Émile Blanc vient d’avoir 94 ans. Il a côtoyé les pionniers de l’aviation et combattu lors de la Seconde Guerre mondiale. Il a aussi été le témoin d’une période charnière de l’aviation en Guyane, celle de l’après-guerre. Monsieur Blanc nous a accordé un entretien, où il évoque pêle-mêle, mais avec une grande précision, la Royal Air Force, l’aéroport américain de Rochambeau, Francis Lagrange ou encore le football : un véritable livre d’histoires et d’Histoire.

Opération Overlord

Émile Blanc débute sa carrière dans l’aviation en 1938, année où il s’engage dans l’armée de l’air. Breveté mitrailleur, il est affecté en 1940 à la base marocaine de Meknès et sert au sein d’un équipage de bombardier. Après le débarquement des alliés en Afrique du Nord, en 1942, « le général de Gaulle a demandé à Churchill d’avoir des groupes lourds en Angleterre, nous raconte Émile Blanc. Les Américains voulaient nous former sur leurs appareils, mais de Gaulle a insisté pour avoir des bombardiers en Angleterre. » C’est ainsi qu’en septembre 1943, l’équipage d’Émile Blanc, sous les ordres du capitaine Marias, part pour l’Angleterre. Là, avec les douze autres équipages du groupe “ Guyenne ”, ils reçoivent un nouvel entraînement au sein de la Royal Air Force.
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, l’escadrille bombarde une batterie de DCA ennemie positionnée dans un village du Calvados. Sans le savoir, le sergent-chef mitrailleur Blanc et ses compagnons du bombardier Halifax-P viennent de participer à l’opération Overlord, trois heures avant le débarquement. La mission accomplie, de retour vers l’Angleterre, il découvre avec stupéfaction des milliers d’appareils au-dessus d’eux déferlant vers les côtes françaises.

 

Temps gris sur Cayenne

Émile Blanc quitte l’armée de l’air et intègre l’aviation civile en février 1946 à l’aéroport de Marignane. Il désire cependant quitter la métropole : « Tous ces bombardements de l’ennemi ont aussi accablé des populations civiles, des innocents ; j’en avais gros sur le cœur. J’éprouvais le besoin de m’éloigner du théâtre des opérations. », déclarait-il à un journaliste en 2011 (Sud-Ouest, 10 novembre 2011). L’occasion se présente quelques temps après sa prise de poste. La Direction de l’aviation civile demande en effet des volontaires pour la Guyane. Il présente sa candidature et est convoqué à Paris : « on m’a dit, Monsieur Blanc que vous étiez dans l’armée de l’air avec les Anglais, vous vous débrouillez assez bien en anglais, et nous avons besoin de quelqu’un en Guyane pour voir ce qui s’y passe. » C’était en mai 1946.
En novembre 1946, il embarque sur le navire la Colombie à destination de la Martinique. Il poursuit ensuite son voyage à bord du Duc d’Aumale, qui relie une fois pas mois Fort-de-France à Cayenne. Après ce long périple, Émile Blanc pose enfin les pieds sur la terre guyanaise où cependant personne n’est présent pour l’accueillir : « J’ai débarqué à Cayenne la veille de Noël 46 sous une pluie battante. À l’arrivée, personne ne m’attendait, on était vraiment perdu. » Sur le quai, se souvient Émile Blanc, d’anciens bagnards équipés de brouettes offrent leur service pour transporter les bagages des voyageurs.
À son premier entretien avec le gouverneur, Émile Blanc comprend très vite les raisons de ce “ non-accueil ” : « Je me suis présenté au gouverneur pour lui indiquer les ordres que j’avais reçus, et il m’a répondu que cet aéroport était américain et que pour l’instant il était interdit d’y installer un service français. » Émile Blanc sait désormais que sa mission va être difficile, d’autant qu’une autre surprise l’attend. Les deux hôtels de Cayenne sont pleins. « J’ai été hébergé chez les sœurs de Saint-Paul pendant un mois avant d’avoir une chambre d’hôtel ». Pourtant, les autorités ont été prévenues par un télégramme de l’arrivée du fonctionnaire, avec la consigne de lui trouver un logement. Émile Blanc ne l’apprendra que bien plus tard.

