ce, dès l’obtention des permis de recherche. A l’heure actuelle, il faut bien noter que j’ai beau être membre de la commission des mines, au compte des associations de protection de la nature, je ne vois pas passer les demandes de permis de recherche. C’est-à-dire que, par exemple, à propos du renouvellement qu’a déposé l’entreprise Tullow Oil, dans le cadre du permis Guyane maritime, on ne me demandera pas mon avis. Or c’est quand même un petit peu embêtant car on parle de plusieurs dizaines de kilomètres carrés de superficie. C’est une superficie qui est considérable et sur laquelle l’Etat est le seul maître à bord en termes d’instruction et de délivrement. Les avis ne sont pas récoltés. Le droit ne permet pas de demander à quelque représentant civil son avis sur la question. C’est quand même relativement incompatible avec les standards de la démocratie du 20ème siècle. En clair il est urgent de faire quelque chose.

Pour une mobilisation citoyenne n’a-t-elle pas encore eu lieu ? Est-ce que c’est lié au fait qu’il y ait eu un manque d’information ?

Ce n’est pas forcément à moi qu’il faudrait poser la question. Mais de mon point de vue c’est sûr que l’information joue, la société civile a été informée très tard de l’arrivée de ce forage. Je pense qu’une bonne part de la population, bien entendu, n’est pas émue, n’est pas intéressée par ce qu’il se passe. Il y a aussi une part qui est très favorable je pense. En fait on se focalise uniquement sur les gens qui sont plutôt entiers et favorables à ce type d’activité. Je pense que c’est en grande partie à propos de l’information tardive que l’entreprise et l’Etat ont une responsabilité, mais également nous GNE.

Pensez-vous que ce soit un peu trop tard pour que les citoyens se soulèvent de quelque manière que ce soit sur la question ?

Dans la mesure où le permis de recherche, l’arrêté d’ouverture des travaux a déjà été donné début mars et que les travaux ont commencé dès le lendemain, c’est trop tard. Après, si jamais du pétrole devait être découvert, une autre permis de recherche est d’ores et déjà sollicité, le renouvellement, il y aura une phase d’instruction. Nous n’aurons pas notre mot à dire en Guyane, mais cela dit, c’est le ministre qui à un moment donné signe. Donc il y a une possibilité de faire connaître son avis en haut lieu. Par contre, après, l’entreprise reviendra régulièrement vers le Préfet pour demander l’ouverture d’autres travaux de ce type, peut être 4 ou 5 autres forages de recherche de façon à bien délimiter la superficie de la poche, de la ressource. Donc dans toutes ces phases là il faudra que l’entreprise et l’Etat français fassent des progrès en termes d’information, mais que nous-mêmes GNE, forts de notre première expérience en la matière, nous jouions à plein notre rôle de représentant de la société civile et de veille environnementale, et donc d’information du public. Je voudrais cependant revenir sur l’aspect tardif de notre communication. A GNE, je suis mandaté par mes dirigeants. Notre association s’est créée en mars 2010, elle fédère les trois associations Kwata, Gepog et Sepanguy, qui elles ont 40 années d’existence. Dès mai 2010, nous nous sommes dotés d’une stratégie thématique sur ce que nous souhaitions faire et comment. Ce même moi de mai 2010, le pétrole est sorti comme l’une des priorités et je me suis mis à travailler dessus, à partir des données bibliographiques en cours. Le 7 octobre 2010, nous demandions au Préfet par écrit de mettre en place une espèce de concertation autour du projet, ce à quoi il a répondu favorablement fin décembre. Nous étions alors prêts, quelques jours après la réponse du Préfet, à prendre nos responsabilités pour un espace de concertation. Mais du coup cela nous a mené jusqu’au 1er février avec 3 réunions : 22 décembre, 06 janvier et le 1er février. Et c’est à l’issue de ces trois réunions que nous avons fait le constat que la concertation promise par le Préfet à la mi-novembre n’était pas au rendez-vous, que nous n’avons pu avoir que de l’information, ce qui va au-delà de la loi, ce qui est déjà satisfaisant d’un certain point de vue, mais pas pour notre demande. Nous aurions voulu peser un petit peu plus sur l’arrêté préfectoral d’ouverture des travaux dans son contenu. Et c’est à partir du 10 février que nous avons fait officiellement le constat qu’en termes de risques notamment tout n’était pas au rendez-vous, et que nous nous sommes officiellement opposés à ces travaux. Il faut bien comprendre que ce n’est pas une opposition de principe car nous sommes une association de protection de la nature guyanaise et que nous nous devons d’agir également en fonction des besoins du territoire. Une association de protection de la nature française, hexagonale, aurait peut être pu s’opposer plus vite à ce type de travaux et l’aurait peut être fait avec une opposition de principe. Tandis que nous, nous avons attendu d’étudier le dossier, et c’est à la lumière des éléments du dossier que nous avons pris notre décision. Et le fait est qu’à partir du 10 février nous avons fait le constat qu’en étant informés tout n’était pas satisfaisant. Nous nous sommes donc opposés. C’est à partir de là que nous avons lancé une communication envers le grand public avec des communiqués de presse, une conférence de presse et une réunion publique. Il est certain que si le Préfet avait répondu plus tôt favorablement à notre attente, et que les premières réunions d’information avaient pu être mises en place dès le mois de novembre, et non pas à la fin décembre, nous aurions eu un mois supplémentaire ou deux pour pouvoir informer plus rapidement la population. Et peut être qu’avec ces éléments là la population aurait fait un choix différent, notamment en termes de mobilisation. J’en veux pour preuve que la mise en place du collectif Non à Cambior à Kaw a été relativement rapide. Je pense qu’une telle création de collectif aurait été possible autour de ce projet là, en quelques semaines uniquement. C’est clair que GNE a seulement un  an d’existence. Cette expérience nous servira de leçon pour la suite. Et je pense qu’après cet épisode nous sommes mieux armés pour défendre les intérêts de l’environnement en Guyane.

Depuis que vous avez dénoncé une mauvaise gestion des impacts environnementaux dans le dossier Tullow Oil, les choses ont-elles évolué ?

En termes de risques, non. Ou alors pas suffisamment. C’est-à-dire qu’il y a eu un avenant au plan de dépollution qui a été déposé par l’entreprise auprès de la DEAL [Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ndlr] après le début des travaux. Je n’ai pas de copie de ce document, que je peux aller consulter en DEAL si je le souhaite. Il a clarifié quelques aspects du document qui manquait de clarté, et notamment les délais d’intervention aérienne qui sont plus longs qu’avant en termes de temps.

Pourquoi ces délais sont-ils plus long ?

Il faudrait poser cette question à l’entreprise. Je ne sais pas pourquoi. Je pense que c’est quelque chose qui n’était pas assez clair dans la version dont disposait la DEAL. Nous avions aussi demandé, et nous l’avions obtenu à l’oral de la part d’un haut fonctionnaire, qui nous avait promis un exercice conjoint des moyens Polmar et de l’entreprise. Cet exercice n’aura pas lieu. Nous l’avons appris en réunion d’information il y a peu. Nous prenons acte du fait que les engagements oraux ne sont pas suivis d’effet, même quand il s’agit de risques. Nous avions également demandé que les dispersants puissent être testés dans les eaux guyanaises. On nous a répondu que ça avait été le cas il y a une dizaine d’années dans les eaux antillaises. Clairement je pense que l’Etat doit estimer qu’il a déjà fait beaucoup, l’entreprise aussi, et personne n’a envie de progresser encore sur la question. Ca aussi nous le notons et nous agirons en conséquence si une autre demande d’ouverture des travaux devait avoir lieu dans les années qui viennent.

Je voulais revenir aussi sur le fait que vous ayez obtenu un forage à l’eau au lieu d’un forage à l’huile.

Ce n’est pas lié aux risques ou quels liens existent entre les risques et le type de boue. Sur cette question ça a été suivi d’effets. Nous nous sommes aperçus fin décembre 2010, dès que nous avons pu avoir accès aux premières informations, que l’entreprise comptait exploiter les boues à l’huile, ce qui est formellement interdit selon le Code de l’environnement. C’est l’article L 218-32 (il n’y a pas eu de décret) : « Les rejets qui résultent directement des opérations d’exploration doivent être exemptes d’hydrocarbures ». En Guyane on est sur la recherche et l’exploitation en mer. Partant de là, il est clair que tout ce que mettent en place les Etats, en lien avec les entreprises dans les conventions internationales type mer du Nord, en autorisant le rejet d’hydrocarbures à hauteur de 5 ou 8% du total, n’a pas lieu en France où les rejets sont purement et simplement interdits. Ce qu’avait fait la Tullow Oil, qui n’est pas de bonne foi sur cette question, c’est de dimensionner son process sur la base de ce qu’elle avait l’habitude de faire, et elle avait pris comme étalon la convention mer du Nord. Son siège est basé à Londres et Dublin et peut être qu’elle a l’habitude de procéder ainsi, peut être que c’est la base de son travail. Ce qui était proposé à l’Etat français c’était ça et il n’a pas tiqué, que ce soit le service instructeur ici en DEAL, dont c’est la première expérience en termes d’instruction, ou du pôle national off-shore basé à Bordeaux. Aucun de ces deux maillons de la chaîne d’instruction n’a avant nous expliqué, rappelé que l’exploitation aux boues à l’huile était interdit. Peut être le savaient-ils ? Je ne sais pas. C’est à partir de notre demande fin décembre que ce process a évolué. Là il faut bien entendu saluer le travail du service instructeur et de l’entreprise qui se sont adaptés pour simplement appliquer la loi. Ce qui n’est pas quelque chose en soi d’extraordinaire.

S’il n’y avait pas eu cet article de loi, est-ce que vous auriez quand même demandé un forage à l’eau ?

Nous n’aurions pas pu. Nous aurions pu toujours demander effectivement, nous aurions pu faire état de l’ensemble de nos souhaits, mais il nous aurait fallu des arguments à un moment donné pour arriver à être entendus. Et ces arguments se fondent sur la pratique ou la loi. Le fait est que là, en la matière, je n’ai pas une connaissance très large de la filière. A part la France, il ne doit pas y avoir beaucoup de monde qui fore à l’eau, parce que forcément ça va moins vite, ça coûte plus cher et éventuellement les garanties de succès sont plus faibles. Par contre il y a moins de rejets dans le milieu marin. Après, charge à nous maintenant de continuer à faire appliquer cet aspect là des choses, parce qu’il faut être lucide : l’entreprise nous a informé que le forage se passait mal, qu’elle perdait du temps, notamment avec ce problème d’interdiction en droit français. Je sais qu’il y a au moins une trentaine de jours de retard qui sont liés au problème des boues. Et parce que l’entreprise, avec ce recours là, perd du temps, de l’argent, et peut être aussi la confiance d’une partie de son consortium, notamment les majors, elle va certainement demander à avoir accès au forage aux boues. Là-dessus nous serons très fermes et nous sommes décidés à faire respecter le droit.

