En 1656, la Compagnie Hollandaise des Indes occidentale s’emparait de l’île de Cayenne. 

La Côte sauvage

Les marins néerlandais commencent à fréquenter l’Ile de Cayenne dès la fin du XVIe siècle. Abraham Cabeliau donne ainsi une petite description de « Cayani », en tant que lieu de rendez-vous pour les navires européens ; ces derniers y faisant le plein de vivres après la traversée de l’Atlantique avant de continuer vers les Antilles. Rapidement, les marchands néerlandais établissent quelques comptoirs le long de la côte des Guyanes, entre l’embouchure de l’Amazone et de l’Orénoque. Les Hollandais appellent alors cette région De Wilde Kust (la Côte sauvage).
Il existe quelques indices dans la littérature concernant de plus grands projets d’implantation néerlandais sur l’île de Cayenne, comme celui de Theodoor Claessen en 1615. La Guyane, cependant, est considérée comme partie intégrante du territoire espagnol selon le traité de Tordesillas (1494) , et la Hollande n’a donc aucun droit de réclamer ces territoires. Le traité de paix signé entre les deux pays en 1609 rappelle l’interdiction faite à la République de faire des incursions sur le territoire espagnol. La reprise de la guerre entre les deux pays bouleverse cette situation politique en 1621. Cette même année, les Néerlandais fondent leur Compagnie des Indes occidentale, la Generale Geoctroyeerde West Indische Compagnie (WIC), qui a pour but de déclencher une guerre maritime dans l’Atlantique mais aussi de conquérir de la terre aux Amériques. La WIC donne alors des privilèges, ou patronages, afin de fonder des colonies, les colons restant cependant sujets du gouvernement des Pays Bas.
L’Isle de Cayenne se situe alors dans la région assujetti à la patente de la WIC : la Chambre de Zélande prévoit de faire de Cayenne leur centre administratif pour gérer les colonies de la WIC sur cette côte. En 1627 Claude Prévost est ainsi envoyé en Guyane avec pour but d’établir une colonie pour le marchand zélandais Jan de Moor, mais l’expédition se solde par un échec. Si la Chambre de Zélande réclame le droit exclusif sur la Côte sauvage, son homologue d’Amsterdam, qui a obtenu entre temps un intérêt commercial pour le Nord-Est du Brésil et le « Nieuw Amsterdam » (New York), souhaite aussi s’implanter dans la région de Cayenne. Ainsi, David Pietersz de Vries, détenant une concession de la Chambre d’Amsterdam, dépose une trentaine d’hommes sur l’Ile de Cayenne en 1634 pour planter du tabac, du coton et du roucou*. Cette colonie est un nouvel échec. Après la conquête de la colonie portugaise du Pernambouc (Brésil) par la WIC en 1630, les Guyanes restent une région périphérique pour le commerce néerlandais. Pendant près d’une vingtaine d’années, les Hollandais laissent la place aux Français qui n’ont cependant pas plus de réussite dans leurs tentatives de colonisation.