 

Un aéroport américain

Un accord signé après-guerre prévoyait la rétrocession par les États-Unis d’un certain nombre d’équipements militaires à la France, dont les aéroports. Rochambeau n’avait cependant pas été pensé par les Américains comme un aéroport de guerre, mais comme « une base technique entre Paramaribo et Belem ». Des appareils s’étant crashés en forêt, il fallait un point de récupération pour ceux qui ne pouvaient rejoindre le Brésil. « La rumeur courait, ajoute Émile Blanc, que des Allemands étaient restés en Guyane hollandaise et sabotaient les appareils américains ». « Il existait bien l’aérodrome du Gallion, mais quand les Américains ont fait venir leur première forteresse volante, le sol n’était pas convenable et l’avion s’est enfoncé dans le sol. Ils ont fait venir un petit avion avec deux commandants du génie pour choisir un emplacement d’un aérodrome en Guyane. Ils ont choisi Rochambeau. »
Les Américains font alors venir plusieurs centaines de travailleurs portoricains qui construisent en quelques mois un aérodrome capable de recevoir leurs appareils, mais seulement pour des escales techniques, une caractéristique qui exclue Rochambeau de l’accord franco-américain. Et lorsque la France demande la rétrocession, les USA répondent : « La terre est peut-être française, mais les installations sont américaines. » La seule équipe française autorisée à Rochambeau, précise Émile Blanc, était alors un service météorologique.
En 1947, la Guyane devient un département français. Le Gouvernement français envoie Jules Moch, le ministre des Travaux publics, pour établir le nouveau préfet. À leur arrivée à Rochambeau, ils s’étonnent de ne pas voir de personnel français : « Monsieur Jules Moch était surpris que je sois à Cayenne : Mais pourquoi n’êtes vous pas venu m’accueillir à Rochambeau, m’a-t-il demandé, alors j’ai dit Monsieur le ministre ce n’est pas moi qui peux vous donner la réponse c’est Monsieur le gouverneur. » Le gouverneur expliquera une nouvelle fois que les Américains ne veulent pas d’un service français sur cet aéroport. « Le ministre est resté trois jours en Guyane. À son départ il m’a fait appeler et m’a dit monsieur Blanc, je rentre à Paris et je vous assure que cet aéroport sera français à mon arrivée, c’était le 17 juillet 1947. »
Malgré la promesse du ministre à Émile Blanc, Rochambeau reste américain jusqu’en janvier 1949. La France aurait alors déboursé 300 000 dollars pour sa rétrocession. Durant son séjour guyanais, Émile Blanc nous raconte être venu à l’aéroport pour prendre un avion, mais comme un quidam quelconque. Cela ne l’empêcha pas de lier connaissance avec quelques Américains, mais il ne fut jamais invité à Rochambeau.

 

Souvenirs

À la demande du nouveau préfet, Émile Blanc met en place des lignes intérieures, reliant Cayenne à Saint-Laurent-du-Maroni et Saint-Georges, avec l’hydravion Catalina d’Air France. Pour l’inspection des plans d’eau, il se déplace en commune, c’est ainsi qu’à Saint-Laurent-du-Maroni il rencontre l’ancien forçat Francis Lagrange, le célèbre peintre faussaire, qui lui déclare : « Monsieur j’ai été aviateur ». Ceci aiguisera la curiosité de Monsieur Blanc qui bien des années plus tard entamera des recherches sur ce personnage qui une fois encore avait faussé la vérité : « Et dans les faits, nous raconte Émile Blanc, Francis Lagrange a porté un uniforme d’aviateur, mais n’a jamais été aviateur. »
Les lignes régulières établies à la demande du Préfet ne perdurent pas. La disparition en mer de l’hydravion d’Air France, le Latécoère 631, le 31 juillet 1948 marque la fin de cette exploitation. Émile Blanc revient aussi sur l’accident d’avion qui coûta la vie au député guyanais René Jadfard : « J’ai moi-même mené la première information d’accident en octobre 1947 ». Pour de nombreux Guyanais, cette disparition rappelait celle de Galmot. La mort du député nouvellement élu face à Gaston Monnerville suscitera de fortes tensions ce qui laissera un mauvais souvenir au fonctionnaire de l’aviation civile.

 

Le retour… du footballeur

Émile Blanc quitte la Guyane en mars 1949. Il poursuit sa carrière dans l’aviation civile au Tchad, au Cameroun, à Madagascar et en Algérie, où il prépare la transition vers l’indépendance. En 1964, il est en poste en Martinique et effectue une mission en Guyane : « J’ai été reçu comme un prince, mon nom était connu comme aviateur d’accord, mais surtout comme footballeur. » Émile Blanc était en effet milieu de terrain au Sport Guyanais et avait participé avec son équipe au trophée des Caraïbes en 1948, à Pointe-à-Pitre. Et le seul “ blanc ” de l’équipe laissera de très bons souvenirs à ses partenaires. Lorsqu’en 1965 il revient à Cayenne pour assurer l’intérim de la direction de l’aéroport, il est reçu par le monde footballistique avec des fleurs : « c’est un passage qui m’a beaucoup marqué ».

Propos recueillis par David Carita & Dennis Lamaison.
Source photos Emile Blanc, Musée de l’hydraviation de Biscarosse