Est-ce tout de même pour vous un échec que le forage ait eu lieu ?

Dans la mesure où nous avons demandé un moratoire, oui. Nous aurions souhaité que le Préfet et le ministre pour ce type de décision puissent sursoir à l’autorisation pendant un an, de façon à ce qu’on mette toutes les chances de notre côté notamment en termes de risques, et donc qu’on attende que la Commission européenne produise une directive. Qu’on prenne aussi le temps de peaufiner le plan Polmar, de mieux appliquer ou renforcer les moyens de lutte pour faire face à des accidents graves de type 3. Qu’on dispose d’une étude pour savoir comment faire pour dépolluer les vasières de Guyane. Alors il est certain que dans la mesure où l’arrêté du Préfet, l’ouverture des travaux, a eu lieu alors que tous ces éléments étaient pas encore à notre disposition, pour nous c’est un échec, dans un contexte d’appel au principe de la précaution formulé par le Commissaire européen à l’énergie.

Est-ce qu’un tel forage aurait pu avoir lieu en France métropolitaine ?

Pas dans les mêmes conditions en termes d’instruction. Il est certain que la place de la population, notamment les pêcheurs et ceux concernés par les activités littorales, aurait été plus importante. L’Etat aurait pris plus de temps pour préparer son opinion à la possibilité de ces travaux. Dans le contexte qui prévalait en mars 2011, il aurait peut être voté un moratoire, comme cela a été fait sur les gaz et pétrole de schiste. Très clairement si ce forage avait été demandé par n’importe quelle entreprise au large de l’Aquitaine, par exemple, en décembre 2010, et qu’il était en fin d’instruction en mars 2011, en pleine époque gaz et pétrole de schiste partout en France, il est clair que dans la loi qui a été votée et qui concerne les gaz et pétrole de schiste, on aurait trouvé une ligne sur les hydrocarbures, c’est évident.

Est-ce qu’une intervention d’une grande ONG comme Greenpeace aurait pu changer la donne ici en Guyane ?

Greenpeace est intervenue ici. Elle fait un courrier au Préfet, qui n’a pas souhaité répondre, je crois. Elle a cosigné et elle a participé à notre communiqué de presse sur la question qui a été envoyé le 26 février. Elle l’a fait, d’autant plus que cela s’inscrivait dans l’une de ses campagnes pour un moratoire sur les hydrocarbures non conventionnels dont font partie les gaz et pétrole de schiste à cause du procédé de production, la fracturation hydraulique, qui est très impactant pour l’environnement. Elle demande aussi un moratoire qui concerne sur le pétrole profond ou ultra-profond parce que le risque est important et en cas de problème l’intervention difficile.

Est-ce que le nouveau Préfet peut mettre fin à ce forage exploratoire ?

Il a un arsenal de dispositions légales à sa portée, notamment l’arrêté d’ouverture des travaux de l’entreprise qui court jusqu’au 30 juin, et qu’il a la possibilité de ne pas le renouveler. Auquel cas l’entreprise sera en infraction si ses travaux continuent au-delà de cette date.

Selon la Tullow Oil, le renouvellement de l’ouverture des travaux est automatique dès qu’ils ont dépassé le budget prévu initialement.

C’est leur version des choses. Dans le Code minier, c’est la qualité technique et financière, et les efforts fournis par l’entreprise dans le cadre du premier permis de recherche qui sont évalués. Il est clair que pour la lecture de l’Etat, le fait d’avoir investi financièrement est un élément important. Est-ce qu’il est prépondérant ? Je ne sais pas, tout dépend aussi du travail technique réalisé par l’entreprise. Là en l’occurrence il paraît clair que l’entreprise obtiendra son renouvellement de permis de recherche. Ce n’est pas uniquement le niveau, le compartiment financier qui est audité, ce sont aussi les aspects techniques. Peut être que la Tullow Oil part du principe qu’étant donné son niveau technique, elle ne sera pas inquiétée sur cet aspect là. Il faut quand même lui rappeler que ce n’est pas automatique. La Tullow Oil a reçu deux arrêtés préfectoraux. L’arrêté du 13 janvier 2011 qui donnait à l’entreprise un avis de non opposition qui lui permettait de faire venir la plate-forme. Cet arrêté a été modifié par un arrêté du 03 mars relatif à la date de démarrage.

Le Préfet a tout de même du pouvoir pour faire arrêter le processus.

S’il le souhaite, oui tout à fait.

Est-ce que vous connaissez la position du nouveau Préfet à cet égard ?

Aucunement.

De manière générale, que pensez-vous du choix pétrolier à l’heure actuelle ?

Là je vais reprendre le discours de Greenpeace notamment.

Travaillez-vous avec eux au quotidien ?

Peu. GNE travaille plus avec France Nature Environnement (FNE), mais c’est aussi leur discours. C’est en fait le discours de tous les gens qui réfléchissent un petit peu à moyen ou à long terme, avec une vision de réduction des impacts ou de préservation et de conservation de l’environnement. En clair, on est en train de passer actuellement le peak oil. C’est une période historique pour nous. Cela fait 150 ans que notre développement est basé sur l’industrie, et dans lequel le pétrole a joué, joue encore et jouera encore pour quelques décennies un rôle central. Envisager l’humanité sans pétrole, c’est quelque chose qu’il convient d’avoir en tête à l’heure actuelle, de façon à faire les bons choix, autant en termes d’orientation énergétique pour éviter des crises et aussi pour limiter la casse également.

Que pourrait-on imaginer ici en Guyane comme orientation énergétique ?

Pour compléter mon propos, très probablement l’homme sera tenté d’aller exploiter le pétrole jusqu’à ce que l’exploitation lui coûte trop cher en termes de pétrole, et que de ce fait il ne soit plus rentable de dépenser x tonnes ou x millions de tonnes d’hydrocarbures pour aller en chercher un petit peu moins. Si on ne fait rien, l’homme ira jusque là. Donc il convient à un moment donné de faire quelque chose et de fixer des limites en termes de prise de risque. Avec ce forage pétrolier en Guyane, la France tout compris, départements et communautés d’Outre-mer, vient de battre son record de profondeur. Très certainement ce record sera battu dans les années qui viennent. Et puis peut être qu’il sera battu à son tour quelques années plus tard. En clair, à l’heure actuelle, on est rendu sur des profondeurs qui sont de l’ordre de 7 000 mètres, peut être que dans les 5 à 10 ans qui viennent on arrivera à 10 000. Je parle là des profondeurs qu’il y a au niveau mondial. Depuis que la raréfaction de la ressource à terre, on a de plus en plus recours à des recherches et des exploitations en mer et sur des profondeurs de plus en plus importantes. Cette orientation va certainement s’affirmer dans les années qui viennent et avec les risques. Donc il faudra bien à un moment donné une limite en disant que les gaz et huiles de schiste à fracturation hydraulique c’est non, c’est ce que la loi va prévoir dans les semaines qui viennent, que les sables bitumineux c’est non, ce qui est la responsabilité à l’heure actuelle notamment du Canada et des Etats-Unis, et que le pétrole off-shore au-delà de x mètres de profondeur c’est non. Il faudra certainement, pour limiter les risques, qu’on en arrive à ça.

Ca c’est pour poser des limites.

C’est le premier palier. Après qu’est-ce qu’on fait sans pétrole ? A l’heure actuelle, ce sont des orientations que l’on peut voir au niveau national et régional. Au niveau national, il s’agit de laisser au développement des énergies renouvelables suffisamment de place dans la loi pour qu’elles puissent se développer efficacement. A l’heure actuelle on a une loi qui est restrictive relativement à ce développement et qui empêche bon nombre d’entreprises de se développer comme elles l’entendent. De ce fait on a un taux d’énergies renouvelables en France, hors hydraulique, uniquement avec le photovoltaïque ou l’éolien, qui est trop faible ou grevé par des dispositions légales, qui ont certainement été mises en place à la demande du lobby énergétique traditionnel. Ces dispositions légales en dans la législation au niveau national ont eu un impact très fort sur le développement des filières, notamment le photovoltaïque ici en Guyane, où l’on est passé de quelques centaines de salariés il y a 3 ans à quelques dizaines à peine aujourd’hui. Ce n’était pas des promesses en l’air, des gens avaient des CDI, et aujourd’hui ils font autre chose, ont quitté la Guyane ou sont au chômage. En tout cas ils ne sont plus sous contrat dans la filière en Guyane. Après il y a le niveau local. Il y a deux gros postes de consommation d‘hydrocarbures en Guyane : l’électricité et le transport. Pour le transport ce n’est pas simple. C’est une vision à long terme qui est basée en grande partie sur le développement des transports en commun, qui n’est pas simple à mettre en place, et pour laquelle il faut une grande concertation entre collectivités, et un plan de financement qui devra passer très certainement par une aide de l’Etat pour une viabilité au moins au début. Il faut aussi repenser la ville quand on repense les transports. Donc ce n’est pas forcément non plus très rapide et très facile. A mon avis c’est quelque chose qu’il faut bien évoquer et commencer à planifier. Certains élus en Guyane sont déjà prêts à s’atteler à ce genre de questions. Et on ne parle pas simplement du fait que sur l’île de Cayenne par exemple la SMTC va être rejointe par la mairie de Matoury ou celle de Rémire-Montjoly. On parle de véritables transports en commun. Qu’est-ce qu’on fait à l’échelle de l’île de Cayenne, de la Guyane, de son littoral, etc ? Quelle place pour un tramway par exemple sur les trois communes centrales de Cayenne, quelle place pour un train sur le littoral ? Ce sont des questions de long terme et qui coûtent cher. Certains y pensent déjà, y compris pour une proposition de tramway sur Cayenne-Rémire par exemple. Le deuxième poste de consommation important est l’électricité. Là par contre on peut faire des choses beaucoup plus rapidement. Une hypothèse envisageable pourrait être la production à domicile.

Avec des petites éoliennes ?