Pour une place au soleil

Après la perte du Brésil en 1654, la WIC s’intéresse de nouveau à Cayenne et donne les droits sur cette terre à un certain Jan Claes Langedijck en 1655. Ce dernier fait déjà du commerce sur l’Ile de Cayenne depuis 1651 et possède aussi un agent sur l’île anglaise de la Barbade. Il débarque à Cayenne en 1656 et s’installe dans les ruines d’une ancienne implantation française qu’il baptise Fort Nassau. Le pilote de son navire, apparemment bien accepté parmi les Amérindiens de l’île de Cayenne, fait construire avec leur aide des maisons et défricher des terrains – les indigènes recevaient des couteaux en guise de paiement. En 1658, Langedijck retourne à Amsterdam pour recruter plus de colons. En avril 1659, il fait transférer ses droits de concessionnaire à la Chambre d’Amsterdam de la WIC. Il ne trouve pas suffisamment de volontaires mais obtient l’aide de la WIC qui lui confie des garçons d’orphelinats. Langedijck continue donc son projet d’une colonie à Cayenne mais cette fois au service des directeurs de la WIC d’Amsterdam.
A la fin de 1659, Langedijck fait voile pour Cayenne mais il n’est plus seul. Deux autres expéditions partent également pour la même destination : l’une est commandée par Balthasar Gerbier, qui vise à ouvrir une mine sur la Montagne d’Argent, et l’autre est celle de David Nassy. Gerbier dépose ses miniers sur la Montagne d’Argent et d’autres colons sur le bas Approuague pour fonder un fort et planter du tabac. Mais suite à une querelle, Gerbier s’enfuit avec sa famille à Cayenne où il est reçu dans la maison de Langedijck. Une partie de ses colons le poursuivent et attaquent alors la maison de Langedijck, parti pour l’Oyapock, et tuent la fille de Gerbier. Finalement, les rebelles sont arrêtés et expulsés de la colonie.
Nassy appartient à la communauté des sefardim, juifs portugais, installés au Pernambouc durant l’occupation Neerlandaise. Il est un personnage important pour l’histoire de la Guyane : il amène de la région du Pernambouc (que les Portugais ont repris aux Hollandais) les connaissances de la production du sucre à Cayenne et négocie avec la WIC l’arrivée des premiers bateaux avec des esclaves africains. Des conflits surgissent très vite entre Langedijck et Nassy. Après une intervention de la WIC, David Nassy peut fonder sa colonie dans l’Anse de Rémire avec les actionnaires Abraham Cohen et Antonio Luis d’Amsterdam. Entre temps, d’autres marchands juifs s’installent à Rémire. En 1660, la famille d’Abraham Drago d’Amsterdam signe un contrat avec Gabriel Lavella (Drago) pour cultiver la terre avec des esclaves d’Afrique. La même année, Abraham Cohen et Antonio Luis cèdent leurs parts à David Nassy qui obtient la gérance de cette colonie et possède au moins cinquante esclaves. Leur village appelé « Aremire » possède un moulin à eau dans la crique Rorota et une synagogue. Afin d’encourager la colonie naissante, les directeurs de la WIC promulguent un édit exemptant les colons de l’impôt du « dixième » pour les dix premières années.
En juin ou juillet 1663, Langedijck quitte Cayenne car la WIC d’Amsterdam a décidé de le remplacer par Quirijn Spranger qui débarque avec 190 colons. Ce personnage est le mieux connu des historiens français car c’est lui cède la colonie aux Français en 1664. Issu d’une importante famille d’Amsterdam, Spranger a servi comme secrétaire du gouverneur Johan Maurits van Nassau, au Pernambouc. Il a ensuite fait du commerce avec les frères Sweerts (Guadeloupe) mais aussi avec Abraham Cohen, l’investisseur de David Nassy. Spranger ne reste que quelques mois à Cayenne puisque les Français débarquent en mai 1664. Le journal « Hollantsche Mercurius » fait référence à cette prise de Cayenne ainsi qu’à la déportation des Hollandais aux Pays Bas qui font escale au port de La Rochelle lors de leur retour.
Spranger vend ses propriétés, avec 32 esclaves, au français de la Barre pour 14 000 florins. Les archives municipales d’Amsterdam nous renseignent sur les réclamations de Langedijck à ce sujet. Langedijck fait appel à trois témoins qui déclarent que Spranger s’est approprié du terrain et des esclaves lui appartenant. L’un des témoins, un certain « Bastiaen Miljou » de Paris qui servit comme interprète pendant les négociations entre Spranger et Lefebvre de La Barre, déclare qu’il est arrivé à Cayenne en juin 1663 dans le même bateau que Spranger. Selon ses dires, Spranger s’est approprié une maison double construite au pied du fort, quelques habitations dans les environs du même fort, une habitation à « Matterij » [Matoury] situé á l’embouchure d’une crique [dite] la Roche verte et tous les biens des habitations.
Il est évident que Spranger a tiré le maximum d’argent de la reprise de Cayenne par les Français et que Langedijck a perdu ses biens. Spranger a aussi repris la mine de Gerbier à la Montagne d’Argent qu’il baptise « Gooswijck« . Il revient plus tard dans l’histoire de Cayenne, en mai 1676, quand l’Amiral Binckes reprend Cayenne aux Français et l’installe comme gouverneur. Son gouvernement ne dure que six mois. En décembre la flotte de l’Amiral d’Estrée reconquiert Cayenne pour la France. Spranger et une poignée de Hollandais sont gardés prisonniers à Cayenne pour y travailler tandis que la plupart des colons sont rapatriés. Spranger est ensuite conduit à Brest. Le comte Johan Maurits van Nassau intervient auprès de Louis XIV afin de plaider son cas. Spranger retourne à Amsterdam après sa libération.

Texte de Martijn van den Bel et Lodewijk Hulsman

Pour aller plus loin :

M. Van-den-bel & L. Hulsman,
« Une colonie néerlandaise sur l’Approuague au début de la deuxième moitié du XVIIe siècle »,
Bulletin de la société d’histoire de la Guadeloupe, 164, 2013, p. 5-15.