Alexis Tiouka, conseiller municipal d’Awala-Yalimapo et juriste expert des questions autochtones

Alexis TioukaIl est important que la reconnaissance du statut de Peuple autochtone fasse partie des négociations, surtout après le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme* qui considère que les peuples ultramarins sont les plus marginalisés en France. Cette commission demande à la France de ratifier la convention 169 de l’OIT**, qui n’est pas anticonstitutionnelle, qui n’est pas contraignante pour les états. La France pourrait ainsi reconnaître dans sa constitution l’existence des peuples autochtones. Cela permettrait aux peuples autochtones de participer aux prises de décisions qui les concernent et de participer activement à la vie politique, économique et sociale.

Jocelyne, agent de la Collectivité territoriale

Jocelyne nb ombres

« J’ai 2 enfants en études et je vois bien aussi que cela ne va pas dans l’éducation. Il y a un gros turn-over d’enseignants et ceux qui arrivent ne sont pas souvent expérimentés. Ils ne sont pas non plus sensibilisés aux particularités de la Guyane. On a aussi des classes de 32 élèves. Comment faire cours correctement dans ces conditions ? On a besoin d’un véritable rattrapage pour ne plus être des citoyens de seconde zone.»

Bruno Niederkorn  enseignant, militant Steg-UTG

bruno niederkorn nb ombres
Comment résumeriez-vous la situation de l’école en Guyane en quelques mots ?
Elle est catastrophique ! Comme dans les autres secteurs, c’est la crise totale. Aujourd’hui, accéder à l’éducation, à une formation, à un travail, c’est devenu difficile, même très difficile. Chez les jeunes, il y a 50% de chômage. Mais il y a des milliers d’enfants descolarisés. Il y a l’impossibilité pour des enfants d’accéder à l’éducation parce qu’on manque de structures. Dans l’éducation, cela fait des années qu’on alerte sur la situation, des années.

Vous évoquez des milliers d’enfants non scolarisés ou déscolarisés. Plus globalement, comment se traduit la crise dans l’éducation ?
Elle se traduit par une école en échec. Un chiffre : 50% des enfants qui rentrent en sixième n’ont pas les compétences en Français et en mathématiques. Ce n’est pas de leur faute, c’est que l’école a échoué dans sa mission. Un autre chiffre : pour dix enfants qui entrent à l’école, il n’y en a que 3,7 qui sortent avec le Bac. Or, nous cherchons des professeurs, des Bac + 3, en permanence. Donc nous sommes dans une situation où l’école n’arrive pas à assurer les besoins de la Guyane. Il faut absolument trouver des solutions à cette inadéquation.

On comprend bien l’inégalité qui existe entre l’école dans l’hexagone et l’école en Guyane, mais il y a aussi des inégalités en Guyane entre le littoral et l’intérieur…
Absolument. En termes d’inégalités, nous sommes confrontés à plusieurs défis. Le premier, c’est le défi culturel, c’est l’assimilation. Toute la base du projet de l’école depuis la départementalisation, c’est l’assimilation. Et cela ne marche pas. Un enfant sur deux en Guyane naît avec le Français comme langue étrangère et on n’arrive pas à l’amener au Bac. C’est une catastrophe.
La deuxième inégalité porte sur les structures. La Guyane de l’intérieur est une Guyane abandonnée. Elle n’a pas de lycée, très peu de collèges et des établissements en très grande difficulté. Les professeurs n’ont même pas de logement. On est dans une situation de crise beaucoup plus grande encore à l’intérieur que sur le littoral.

Quelles solutions imaginez-vous pour sortir de cette crise ?
Premier élément : il faut un plan d’urgence sur les constructions scolaires. Tout le monde, préfecture, rectorat, syndicats sont d’accord pour dire qu’il faut construire dans les dix ans cinq lycées, dix collèges et 500 classes de primaire.
Ensuite, il faut une politique académique durable avec des gens qui connaissent le pays. Il faut que cette politique académique soit ciblée sur nos intérêts. Par exemple, il faut adapter les programmes. L’école ne peut être aussi étrangère des enfants. Actuellement elle ne fait pas réussir les enfants parce qu’elle leur est étrangère.
Il faut aussi se poser des questions sur l’accompagnement de ces enfants pendant et après l’école. Il faut savoir comment on fait pour les accompagner vers plus d’insertion dans la société.