Soit cela effectivement, soit avec des panneaux photovoltaïques posés directement posés en superposition sur le toit des maisons, s’ils peuvent en supporter le poids en termes de charpente. Là par contre, si la filière est prête et sera très heureuse de réemployer les quelques centaines de personnes qu’on a perdu récemment, on a un problème qui est, à ma connaissance, qu’en Guyane on n’a pas de certification de validation de nos bâtiments en termes de charpente, et qu’il nous manque l’organisme qui pourrait donner son feu vert pour que de telles installations puissent être posées chez les particuliers. Donc si on veut développer cette filière, il convient très certainement de palier à cette carence. Dans quelle mesure cette carence n’est pas comblée à l’heure actuelle et pourquoi ? C’est une bonne question. EDF est l’un des quatre piliers du plan. Il faudra leur poser la question à l’occasion. Sur l’électricité on peut agir rapidement et facilement. On est sous les tropiques, on a une insolation record, donc l’énergie photovoltaïque est certainement très intéressante pour la Guyane. On a la chance d’avoir une énergie hydraulique importante avec le barrage de petit Saut, ce qui peut permettre de faire rentrer dans le système des énergies alternatives, qui n’ont pas une production constante comme par exemple le photovoltaïque et l’éolien en grand nombre. A l’heure actuelle la loi accorde une telle production à hauteur de 30%. On peut aller au-delà en Guyane, il ne faut pas hésiter. Je suis assez confiant sur notamment ce deuxième poste de consommation d’énergie pour le long terme. Au niveau de la production d’électricité domestique, je pense qu’il y a de vraies pistes à explorer.

Et pour les communes de l’intérieur de la Guyane ?

Pour l’intérieur, il est effectivement urgent là aussi de réfléchir à quelque chose d’autre qu’à des groupes électrogènes. Plusieurs pistes existent à l’heure actuelle, nous ce que nous souhaitons c’est être partenaires de la prise de décision publique de façon à ce que les impacts environnementaux de la mise en place de ces procédés de production soient les plus faibles possibles. Je pense notamment à l’hydraulique. Après il y a également la piste biomasse qui conviendrait d’explorer comme il se doit, pas uniquement avec le bois énergie, il y a aussi les déchets qui produisent également de l’énergie. Là aussi nous souhaitons être partenaires de la prise de décision publique de façon à tenter de limiter les impacts environnementaux. Sur la biomasse notamment nous souhaitons en particulier que l’ambiance forestière puisse être conservée si d’aventure des forêts de production devaient être mises en place. Donc en clair on ne veut pas des champs à produire du bois.

Est-ce qu’il y a d’autres pistes de solutions mis à part l’hydraulique et la biomasse pour l’intérieur ?

Pour l’intérieur il y a le photovoltaïque avec la tentative de Kaw, mais qui pose régulièrement un problème important de gestion des déchets, notamment des batteries. Donc on peut regretter le fait que régulièrement, après une installation un petit peu exemplaire, le suivi soit un petit peu déficient, et qu’on trouve longtemps dans des sites isolés du stockage de batteries de ce type. Cela a été le cas à Kaw longtemps, c’est actuellement le cas à Saül. C’est un petit peu problématique.

Il n’y a pas de problèmes de batterie sur le littoral pour le photovoltaïque ?

Vous prenez un véhicule et vous l’amenez à la déchetterie ou à ENDEL. Le plomb contenu dans les batteries c’est quand même relativement lourd et le transport aérien, avec les difficultés de se poser sur des sites isolés, ou transport fluvial, ne sont pas aisés.

Est-ce qu’il y aurait moyen de recharger les batteries du photovoltaïque ?

Je ne sais pas. Non, je pense que c’est un produit qui par essence a une espérance de vie limitée. Mais là c’est à la limite de mes compétences. Mais le développement des énergies renouvelables demandera aussi un suivi qui est important. Il est certain que faire démarrer un groupe électrogène, c’est beaucoup plus simple que de faire réparer une centrale photovoltaïque ou une micro-turbine hydraulique qui pourrait avoir un problème. Mais c’est quand même dommage qu’en Guyane on ne dispose pas encore à l’heure actuelle d’un service technique qui puisse intervenir rapidement et assurer le suivi de ces installations. On a trop souvent affaire à la création d’unités de production qui ne fonctionnent que très peu de temps. On a déjà vu beaucoup d’exemples de mise en place d’une unité de production durable qui au bout de 5 ans s’avère ne plus fonctionner. Ce n’est pas très durable justement. C’est quelque chose qui peut être réglé, il ne faut pas changer de filière. Ce n’est pas ça notre souhait. Il faudrait plutôt se doter des moyens techniques d’entretien et de suivi des installations, ce qui passe bien évidemment par leur dimensionnement économique. En clair, il faut aussi penser au fonctionnement.

Pensez-vous que le développement de la Guyane passe par l’exploitation des ressources minières quelles qu’elles soient, par des multinationales ?

Le développement doit passer, non, après passe, passera, peut être. Passe obligatoirement, non.

Quelles sont les pistes de développement de la Guyane ?

Avant d’en venir au développement, je voudrais parler du fait que les ressources minières sont non renouvelables. C’est leur grande différence avec la pêche ou la forêt qui sont des ressources renouvelables, qui sont un service rendu par la nature. Pour les ressources minières, c’est aussi un service, mais qui n’est pas renouvelable. Une fois qu’on l’a exploité, après il n’y en a plus. Donc il faut bien que les politiques aient à l’esprit cet aspect là. Si on l’exploite au temps t on ne l’aura plus au temps t+. Il convient de mettre en place un calendrier d’exploitation à très long terme qui permette de faire en sorte que plusieurs générations puissent avoir accès à l’exploitation de ces ressources non renouvelables. Après il y a l’impact généré par cette exploitation. A l’heure actuelle au niveau minier, on a plusieurs types de ressources, dont l’or. Nous ne disposons pas en Guyane en 2011 de procédé de production avéré qui soit faiblement impactant pour l’environnement. C’est-à-dire que si vous voulez produire de l’or en 2011, vous êtes obligés il y a forcément des impacts pour l’eau et pour le milieu naturel qui sont importants. Ce n’est peut être pas pour ça que dans quelques années, dans quelques décennies on ne disposera pas d’un tel procédé. Mais à l’heure actuelle force est de constater que ce n’est pas le cas. Si vous êtes aux manettes en termes de prise de décision politique, ce n’est pas le bon moment pour se lancer dans une exploitation à tout va de la ressource, car de toute façon elle sera synonyme d’impact important pour le territoire, notamment en termes environnementaux. Donc pour l’or selon nous, il est urgent d’attendre. En termes d’impact et de procédés, pour le pétrole, c’est un petit peu pareil. A l’heure actuelle on sait que les risques du pétrole ultra profond sont importants. Si jamais du pétrole devait être découvert au large de la Guyane, on pourrait peut être prendre quelques années pour réfléchir aux bons moyens de l’exploiter de façon à ce qu’on se prémunisse efficacement d’un accident ou d’une pollution chronique. Si jamais on passe à de la production, on aura d’autres types d’impacts et notamment ce qu’on appelle les pollutions chroniques. On retrouvera malheureusement régulièrement des petites boulettes de fioul sur les plages de Guyane. Il faudra aussi qu’on arrive à se passer de ça. L’écosystème, les pêcheurs guyanais, les plaisanciers et les baigneurs apprécieront. Deuxième type d’aspect qui doit rentrer en ligne de compte, la fiscalité, c’est-à-dire les retombées. A l’heure actuelle, pour l’or, les 400 € qui sont laissés à la Guyane pour chaque kilo d’or produit, qui lui frôle les 40 000 € au kilo, sont notablement insuffisant. On est sur un pourboire qui est pratiquement insultant.

S’il y a une exploitation pétrolière, dans quelle mesure cela pourrait avoir des répercussions positives pour la Guyane ?

Et bien ça il convient de le créer et de le fixer par la loi. A l’heure actuelle la loi ne le prévoit pas. On n’a pas d’unité de production pétrolière off-shore en Guyane. Si jamais du pétrole devait être découvert en Guyane et qu’un permis d’exploitation devait avoir lieu dans les 5 ou 7 ans qui viennent, et bien ça serait la première fois qu’on produirait du pétrole off-shore. Il convient en fait de déterminer le cadre légal. Alors que la ressource est non renouvelable, alors que les impacts pour l’environnement sont là, il conviendrait, si une exploitation devait avoir lieu, qu’elle puisse bénéficier au plus grand nombre et qu’on ne reproduise pas ce qui se fait pour l’exploitation aurifère en Guyane, qui elle dispose d’une loi, de notre point de vue relativement insuffisante car elle ne permet pas que l’exploitation profite au territoire. On n’a pas de loi sur le pétrole pour l’exploitation. Ce n’est pas parce qu’on en aura une qu’on aura forcément tout bon. Non seulement il faut produire une loi, mais il faut aussi faire en sorte que cette loi soit équitable. Or on sait par ailleurs que les multinationales ne sont pas des pygmalions. En face des intérêts de la Guyane il y aura l’intérêt privé.

Est-ce que l’Etat ou les collectivités guyanaises auront la capacité de négocier avec la multinationale qui exploiterait du pétrole ?

A l’heure actuelle la loi prévoit d’ores et déjà que les collectivités puissent elles aussi avoir leur mot à dire. Moi je ne peux que vous renvoyer à la consultation de ces collectivités là pour voir ce qu’elles pensent à ce sujet. Je crois savoir que la Région a d’ores et déjà mandaté une étude sur la fiscalité pétrolière. J’espère que les conclusions de cette étude seront rendues assez vite.

Entretien avec Patricia TRIPLET – Directrice du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Guyane (CRPMEM)

Comment vos revendications relatives aux études d’impact ont-elles été prises en compte par la Tullow Oil ?

Ce projet de forage ne date pas d’aujourd’hui. Nous avions déjà posé des questions précises auparavant. Pour ce forage nous avons participé à plusieurs réunions d’information. Nous avons tout de suite souhaité qu’il soit procédé à un échantillonnage pour connaître la ressource halieutique car il s’avère que nous avons peu de données à son sujet, même si nous connaissons les espèces. Le plus important était donc de réaliser des études physico-chimiques. Car on ne sait pas ce qui peut arriver demain, sans même parler de marée noire. Si demain il y avait un problème, il est important de connaître l’état initial et l’état post-problème. Je n’appelle pas ça des revendications. C’est quelque chose de tout à fait normal. Le Comité des pêches aurait de toute façon fait ces études à moyen ou à long terme. Mais comme une plate-forme s’installait, cela devenait urgent. Ca fait des années que nous le demandions. Mais quand nous en avons fait la demande, nous les avons sentis réticents. Le Préfet Daniel Ferey nous a demandé de faire notre demande par le biais de la Préfecture. Et en fin de compte c’est aux dernières réunions que nous avons eu des informations. Nous n’avons jamais communiqué directement avec la Tullow Oil. Le directeur de la DEAL nous avait répondu que ces études n’était pas possibles car le délai était court, mais nous avions déjà fait notre demande, nous avions respecté les délais, mais à force de nous faire attendre, le délai devenait de plus en plus court. Ces études n’étaient pas obligatoires, mais s’il devait y avoir une exploitation ça devenait obligatoire. Nous n’avons pas lâché prise car c’est important pour le secteur de la pêche, pour la Guyane. Nous avons fait du forcing. Nous avons insisté auprès de la Préfecture. Puis il y a eu ce petit article sur l’arrêté préfectoral qui pour nous n’était pas satisfaisant parce qu’il était vraiment très général : article 28 « Caractérisation des ressources halieutiques ». 6 lignes. Ils nous disent que l’explorateur devra faire des prélèvements contradictoires sur 10 espèces de poissons et pas plus de 5. Donc ça veut dire 50, alors qu’il y a en Guyane plus de 200 espèces. Bien que la plate-forme soit à 160 km de la côte, s’il y a un souci, ce sera de la côte jusqu’à la plate-forme. Les prélèvements auraient donc dû se faire de la mangrove jusqu’à la plate-forme. Nous l’avons fait. Nous avons été jusqu’au bout de notre demande. Mais quand nous avons vu cet article là, nous avons eu une réunion avec les scientifiques de l’IFREMER, nous avons aussi sollicité l’avis de WW, pour savoir si cet article était satisfaisant et si nous pouvions faire des échantillons convenables. Nous nous sommes rendus compte que c’était très général, mais toutefois mieux que rien.

Comment est-ce qu’actuellement la Tullow Oil surveille l’impact de sa plate-forme sur le milieu marin ?

Nous n’en savons rien car il n’y a pas de collaboration, ni de partenariat, ni de communication avec Tullow Oil. Nous les avons sollicités pour une réunion. Ils voulaient faire un prélèvement d’échantillonnage sur le marché au MIR. Nous leur avons dit qu’il faillait faire une campagne de pêche. Nous avons dû financer cette campagne en partenariat avec le WWF, ce qui est vraiment contradictoire. Le WWF s’est associé avec nous pour financer une campagne qui normalement aurait dû être payée par Tullow Oil. Comme cela n’était pas précisé sur l’article de l’arrêt préfectoral, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Au marché on ne peut pas dire qu’il y a une grande fiabilité, il faut aller à la source.

Cependant les courants marins autour de la plate-forme et dans la zone de pêche ne sont pas contigus, ils ne se croisent pas.

Il n’y a pas de zone de pêche proche, nous sommes d’accord. Nos bateaux ne vont pas aussi loin. Mais la ressource est mobile. Ce qui a également attiré notre attention c’es que le rapport montrait que le forage pouvait avoir un impact sur le vivaneau. Or les pêcheurs ont besoin de la ressource halieutique. Si nous n’étions pas intervenus, qui l’aurait fait ? Si demain il y a un souci, il n’y aura pas un souci là où il y a la plate-forme, qui est effectivement au large, mais ça viendra de toute façon sur la côte.

C’est surtout la côte de la réserve de l’Amana, vers Awala-Yalimapo, qui serait la plus touchée en cas de problème.

Nous avons une certaine légitimité car nous sommes dans le secteur de la pêche et c’est notre ressource. Mais au-delà, il s’agit tout de même de la ressource de la Guyane. Donc il n’est pas possible de venir ici, de ne pas réaliser une base de données, et de dire que s’il y a un souci demain ce n’est pas grave.

Est-ce que vous n’avez pas des moyens de pression sur la Tullow Oil ?

Vous avez vu la Tullow Oil ?

Est-ce qu’avec le nouveau Préfet Denis Labbé cela pourrait changer la donne ?

Nous ne l’avons pas encore rencontré. Notre Président Mr Médaille le rencontrera. Ca sera un des sujets mais je ne sais pas du tout quel est le point de vue du nouveau Préfet sur la question.

Pourquoi est-ce que vous n’avez pas plus alerté l’opinion publique sur le possible impact de la plate-forme ?

En fin de compte, nous ne disons pas que nous sommes pour ou contre la plate-forme. Ce n’est pas le fait qu’il y ait un forage exploratoire ou non qui nous dérange. C’est plutôt le fait qu’ils soient dans la mer, là où les pêcheurs vont pêcher, même si ce n’est pas à côté. Comme il peut y avoir un impact sur la ressource halieutique, c’est normal que nous intervenions. Notre demande concernait principalement l’établissement d’une base de données en cas de souci. Base de données que nous aurions dû avoir, mais pas si urgemment. Etant donné qu’il y avait des réunions pour pouvoir discuter de ce que nous souhaitons, nous avons suivi le circuit normal : demandé qu’il y ait un rapport et une base de données sur la ressource halieutique. Et là nous nous sommes fait entendre lorsque nous avons dû prendre à notre charge la campagne d’échantillonnage. A ce moment là nous avons communiqué. Nous avons envoyé un communiqué de presse à tous les médias, il y a eu des articles sur France-Guyane, sur Guyane 1ère.

Combien vous a coûté cette campagne d’échantillonnage ?

10 000 €. Avec la participation financière, heureusement, de WWF à hauteur de 5 000 €. C’est symbolique, ce n’est pas tant le pas le montant. La Tullow Oil est une multinationale, que représente pour eux 10 000 € sur le principe ? Comme nous l’avons écrit sur notre communiqué de presse, nous nous sommes interrogés. Cela a été notre cri de guerre car là nous avons dû faire participer les pêcheurs, etc. Ils viennent sur notre territoire et en plus nous devons payer pour se rassurer, c’est de la folie. Vous ne pouvez pas savoir combien cela coûte. Au Comité des pêches nous n’avons pas les moyens de Tullow Oil. Donc ce n’était pas prévu dans notre budget. Il nous faut aller chercher des financements. Et quand nous n’avons pas les financements, il faut solliciter les pêcheurs. Le secteur de la pêche ne roule pas sur l’or, même si on est le 3ème secteur économique de Guyane. Les pêcheurs ont du mal avec l’augmentation du prix du carburant, mais nous avons financé cette campagne, pour en montre l’importance.

Est-ce que les pêcheurs eux-mêmes s’inquiètent de la présence de la plate-forme ?

Il est vrai que nous les avons sensibilisés. Inquiets, oui parce que même s’ils ne vont pas pêcher aussi loin, tout ce qui peut toucher à la ressource halieutique est susceptible d’inquiéter les pêcheurs. Donc dès qu’il y a quelques bateaux étrangers, ça inquiète. La plate-forme, si demain il y a un souci, ça inquiète. Donc oui. Mais pas au point d’aller mettre des barrages par exemple.

Si jamais il y a un problème de type marée noire, ou même un petit problème, est-ce que la profession est juridiquement bien protégée ?

Nous avons demandé qu’il y ait un rapport sur la ressource halieutique, une base de données. Nous avons aussi demandé une compensation financière en cas de souci pour les pêcheurs, ce qui a été refusé catégoriquement.

Est-ce que vous aviez demandé un montant précis de compensation ?

Non parce qu’il faut d’abord demander une compensation et après négocier un montant. Mais depuis le départ nous avons essuyé un non, un « nous ne faisons pas jouer nos assurances », « nous ne faisons rien jouer ».

Est-ce que ce refus était dans l’étude d’impact ?

Oui tout à fait. Il y avait deux points qui nous semblaient importants pour nous au niveau de la filière pêche : le problème sur la crevette et le vivaneau en cas d’impact, et le fait qu’il n’y ait pas de compensation financière. Nous avons été à l’attaque sur ces deux points là. Pour la compensation nous avons tiqué parce que ça a été un refus catégorique. Mais il nous paraissait plus important de demander cette étude sur la ressource halieutique avant de voir pour cette compensation. Mais s’il y a un souci, je pense que la Tullow Oil doit avoir 10 000 avocats, alors je ne sais pas ce que nous pouvons faire.

La Tullow Oil me disait que pour surveiller la ressource marine autour de la plate-forme ils procèdent à 6 survols en hélicoptère par mois. Est-ce que vous pensez que c’est une mesure pertinente ?

Non, sauf peut être pour voir des cétacés. Mais ils ne voient pas les poissons. Donc si on parle vraiment de pêche, je n’en vois pas vraiment l’utilité. C’est bien pour les cétacés et pour les ONG qui étaient inquiètes pour les tortues marines. Pour les pêcheurs il n’y a pas d’utilité.

Revenons-en aux prélèvements.

Il y a eu une réunion avec la Tullow Oil. Nous avons insisté pour avoir une campagne de prélèvement en mer. Ils nous ont dit d’accord, qu’ils allaient faire venir leur scientifique de Creocéan [société de Services et Conseil en Environnement Littoral et Marin et Océanographique], mais qu’ils ne payaient pas la campagne. Notre ingénieur halieutique Mr Navolic est parti avec le scientifique Mr Bergeron, depuis la côte. Ils ont pris des bateaux de pêche côtière puis des crevettiers. Comme la mer était très mauvaise ils n’ont pas pu prendre les ligneurs vénézuéliens.

Où ont ensuite été envoyés ces échantillons ?

Mr Nalovic et Mr Bergeron ont mis ça dans un emballage spécial de congélation, qui a été à l’Ifremer, puis le laboratoire qui s’occupe de ça est venu récupérer le sac et est reparti avec. Il faut ensuite 8 semaines pour avoir le rapport, qui n’est toujours pas là alors que nous sommes à plus de 9 semaines. Mais nous ne pourrons pas obtenir ce rapport directement même si nous avons payé la campagne car le client de Creocéan est la Tullow Oil. Pour en avoir une copie il faudra que nous en fassions la demande à la Tullow Oil. Ce qui va être une autre paire de manches… Mais il n’y a pas que la marée noire. Il en va aussi de la commercialisation, de la promotion et de la valorisation. En ce moment les tendances sont inversées. Il y a 3 types de pêcheries : la crevette, le vivaneau, et le poisson blanc et poissons côtiers. La crevette est en pleine crise, le vivaneau reste toujours en 2ème position. Depuis deux ans nous faisons beaucoup plus de tonnage au niveau du poisson blanc. Donc les ressources évoluent et c’est pour cela que nous allons développer durablement la pêche côtière. Mais imaginez une mauvaise publicité. On fait de l’export. Si les gens disent : « Ah ben non, on ne mange pas de poisson car il y a du mercure comme l’aïmara. » Alors j’imagine une plate-forme et qu’on nous dise : « Ah ben non il y a trop de, je ne sais pas. » C’est pourquoi nous avons voulu avoir cette base de données pour savoir, en cas de modification, si elle est due à cette plate-forme ou pas.