Jean-Philippe Chambrier, leader amérindien

Jean Philippe Chambrier


Les revendications des Amérindiens ne datent pas d’hier, quelles sont-elles ?

Nos revendications datent de plus de trente ans. Mais d’abord, nous nous sommes greffés à ce mouvement parce qu’on est solidaires. Il n’y a qu’un peuple, le peuple guyanais. Nos revendications rejoignent l’ensemble des revendications : la santé, l’éducation, la formation, l’orpaillage clandestin… toutes ces problématiques qu’on peut trouver en Guyane.
Au delà de ça, on a des problèmes très spécifiques concernant les populations de l’intérieur, nos frères et soeurs Wayana, Wayampi et Teko qui sont complètement oubliés. Cela fait des années qu’ils alertent l’Etat mais rien n’est fait.

(Les Wayana vivent sur le Haut Maroni, les Teko et Wayampi sur le Haut Oyapock. Les villages sont des communautés organisées autour des autorités coutumières, organisation de plus en plus mise à mal par la « modernité »)

Concrètement, que réclamez-vous en priorité à l’Etat ?
Il y a la question du foncier. On voudrait faciliter l’accès au foncier pour les populations autochtones. Il y a aujourd’hui des villages qui ne sont pas propriétaires de leur terrain. Du jour au lendemain, on peut leur demander de partir. Donc on réclame la rétrocession du foncier de l’Etat.
(En Guyane, 90% des terres appartiennent à l’Etat. Les villages amérindiens sont généralement batis sur des terrains lui appartenant.)

Au niveau éducation, on sait qu’il y a de gros soucis dans l’intérieur…
Au moment où on parle, l’école maternelle de Camopi est dans un état de délabrement incroyable, avec des fientes de chauves souris, des toilettes hors service… A Maripasoula, il y a plus de 120 jeunes à l’internat qui sont livrés à eux-même pour se nourrir et laver leur linge. Heureusement qu’ils sont soutenus par leurs enseignants car le rectorat et la CTG ne bougent pas. Cela fait des mois que le problème est soulevé mais rien n’est fait. Les travaux du nouvel internat qui devaient commencé l’année dernière n’ont toujours pas débuté.
(Après le primaire, les jeunes Wayana du Haut Maroni doivent se rendre à Maripasoula ou à Cayenne pour aller au collège. En internat ou en famille d’accueil, ils sont souvent livrés à eux même dès l’âge de 11 ou 12 ans. Ils ne rentrent pas systématiquement chez eux le week-end et restent parfois plusieurs mois sans voir leur famille. Nombre d’entre eux finissent par se déscolariser.)

Le Haut Maroni et le Haut Oyapock déplorent aussi de nombreux suicides chez les jeunes. En 2016, une mission parlementaire s’est rendue sur place. Ce genre de mission peut-elle avoir un impact ?
Cette problématique du suicide est plus vaste qu’on ne le pense. Pour en arriver au passage à l’acte, il y a souvent eu de nombreux problèmes en amont, c’est multifactoriel. Il y a le manque d’estime de soi, un mal être énorme et tous ces problèmes d’éducation ou d’orpaillage illégal aujoutent au malaise et au mal vivre. Donc ce n’est avec une mission qu’on peut régler les choses.
(Parmi les communautés amérindiennes de l’intérieur de la Guyane, le taux de suicide chez les jeunes est de 4 à 8 fois supérieur à la moyenne nationale.)

Franck Chipouka, secrétaire de section UTG-Eclairage Mandela
Rencontré lors de la grande manifestation de Cayenne, le 28 mars

Franck Chipouka UTG EDF

Comment qualifieriez-vous la situation de la fourniture d’électricité en Guyane ?
Très mauvaise. depuis de nombreuses années nous alertons les différentes directions mais rien n’a changé. Les conditions de la fourniture de l’énergie vers l’ouest sont vraiment très mauvaises ainsi que celles vers les communes de l’intérieur.