Sur les prélèvements vous allez analyser quoi en particulier ? Quelles molécules ?

C’est une étude physico-chimique. Après l’installation de la plate-forme nous le referons pour voir s’il y a une modification de la ressource. Tout ne va pas être étudié. Nous avons gardé une partie des échantillons au cas où il y aurait un problème plus grave.

Pensez-vous que le développement de la Guyane passe par l’exploitation des ressources minières quelles qu’elles soient par des multinationales ?

C’est une question très politique, donc ce qui m’embête un peu c’est qu’elle ne reflète pas forcément ce que pense la filière. J’ai un Président qui vous aurait répondu différemment. J’ai envie de répondre : une multinationale, quelles répercussions pour la Guyane quand on voit déjà ce qu’il en est rien que pour l’exploration ? Est-ce qu’il y a eu ne serait-ce qu’une petite goutte de répercussion économique pour nous les guyanais ? Donc les multinationales sont là pour faire marcher leur entreprise et elles sont tellement puissantes que peu importe de toute façon nos réactions. Nous voulons une répercussion économique. La seule évoquée pendant les réunions était à la limite de l’embauche locale. Mais pour cela il faut que ce soit du personnel qualifié, hyper qualifié. Mais maintenant ça me semble trop tard pour qu’il y ait des ingénieurs guyanais. Ca fait des années qu’ils parlent de ça. Pourquoi n’est-on pas parti sur un plan de formation depuis ce temps ? Quelle est leur volonté ? Quand on voit sur le site internet de la Tullow Oil comment elle agit ailleurs, je ne vois pas quelle répercussion il y a eu dans les autres pays. En Guyane, le carburant, ils ne sont pas venus se fournir chez nous car c’est trop cher. S’ils voulaient vraiment, ils auraient les moyens, ils auraient réparé les cuves. La Guyane aurait eu des sous, des répercussions. Ca ne les dérange pas non plus d’aller acheter tout ce dont ils ont besoin au Suriname, au lieu de l’acheter en Guyane ? Depuis le début ils se montrent vraiment dans leur image de leur multinationale : c’est la France métropolitaine qui a signé, on vient là mais bon…

Cependant, le directeur local de la Tullow Oil, Mr Joachim Vogt, n’a peut être pas tout pouvoir ici en Guyane. Il est peut être soumis aux contraintes de sa hiérarchie.

Est-ce que les demandes locales ont été honorées ? Certains journalistes ont réagi au niveau médiatique. Même des élus n’étaient pas au courant du dossier : en réunion d’information ils en sont encore au point de savoir comment ils pourront tirer un bénéfice s’il devait y avoir quelque chose. On est pratiquement certain qu’il y aura du pétrole. Ca semble un peu bizarre qu’il y en ait un peu partout et pas en Guyane. Je n’ai pas l’impression que les négociations soient gagnées d’avance pour nous.

Pensez-vous que les retombées économiques en cas de forage d’exploitation soient très faibles pour la Guyane ?

C’est vraiment une question politique. Je pense qu’il faut se tourner vers la Région et le Conseil Général. Mais oui ils peuvent voir. Peut être que par leur biais une répercussion au niveau des entreprises et de la formation des jeunes diplômés guyanais sera possible.

Est-ce que la future collectivité unique peut faire le poids face à la Tullow Oil ?

Qu’est-ce qu’ils peuvent dire ? S’ils demandent et que Tullow Oil dit non ? Qu’est-ce qui peut empêcher la Tullow Oil de venir ici ? C’est la Région qui décide ou ça se passe plus haut ? Là franchement je ne saurais même pas vous répondre.

Et s’il y avait une exploitation ,est-ce que ça impacterait sur les ressources marines, différemment d’un forage d’exploration ?

Il y aurait toujours un risque. Mais déjà c’est différent car la Tullow Oil a l’obligation de faire cette base de données, de revoir son étude d’impact, etc. Mais nous aurions toujours au dessus de nous une épée de Damoclès.

Êtes-vous plutôt pour ou contre un tel forage ?

Je pense que nous ne pouvons pas nous prononcer sur la question. Nous ne pouvons pas nous dire que nous sommes contre si effectivement il y a des répercussions économiques, ce que nous ne savont pas encore. Nous attendons de voir ce que les politiques vont dire. Je sais qu’il y a des possibilités de demander des taxes ou autre chose. Une répercussion directe ça reste à voir. S’il pouvait y avoir des retombées économiques, ça serait bien pour toute la Guyane, y compris la filière pêche. Maintenant, c’est un risque important à prendre en compte ? Car si demain il y a un souci dans notre pays, c’est toute la filière pêche qui meurt, c’est-à-dire le 3ème secteur économique direct pour la Guyane (les premiers sont le spatial et l’orpaillage). Les pêcheurs sont des entreprises locales. Le forage est un dossier sur lequel nous n’avons pas trop de visibilité à propos de l’avenir. Il y a eu des réunions d’information sur des points précis. Mais comment peut-on se faire une idée ? Même en tant que citoyenne… Parce que ce sont des probabilités. Nous n’avons pas de transparence du tout sur ce dossier donc nous ne pouvons pas nous faire une idée précise. Et quand je vois comment les réunions se sont passées, je me demande si les collectivités auront cette transparence là. Je trouve que la filière pêche s’entend bien avec le WWF, avec la Direction de la mer (ex-DRAM). Et malgré ce dernier appui de la Direction de la mer, en sachant qu’elle représente quand même l’Etat, nous avançons avec difficulté sur ce dossier là. Nous aurions pu travailler en bon partenariat avec Tullow Oil. Ce n’est pas le cas.

Et qu’est-ce qui bloque ?

Nous n’en savons rien. Je pense qu’ils n’ont pas apprécié notre demande.

Entretien avec Joachim VOGT-  Directeur régional de la Tullow Oil en Guyane

Pouvez-vous nous rappeler la date de début des travaux de forage ?

Les travaux ont démarré le 04 mars 2011, à savoir les travaux de forage. La mobilisation de la plate-forme a commencé le 09 février puisqu’il y a le transfert de la plate-forme du Golfe du Mexique jusqu’à son lieu de forage.

Quel est le coût total du projet pour la Guyane ?

Il a été estimé initialement de l’ordre de 125 millions de $. Budget que nous avons déjà dépassé et qui risque d’aller au-delà de 190 millions.

Pourquoi avez-vous dépassé le budget ? Est-ce que c’est inhérent à notre situation géographique ?

C’est inhérent au fait que nous avons eu des difficultés techniques qui ont été longues à résoudre. Les opérations de forage sont plus longues que la mise en œuvre qui était planifiée à cause de ces mêmes difficultés et des précautions supplémentaires qu’il faut prendre. Le coût est un coût journalier. La plate-forme est louée et les autres services pétroliers associés sont des prestations sur 24 heures. Donc chaque jour qui est perdu, ou chaque jour de plus qu’il faut mettre à l’œuvre ajoute un million de $ par jour, environ.

Donc l’exploration coûte un million de $ par jour ?

En moyenne. Ca va varier. Tel jour ça va vous coûter 850 000 $ et un autre jour 1 million 300 000 $.

Qu’est-ce que comprend ce 1 million de $ par jour ?

C’est le coût de la plate-forme d’abord, le coût des 4 navires d’assistance, les 2 hélicoptères, et toutes les équipes qui y sont associées. C’est le fioul journalier qui est consommé, de l’ordre de 50 000 litres par jour. Ensuite vous avez les équipages et les équipes d’ingénieurs spécialisés.

Combien de personnes en tout travaillent sur la plate-forme ?

Sur la plate-forme il y a en moyenne 125 personnes. Mais derrière vous avez d’autres équipes. A Tullow Oil, à Londres et à Dublin. Chez Shell, Houston, à Paris, chez Total aussi. C’est un grand travail d’équipe. Il y a énormément de gens qui participent à ce processus de par leur expertise particulière.

Et ici à Cayenne ?

Nous sommes ici en moyenne 14 personnes.

Comment sont partagés les risques financiers et comment comptez-vous amortir les sommes engagées pour l’exploration ?

Dans l’exploration, les sociétés pétrolières ont pour habitude de mutualiser le risque en prenant des participations dans un titre d’exploration. C’est-à-dire qu’une société qui va acquérir un titre d’exploration et qui voudra faire un travail particulier, une étude sismique, des études lourdes ou un forage, elle va chercher à faire participer d’autres sociétés pour réduire son exposition au risque de perdre cet argent. Quand vous faites une sismique vous n’avez pas de résultat derrière. La sismique donne l’imagerie du sous-sol. C’est un point d’étape dans un avancement, mais ce n’est pas quelque chose qui est un résultat final. Derrière cette sismique, dans un secteur, on peut faire un forage. Ce forage va vous donner quelque chose de plus consistant en termes d’aboutissement. Donc cet aboutissement est complètement négatif si le forage est sec ou peu concluant et non concordant avec les prédictions de la sismique, les prédictions des interprétations des géologues, etc. A ce moment là, l’investissement qui a été effectué sur le forage est perdu. De toute façon, il s’agit tout simplement d’une dépense. L’exploration c’est de la dépense sans qu’il y ait des recettes en face. Les sociétés pétrolières financent l’exploration sur leurs fonds propres, qui sont nourris par la vente de pétrole brut des autres projets d’exploration. Pour faire de l’exploration vous devez avoir quelque part une production. Vous devez avoir une rentrée pour financer.

Est-ce le cas pour la Tullow Oil ?

Oui, c’est une question de taille de société. Les toutes petites sociétés vont avoir des participations mais ne vont pas s’exposer à des coûts importants. Il y a des sauts qualitatifs et quantitatifs associés qui font qu’une société a une capacité de production de tant de milliers de barils par jour, ce qui fait tant de milliers de $ de rentrée par jour, et qui permettent dans sa balance globale d’exploitation de consommer tant de $ par jour en exploration. Sur cette base la société va choisir un certain nombre de projets dans lesquels elle va prendre des participations ou alors être elle-même opérateur, ce qui est le cas de Tullow Oil. Donc le risque de réussite est de l’ordre de 20%. Il y a une chance sur 5 qu’il y ait une découverte ou quelque chose qui ressemble à une découverte. Donc dans 4 cas sur 5 la société va perdre l’investissement de ce forage, les 190 millions. Pour que ceci soit supportable, les sociétés mutualisent. Il vaut mieux avoir 5 projets comme ce forage ici en Guyane, dont un va réussir, dont un s’avérera être une découverte et être plus tard exploitable pendant des années, et dont 4 vont être perdus. Mais puisque vous êtes 5 sociétés, vous mutualisez chacun à 20%. Il vaut mieux avoir 20% d’une réussite que 100% de trois échecs. Derrière cela ce sont des stratégies d’entreprise où il y a de grandes entreprises comme Shell ou Total. Elles peuvent se permettre d’aller seules sur tel ou tel projet. Mais en général les sociétés cherchent toujours à travailler ensembles car cela permet également d’avoir une expertise croisée sur les questions et les décisions clés en termes de géologie, de géophysique, d’interprétation, de décisions stratégiques de mise en œuvre des différentes phases. Ca fait partie d’un esprit d’audit permanent. Les sociétés pétrolières sont auditées en interne en permanence et sont également dans une logique d’audit externe car elles sont en partenariat avec d’autres sociétés où l’ensemble de toutes ces équipes doivent quelque part converger sur des décisions. Donc vous avez un système de partenariats croisés, une sorte de contrôle qualité qui en permanence joue énormément. C’est vraiment nécessaire vu la complexité du nombre élevé de facteurs qui interviennent dans ce type d’activité.

Choisissez-vous une zone au hasard pour l’exploration ?

Non. Le pétrole au tout début c’est l’imagination d’un géologue qui se dit « Tiens, dans ce type de géologie on devrait pouvoir éventuellement ! » Et ensuite on progresse par élimination successive de facteurs. Ce projet en Guyane a 9 ans. Avant qu’on arrive à un forage il y a de nombreuses années d’études fondamentales d’abord, d’études régionales, de comparaison avec d’autres forages, d’analyses de données. Ensuite vous faites vos travaux de sismique et vous les interprétez. Il y a une telle chaîne de déductions successives que ce n’est pas une affaire qui tourne du jour au lendemain.

Pourquoi ne pas approvisionner la plate-forme via le port de Dégrad-des-Cannes ?

Le port Dégrad-des-Cannes est actuellement en travaux. Le quai 1 a été refait complètement. De ce fait se sont conjuguées deux situations. La première, des travaux qui font qu’un tiers des quais n’est pas disponible du tout, comprimant la disponibilité des deux quais restant par un trafic constant des liners. Et l’autre situation c’est une inadéquation au jour d’aujourd’hui du port de Dégrad-des-Cannes dans lequel il n’y a pas de disposition particulière qui est susceptible d’accueillir ou de supporter une arrière base d’exploration, à savoir une zone de dépôt de matériel. Il n’y a pas de place actuellement et encore moins à cause des travaux pour déposer des tubes, etc. C’est un port container. Ce n’est pas un port de vrac. Ensuite il n’y a pas de pompe à carburant pour bateaux. Il y a un tanker, un pétrolier qui arrive pour approvisionner la Sara, mais vous n’avez pas un quai pour approvisionner un bateau qui vient faire le plein. Les bateaux de commerce ne font pas le plein à Dégrad-des-Cannes. J’ai fait cette opération en 2003. J’avais fait le plein d’un tout petit bateau de sismique, avec des camions. Le débit pour ce genre d’opération c’est totalement exclu. La plate-forme nécessite entre 40 et 50 000 litres par jour. Il faut aller les chercher. C’est un critère majeur. Ensuite vous avez tout le contexte général de Dégrad-des-Cannes avec les problèmes d’accessibilité de la marée et du chenal. Donc ces facteurs se conjuguent et ont été pris en compte. Il n’a pas été possible pour ce forage de prendre le risque de s’approvisionner à partir de Dégrad-des-Cannes. Et c’est avec regret car nous faisons fonctionner la logistique à partir de Trinidad avec 4 bateaux. A un moment donné on en avait même 5. Un bateau uniquement pour le fioul. Des bateaux de 80 mètres. Une logistique extrêmement compliquée, très très tendue, avec des trajets de 700 miles nautiques entre la plate-forme et Trinidad où là il y a effectivement un hub qui est parfaitement capable d’accompagner ce genre d’opération. Le fioul nous le prenons à Paramaribo où il y a une pompe pour bateau. Il se trouve qu’au Suriname il y a actuellement des forages et il y a une zone de stockage de tubes, etc.

Et pour tout ce qui est denrées alimentaires, de nécessité quotidienne ?

Tout ce qui est cuvelage, tubes, la grosse mécanique vient de Trinidad. De Cayenne nous opérons des opérations avec ce bureau ici. Nous faisons des vols aéroportés avec 2 hélicoptères à partir de Cayenne Rochambeau. Nous faisons un vol par semaine avec des produits frais qui sont achetés en Guyane. Mais il ne faut pas se tromper de guerre. Ce n’est pas ça l’enjeu d’un impact. C’est une très bonne et une très mauvaise question. Il faut être juste. Un forage, après 30 ans d’inactivité d’exploration de cette nature là en Guyane, le dernier c’était en 1979, aussi compliqué qu’à 2 000 mètres d’eau, à cette distance, ne peut pas, en claquant dans les doigts, avoir un impact sur l’économie. Certes il y a les hôtels les voitures, bien sûr, mais ce n’est pas ça qui est de nature à impacter l’économie.

Alors, qu’est-ce qui serait de nature à impacter l’économie ?

La revalorisation du territoire s’il y a une découverte. Ca c’est une autre dimension. C’est une autre approche économique que celle d’un chiffre d’affaires dans quelques tiroirs caisse.

Qu’est-ce que vous entendez par revalorisation du territoire ?

Si vous avez une découverte en Guyane et que ceci est de nature à continuer l’exploration, à approfondir et à aller vers un développement. Si la Guyane devient une zone de production de pétrole dans le monde, ce serait de nature à avoir un impact majeur sur sa structure, sur toute son économie, sur la définition du territoire d’un point de vue de l’aménagement, sur le foncier, avec d’ailleurs de nombreux soucis qu’il faudrait maîtriser, la spéculation foncière. Ce serait un énorme enjeu qui suppose un travail de partenariat public / privé considérable pour bien entendu la Région et l’Etat, et demain la future collectivité territoriale de Guyane. Le consortium qui développerait une éventuelle production aurait énormément de travail pour mener ça à bien.

Est-ce que vous pensez que le développement de la Guyane passe par l’exploitation des ressources minières, par des multinationales ?

Dans le domaine pétrolier, la taille de l’entreprise est un facteur fondamental. Il n’y a qu’aux Etats-Unis qu’il y a des producteurs « familiaux » qui ont encore une pompe dans leur jardin car dans ce pays le sous-sol appartient aux propriétaires d’un terrain, d’un foncier. Ce qui n’est pas le cas en Europe, ni ici en Guyane. Cela appartient toujours à l’Etat. C’est donc pour ça qu’il y a aux Etats-Unis des petits producteurs de pétrole avec une pompe, comme dans l’ancien temps. Mais en dehors de ce phénomène là, dans le monde entier la production pétrolière est d’une telle complexité qu’elle requiert des tailles d’entreprise. Ce qui peut être le cas aussi dans l’or si vous parlez des autres ressources. Il y a des ressources qu’on ne peut pas exploiter en PME par définition, à cause donc du niveau des investissements, des études, des recherches, et des capacités financières que ça requiert. Il est très très difficile de prédire l’avenir surtout quand il s’agit de l’avenir. Le développement de la Guyane sera ce qu’il sera. Il se fera de toute manière, d’une manière ou d’une autre en fonction des dynamiques économiques qui voudront bien apparaître. La production de ressources minières est entendue au sens large, aurifère ou autre minéral, puisque tout le monde connaît la liste des grands minéraux qui sont disponibles en Guyane jusqu’à l’uranium, la bauxite, le kaolin. Tous ces minéraux, ce sont des ressources parfaitement valables pour être exploitées dans un cadre bordé de règles qui doivent être respectées. Evidemment aujourd’hui on a une dimension non régulière de ce point de vue là, irrespectueuse des textes. La protection de l’environnement, c’est un historique. Je pense qu’il y a aujourd’hui énormément de mutations dans le bon sens mais c’est un trajet qui est loin d’être fini. La comparaison avec les industries pétrolières est délicate parce que ce sont déjà deux mondes qu’on ne peut plus vraiment comparer à ces échelles et également des circuits de commercialisation et de la pression de la demande différents. Donc le développement de la Guyane, il peut se faire sous différents angles. Il est clair qu’on a beaucoup parlé de l’angle de l’écotourisme. Je pense qu’il n’y a pas d’exclusion. Une économie saine se nourrit de la diversité de ses dynamiques. Et dans de nombreux pays où le pétrole a été l’unique booster, les gens sont toujours aussi pauvres que ça et avec énormément de dysfonctionnements majeurs. Donc ce n’est pas une panacée. Là nous sommes dans le contexte européen et français s’il y a découverte ici. Donc ça suppose une régulation de la dynamique de développement qui verrait le jour, en toute logique. Développer une découverte pétrolière en Guyane, donc dans le contexte réglementaire français et européen, n’est pas quelque chose de simple et suppose de nombreuses courses d’obstacles puisque d’un point de vue juridique vous avez la concession qui est la base sur laquelle on peut passer à l’exploitation. Une concession ce n’est pas quelque chose qui tombe du jour au lendemain. Il y a énormément de procédures aujourd’hui, d’enquêtes publiques, d’instruction de dossier et un niveau d’exigences très important parce que nous sommes dans un monde extrêmement régulé en Europe.

Combien de temps faut-il pour obtenir une concession ?