Les problèmes de coupures de courant que l’on connaît plus ou moins régulièrement sont-elles dues à une production insuffisante ou à un défaut dans le système de distribution ?
La population guyanaise est en pleine croissance mais la fourniture en énergie n’évolue pas. La direction d’EDF en Guyane n’a aucune politique en ce sens, elle reste sourde, elle n’agit pas malgré les alertes. Il y a dix ans, en 2006-2007, l’UTG Eclairage était déjà en grève avec les mêmes revendications. 10 ans plus tard, on ne comprend pas très bien ce manque d’évolution . C’est peut-être volontairement qu’ils laissent pourrir la situation… De toute les façons, il est clair qu’aujourd’hui on ne peut pas avoir une fourniture d’électricité convenable.

Cela signifie qu’il y a aujourd’hui des Guyanais qui n’ont pas accès à l’électricité ?
Il y a effectivement des gens aujourd’hui qui n’ont pas l’électricité ou qui connaissent des coupures quotidiennes.

Cela fait plusieurs années que la PPE* est en discution entre l’Etat, EDF et la Région, aujourd’hui la CTG. En tant que syndicat, êtes-vous écouté et entendu sur ce dossier ?
Pas du tout ! Les personnes concertées sont les moins concernées. Nous sommes les mieux placésd mais nous ne sommes pas consultés. D’ailleurs, la PPe est sans cesse retoquée par l’Etat, c’est bien qu’il y a un problème. Cette PPE est vide.

Concrétement, que préconisez-vous pour assurer une fourniture d’électricité satisfaisante sur tout le territoire ?
Il faudrait déjà construire de nouvelles unités de production en utilisant notamment les énergies renouvelables. Petit Saut et Dégrad des Cannes ne sont pas suffisants.

Degrad des Cannes arrive en fin de vie et doit fermer dans les prochaines années. Avez-vous des craintes face à cette fermeture annoncée ?
Oui, on risque de connaître une situation tendue si aucune autre grosse unité de production n’est opérationnelle d’ici-là. Il faut une transition entre cette usine qui existe et la future centrale. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, il faut un temps d’adaptation pour le personnel. Aujourd’hui, on voit des signatures se faire pour la construction de nouvelles petites usines mais… je ne suis pas convaincu.

Face à un tel mouvement populaire, vous dîtes que, cette fois, les choses peuvent changer ?
Si ça ne change pas, ça sera à eux d’agir. Vous voyez la masse populaire, avec des anonymes, des personnes de toute horizon, des personnalités… C’est eux l’avenir donc, si ça ne bouge pas, ce sera à eux d’agir.

Paroles de manifestantes

Myriam, depuis 40 ans dans le groupe folklorique Les Lauriers Roses

les lauriers roses
« Toutes les associations sont impactées par ce qui se passe, par le manque de moyens. Et les associations culturelles arrivent toujours en dernier. Nous réclamons la prise en compte de la culture. On peut nous aussi lutter contre la délinquance. Dans notre association, par exemple, il y a des jeunes qui étaient déscolarisés. On les a aidés à se remettre sur le droit chemin, on leur a trouvé une formation et même du travail. Malheureusement, cela reste précaire. »

SJ et Emmanuelle, jeunes Cayennaises

SJ et Emmanuella nb ombres
« Il faut que ça bouge, on veut du réel, du concret. On veut plus de sécurité, plus d’infrastructures pour développer la Guyane. On veut que nos enfants puissent aller à l’école en Guyane normalement. On veut que les politiques arrêtent avec les promesses non tenues, qu’ils s’engagent et qu’ils réalisent ce qu’ils promettent. On veut aussi plus de transparence sur ce qui se passe dans ce pays. On n’en peut plus, qu’ils se débrouillent pour trouver des solutions. Bloublou fini ! »

Emilie, enseignante, mère de deux enfants

Emilie nb ombres
« Dans l’éducation, on manque vraiment de moyens. Dès la petite section de maternelle, on est obligés d’acheter nous-même le matériel pour les enfants. On ne nous donne pas de manuel, pas de peinture, pas de papier, rien. Au niveau de la sécurité, on sent la crainte au quotidien. Quand je suis seule chez moi avec mes enfants, je m’enferme à clé, ce n’est pas normal. Le malaise est profond. »