Vous avez première découverte, ou indice de découverte en tous cas, ensuite vous allez dans un développement, et ce développement il fait une transition entre des découvertes qui sont corrélées avec la première. S’il y a une découverte là, avec la géologie, on se retrouvera peut être avec 10 autres forages qui seraient optimisés pour produire la structure, le réservoir s’il existe. Et toute cette transition entre l’exploration et la production, c’est ce qu’on appelle le développement. Mais il faut comprendre que c’est un cycle et que tout ne s’arrête pas dans le sens où vous êtes dans une phase permanente d’investissement, d’exploration et de meilleure compréhension de ce que vous faites d’un point de vue technique, tout en commençant à produire. Vous avez fait telle découverte. 15 ans plus tard cette découverte aura été produite mais d’autres corrélées auront été identifiées et vont prendre le relais. C’est ce qu’on appelle un système pétrolier. Un système pétrolier ce n’est pas un puits, c’est un système plus ou moins complexe, et de la complexité découle le nombre de puits qui vont être faits, le milliard que ça va coûter en investissements et le nombre d’années que vous allez produire. Donc c’est quelque chose qui serait de nature à avoir un tel impact sur l’économie de la Guyane que la gestion de cette vague serait vraiment essentielle. C’est là que les pouvoirs publics, dans une logique de partenariat public / privé ont toute leur place. Le consortium ou la société seule ne peut pas le faire. Puis il faut réussir aussi. Au Ghana, Tullow Oil a développé une découverte de 2007, a produit 4 ans plus tard la première, ce qui est un temps très court pour passer de la première découverte, ce que nous essayons de faire ici, aux jours J et J + X. Et ça c’est quelque chose qui est vraiment délicat. Au Ghana il n’y avait pas de producteurs pétroliers avant, c’est comparable un petit peu à ce qu’on a ici. C’est un pays en développement, etc. Pas d’infrastructures préalablement existantes qui seraient susceptibles de sustenter ce genre d’activités et donc également création ex nihilo de toute l’infrastructure qu’il est nécessaire de faire. Mais évidemment au Ghana elle a été créée pour cela et adaptée pour cette opportunité économique. En France, très probablement, il y aurait un petit plus de rigidité car nous sommes dans un monde régulé. Nous avons un système de concession. C’est une approche un petit peu différente. Encore une fois, sur cette question du développement, je ne pense pas que s’il y a une découverte majeure de pétrole pour la Guyane cela doive obérer toutes les autres pistes de développement, surtout pas. En revanche, une activité pétrolière, par exemple pour le tourisme, ferait d’office rentrer tellement de personnes par an de plus sur le territoire que l’industrie, le secteur du tourisme aurait une nouvelle manne de clients potentiels énorme, sans pub, mais très reliée à l’enjeu. Toute la macroéconomie guyanaise serait sollicitée pour ne pas complètement rater un bon départ. Et c’est là qu’une véritable interaction très forte entre les services de l’Etat, la collectivité territoriale et le consortium entre autres devrait créer un véritable partenariat, sans lequel ça peut tourner très très mal. Il y a beaucoup de risques avec ce genre de développement car vous pouvez avoir des phénomènes de spéculation. Il ne faudrait pas que la population guyanaise ou les entreprises guyanaises ou les entrepreneurs guyanais, les gens qui vivent ici, se voient submergés par un apport extérieur qui viendrait mettre en place les requis de l’industrie pétrolière. Il est excessivement important que le tissu existant en Guyane puisse dès le début d’un tel process être mis dans une logique de dynamique pour qu’il puisse également se préparer à participer. Parce que ce ne sont pas que les services spécialisés dans le pétrole qui seraient susceptibles d’être développés, c’est toute la largeur de bande d’une économie. En technologie spécifique elle va être ailleurs. Le front sur lequel il faut avancer simultanément est très très très très large.

Est-ce qu’à l’heure actuelle la Guyane a un potentiel pour accueillir un forage d’exploitation ?

Non. Il est nécessaire, s’il y a un développement, de partager les connaissances des besoins. Il y a un énorme travail de partage de connaissances pour que tous les acteurs, chacun à sa place, puissent participer à une dynamique collective. Sans cela c’est difficilement imaginable.

Pour quand est prévue la fin des travaux de forage ? Est-ce que vous pensez obtenir une prolongation au permis actuel ou passer sur une concession ?

Nous avons deux mois de retard à cause d’une série de difficultés techniques. Nous espérons pouvoir traverser la zone du réservoir début juillet, et finir le forage fin juillet. Nous avons aujourd’hui 60 jours de retard. Il est difficile de prédire une date exacte. Il y a aussi une courbe d’apprentissage. Il n’y a pas du tout eu de forage de cette nature là avant. Donc les caprices du sous-sol dans ce secteur sont maintenant bien identifiés et cela montre aussi qu’un forage n’est pas quelque chose qui est un automatisme. C’est véritablement un process qui est dans un sous-sol, dans un environnement, dans un contexte, qui a besoin d’être vraiment adapté. Nous sommes relativement confiants de pouvoir finir fin juillet. Maintenant, en ce qui concerne notre titre minier, cela n’influe pas du tout sur le titre. La période de validité du permis s’est terminée le 29 mai 2011. Le Code minier stipule que lorsque vous êtes dans une phase de travaux d’exploration, comme un forage ou une étude sismique, dès lors que vous avez déposé dans les temps votre dossier de demande de renouvellement, ce qu’on a fait au début de l’année, à savoir 4 mois avant la fin du titre, et bien d’office vous êtes autorisés à continuer nos travaux.

Donc vous avez un renouvellement jusqu’à quand ?

Nous avons demandé un renouvellement pour 5 ans. Et nous espérons que le ministère statuera rapidement, peut être à la rentrée ou avant la fin de l’année. Il y a des délais légaux. La dernière fois c’était très très long. Il n’y a pas de raisons que ça se répète comme ça. Avec les dépenses effectuées, entre la sismique et ce forage, nous avons dépassé 4 ou 5 fois le minimum de dépenses, et donc quand on a dépassé le minimum de dépenses, le titre est de droit. Ce n’est pas non plus une machine qui crache le titre, c’est un ministère. Il y a une instruction qui est en cours. Avec le renouvellement il y a aussi la titularisation de Total et de Shell sur le permis. Ce sont deux partenaires qui ont pris des participations et qui sont susceptibles d’avoir un contrat privé.

Donc il n’est pas encore question d’exploitation ici pour le moment ?

Non. Si on fait une découverte, probablement que le consortium serait amené à déposer une demande de concession, qui va prendre un certain temps d’instruction, peut être même plusieurs années, à mon avis. Quand vous demandez une concession, vous devez tout expliquer du début jusqu’à la fin : comment tout ça va se passer, toutes les études environnementales, le nombre de choses qu’il faut faire pour ça, etc. Ce n’est pas du jour au lendemain que vous déposez un dossier de concession.

Une instruction peut prendre combien de temps ?

Je n’ai pas d’expérience en matière de concession. A mon avis une instruction, par le ministère de l’écologie, peut prendre un ou deux ans. Une concession c’est pour 25 ou 50 ans. Pendant ce temps là on continue à avancer. C’est un processus qui continue, c’est un cheminement.

Si j’ai bien compris, vous continuez à explorer pendant que le dossier est en instruction ?

Oui, complètement, l’exploration ne s’arrête quasiment pas. Elle va s’arrêter dans des systèmes pétroliers qui ont été complètement étudiés jusqu’au bout comme en mer du Nord.

Comment surveillez-vous l’impact de la plate-forme sur le milieu marin ?

Le Comité régional des pêches avait souhaité une étude très large sur le poisson. D’un point de vue juridique, une société d’exploration doit produire une notice d’impact. Nous avons fait une étude. En revanche, étudier le compartiment halieutique en entier au large de la Guyane est complètement démesuré. Nous avons fait une étude océanographique en tant que telle avec l’analyse de la colonne d’eau, des sédiments, de la courantologie, l’analyse aviaire, des survols maritimes pour observer les cétacés et les tortues. Une analyse physico-chimique avec la répartition spatiale sur le poisson, et puis quoi d’autre ? Ca n’est plus du tout dans l’enveloppe, non pas financière, de ce que l’on peut demander à un industriel qui doit produire des études environnementales pour asseoir un état initial et prédire l’impact sur cet état initial. D’autant plus que le raisonnement du Comité des pêches est fondé sur le scénario catastrophe, alors que l’impact étudié dans une étude d’impact est celui du fonctionnement normal des opérations. Le fait du crash reste le cas de figure qui n’est pas exclu. Mais l’étude d’impact ça n’est pas ça. Nous sommes totalement en dehors des zones de pêche. Il n’y a pas de pêcheurs là-bas. Le Préfet Daniel Ferey avait retenu le principe que nous fassions pour le Comité des pêches une étude poisson limitée avec 50 prélèvements sur 10 espèces commerciales. Il faut savoir que le prélèvement des espèces n’est absolument pas dans un secteur dans lequel nous opérons. Ce sont des espèces commerciales qui ne sont pas pêchées à 165 km des côtes. Mais nous l’avons fait de manière la plus consciencieuse et professionnelle qui soit. Nous avons mandaté la société Creocéan, une société française d’expertise océanographique dont la renommée est sans aucune égratignure. Elle s’est mise en rapport avec le Comité des pêches, qui a proposé et mis en place un protocole lors d’une réunion le 25 mars 2011. Tout le monde est sorti de cette réunion sur un accord extrêmement clair qui était le suivant : nous avons mandaté un expert halieutique de Creocéan pour aller sur les bateaux de pêche accompagner des marées que le CRPMEM nous désignerait, ce qu’ils ont d’ailleurs fait, et ces prélèvements seraient fait conjointement. Ce sont donc deux experts qui ont fait ça ensemble, de manière contradictoire. Il y a donc une clarté totale sur les échantillons. Le Préfet avait demandé de faire des échantillons et de les congeler. Mais en sus nous les faisons directement analyser. On a également dédoublé tous les échantillons pour en analyser un sur deux systématiquement. Ces résultats seront rendus publics. Ils seront disponibles pour le Comité des pêches. Nous avons fait des prélèvements dans un secteur qui n’est pas le lieu de forage, et si vous regardez la courantologie, il n’y a aucun lien possible des zones d’eau. La société Horizon Marine analyse la courantologie chaque jour. Ils larguent des bouées quelque part, elles sont suivies et elles donnent des positions. Derrière après cette action il y a quand même un coût. Plus de 50 000 € en tout. Je n’ai pas encoure le coût final de l’opération. Ca va peut être se terminer à 100 000. C’est un peu discutable en termes de solidité du raisonnement. Après cette action de prélèvement, Madame Triplet, la directrice du Comité des pêches, qui n’était pas présente ce jour là, s’est adressée à la presse pour dire qu’on a fait ça sur le dos des financements du Comité des pêches. L’arrêté du Préfet demandait que les prélèvements soient faits. Initialement nous avions proposé que lorsque les bateaux de pêche arrivent, on prélève, non pas au marché, mais au cul du bateau, au quai. Le Comité des pêches m’a dit « On ne sait pas d’où ils sortent », en parlant des bateaux. L’expert va sur les bateaux en mer, en revanche je ne vais pas louer un bateau pour les prélèvements car nous avons des règles de sécurité dans toutes nos opérations qui sont à coup sûr incompatibles avec le fonctionnement normal de la pêche ici. Je ne peux pas louer quelque chose qui n’est pas, en matière off-shore, compatible avec les standards. Un canot de pêche guyanais pour faire de la loubine en eau saumâtre ce n’est pas possible. Tout ce que je peux faire ,c’est dire à une société d’expertise : « Est-ce que vous pouvez me produire des données in situ ? » Si Creocéan se chavire ce ne sera pas moi, et la deuxième raison c’est que nous ne sommes pas une société non plus d’expertise environnementale. On ne va pas commencer à mettre en œuvre des locations de navire de droite de gauche dans un contexte qui n’est pas clair du tout. Ce n’est pas notre rôle. Nous sommes une société d’exploration. Et il est évident que les relations du Comité des pêches sont tendues parce qu’ils veulent bien qu’elles soient tendues. Le Comité des pêches a toujours été extrêmement brutal dans ses positions, non justifiées.

Quelles relations entretenez-vous avec Guyane Nature Environnement ?

Je n’ai aucun problème. On peut très bien ne pas apprécier ce que nous faisons, le critiquer, participer à l’amélioration, c’est tout à fait normal, c’est le fondement d’une société moderne. L’opposition de principe c’est très bien aussi, mais ça ne changera rien. Avec le Comité des pêches, ce n’est pas très constructif, en dehors de cette action de prélèvements qui est une réussite. En une semaine ils ont pu faire 95% des prélèvements, ils n’ont pas trouvé le mérou. Vous avez toujours plusieurs fronts : j’ai celui du Comité des pêches, la presse, l’administration, et de l’autre côté il y a un autre front d’incompréhension, de vision obtue, etc. C’est mon travail de faire le lien aussi entre les deux. Avec le Comité des pêches c’est très difficile. Peut être que ça va s’améliorer, il y a des phases. Mais Mme Triplet a mobilisé la presse en disant c’est scandaleux, qu’ils ont financé la Tullow Oil, c’est de la démagogie. En ce qui concerne les études d’impact très ciblées, nous avons commencé en 2006 et c’est toujours moi qui les aie coordonnées. Puis nous avons continué des acquisitions aéroportées avec des observateurs de mammifères marins et de tortues à bord. C’est quelque chose que nous faisons de manière systématique depuis juillet 2009. Tous les mois en moyenne on faisait 6 vols, après on a fait 3, et maintenant depuis 6 mois on fait à nouveau 6 vols par mois. Donc ça fait 5 ou 600 heures d’observations en mer. Il y a comme un mouchard dans l’avion. On fait un jour tel zone et par miroir de l’autre côté un autre jour. Ainsi on commence à avoir une masse critique de ce genre d’information. On a également l’observation à bord pendant le forage. C’est Mr Chevalier, un expert en oiseaux, qui fait ça. Le survol le plus important a été fait en octobre 2008. Il a été effectué sur toute la ZEE. On nous a dit : « Vous voulez forer, vous faites des survols. » Vous ne vous imaginez même pas ce qu’il y a derrière. Nous sommes devenus malgré nous un peu une société d’études.

Les conclusions sont-elles en faveur de la biodiversité marine ?

Oui bien sûr. Disons qu’on observe là des choses qui n’ont jamais été observées car il n’y a jamais eu d’observation. Quand on n’observe pas, ça amène à sous estimer ce qui existe. Il y a plein de poissons qui sont attirés par la plate-forme.

Qu’est-ce qu’il y a comme types de rejets en mer dus au forage ?

Nous forons aujourd’hui avec un système à base d’eau qui nous a été imposé. Ca ne fait pas bien l’affaire d’un point de vue technique. Nous aurions besoin de forer à l’huile pour les dernières sections mais je ne sais pas si on aura l’autorisation. Quand vous forez, il y a beaucoup d’argile dans les parois, donc avec le fluide à base d’eau vous allez avoir des réactions chimiques. C’est de nature à provoquer l’instabilité de votre puits, à colmater la tête de forage. C’est une série de désavantages. Alors qu’avec un système avec une émulsion d’huile, la paroi du fluide fait que nous n’avez pas de réaction chimique. Tout est en circuit fermé. Les fluides sont injectés au milieu, sortent de la tête de forage pour transporter les petits déblais, et vont remonter dans l’annulaire (la zone comprise entre la roche en haut et le train de tige) jusqu’en haut. Ensuite c’est réinjecté. En haut le fluide arrive sur des grilles d’admission qui sont inclinées (des shakers), le fluide passe au travers et laisse les gros morceaux, c’est un système d’élimination par grille successives. On récupère le fluide, les déblais, les petits morceaux de roche de la taille d’un ongle. Ils sont rejetés en mer. Le fluide à base d’eau peut être chargé en différents éléments tellement fins que vous ne pouvez pas le re circuler. X % est rejeté, j’en fais le rapport tous les jours. En moyenne on doit rejeter entre 7 m3 de boues de forage et 38 m3. Là actuellement on vient de finir une phase de nettoyage, donc il faut que le puits soit parfaitement propre quand on veut mettre le prochain cuvelage. Ainsi il y a des phases de travail où vous allez essayer de remonter tout ce qui traîne dans ce puits. Plus vous remontez, ce que ne vous pouvez pas récupérer dans la boue va être important. Le fluide à base d’eau c’est 73% d’eau, 13% de sel, et le reste ce sont des additifs pour que ça se gélifie. Il y a de la gomme, de l’acide citrique, un certain nombre de composants pour que ça reste stable. Lorsqu’on fait la même chose avec de l’huile, c’est une émulsion inverse. Pour que ça se fasse à l’envers, il y a des additifs qui font que les gouttelettes d’eau peuvent être contenues dans l’huile. Vous avez 25% d’eau et 60% d’huile, le reste ce sont des additifs. En haut il y a un bac où vous allez décanter les morceaux. Ce système est moins susceptible de se faire contaminer. Donc c’est plus facile à séparer, et ici le dryer sépare les déblais, et la centrifugeuse enlève les gouttes d’eau. Au total, 1 kg de déblais, 5% de rejets qui sont rejetés dans la mer si on est autorisés à le faire. Avec un fluide à base d’eau on ne peut pas les rejeter en mer, il faut les mettre dans des bacs et les transporter dans un bateau quelque part pour les traiter. Les avantages du système à l’huile sont que vous n’avez pas de rejet du tout de fluide car vous n’allez pas rejeter un produit à 60% d’huile dans l’eau. Ce qui est susceptible d’être rejeté ce sont les déblais nettoyés. L’avantage du système à base d’huile est également que ça lubrifie mieux que l’eau, ça permet d’isoler la paroi de l’eau, il n’y a pas de réaction chimique qui se produit et qui pourrait déformer les parois du puits, donc ça a une meilleure capacité de transport vers le haut, c’est plus stable.

Est-ce moins source d’accident de forer à l’huile qu’à l’eau ?

Ca n’a rien à voir. L’accident comme dans le golfe du Mexique, c’est lié au fait que le fluide fait constamment l’aller-retour. En permanence vous pilotez la densité de ce produit en livres par gallons. Une densité c’est un poids. Un litre va peser 1,3 kg grosso modo. Ce poids par litre vous pouvez le piloter en mettant des adjuvants. Ce pilotage est essentiel pour que la pression en bas soit égale à la pression du sous-sol, pour que ce soit toujours en surbalance. C’est un équilibre de pression hydrostatique. Cette pression contrebalance la pression naturelle du sous-sol qui augmente plus on descend.

Un accident survient à quel moment ?

Lorsque la pression du sous-sol est plus importante que la pression de la colonne. Elle va vous renvoyer toute votre boue à la figure et tout remonte. Ca peut être du gaz et vous perdez la maîtrise du contrôle du puits. Dès lors, comment faire pour que la boue soit suffisamment lourde pour contrebalancer les forces de la pression interstitielle de la roche, mais pas trop lourde pour ne pas fractionner le sous-sol ? Si votre boue est trop lourde, en bas elle va craqueler et complètement exploser la roche. Vous n’avez plus de trou, mais vous avez une cave, or il faut garder quelque chose de propre. Il faut bien piloter cette densité. On remonte avec ça les déblais, ensuite on lubrifie, etc.

Où est-ce que vous avez recruté les travailleurs sur la plate-forme ?

Nous faisons la maîtrise d’ouvrage d’un projet complexe. La société pétrolière opère un puits d’exploration. Elle achète tous les services pour ce faire. Vous avez une société, Ensco, propriétaire d’une plate-forme. Nous avons loué la plate-forme d’Ensco pour cette observation, sur laquelle vous mettez tous les services spécifiques. Il y a une trentaine de sociétés ultra-spécialisées, les petits-sous-marins téléguidés, le système des fluides, le cuvelage, toute la mécanique du système hydraulique. Nous dirigeons cette équipe multidimensionnelle. Nous on ne recrute absolument personne. Ce sont des services ultraspécialisés qui ont leur équipe. J’ai fait deux recrutements : les personnes qui sont à l’accueil à Cayenne. J’ai monté ce bureau pour ce forage. Il n’y a pas de recrutement en tant que tel car ce sont des ingénieurs ultraspécialisés. Si on raisonne uniquement en Guyane on a vite fait le tour. Si on raisonne France ou Europe, il y a beaucoup d’impact. Mais ça reste des activités extrêmement spécifiques. Cette question elle est valable s’il y a une découverte dans 6 ou 7 ans, si vous avez une base, une production comme le CSG. Au Ghana aujourd’hui, 80% du personnel technique de Tullow Oil est ghanéen. Dans les sociétés pétrolières il n’y a pas de gens qui sont disponibles. Il y a énormément de consultants indépendants, des boîtes type Adecco hyper spécialisées. Moi je suis en entreprise individuelle. Je fais une facture chaque mois pour mes services. Je suis sur la partie administrative uniquement. Donc on fait appel énormément à un monde extrêmement individuel et diversifié d’équipes. Avoir une vision claire pour savoir à qui profite une opération c’est très très compliqué au final car il y a énormément de consultants. Je suis un Country manager dans la nomenclature de Tullow Oil. J’ai vu passer plein de gens déjà dans ce projet dont je suis le plus vieux. Ce sont des domaines de savoirs tellement précis, donc l’expertise il faut la chercher quelque part. Ensco contruit des plate-formes et les fait exploiter, c’est une société américaine. Nous on fait la coordination, la maîtrise d’ouvrage. Ensco c’est la maîtrise d’œuvre.

Quels sont les projets de la Tullow Oil sur le plateau des Guyanes ?

La prochaine étape c’est de faire une étude sismique au Suriname dans une zone un petit peu comparable à celle de la Guyane.

Est-ce que vous avez envisagé des projets au Brésil ?

Non. Je crois que le Brésil est très difficile, dans le sens règlementaire, c’est protégé. Faire de l’exploration au Brésil ce n’est pas très évident. Au Suriname, la société c’est Surinamese Oil. Au Guyana, nous sommes partenaires de Repsol. C’est Jubilee, la découverte ghanéenne, qui est fondatrice de ces explorations.