Yalimapo se situe à l’embouchure du Maroni, à l’extrême nord-ouest de la Guyane. Ce village fait partie de la commune d’Awala-Yalimapo majoritairement habitée par le groupe culturel amérindien Kali’na. Cette commune est particulièrement attentive à tout ce qui touche son patrimoine culturel mais aussi l’histoire de son territoire. A la demande de la municipalité et des autorités coutumières, un programme de prospection archéologique a vu le jour en 2010, suite à la découverte fortuite d’une urne funéraire complète dans le bourg de Yalimapo.

Petite chronique historique

À la fin du XVIe siècle, le voyageur anglais Lawrence Keymis note sur son journal « Iaremappo, a very great town… » : Yalimapo, un très grand village. Ce nom est par ailleurs signalé sur les cartes dès 1596. La pointe de Yalimapo a probablement été habitée jusqu’au XIXe siècle, mais lorsque les Français établissent des bagnes sur ce territoire, les Amérindiens décident de s’installer plus loin. Le camp pénitentiaire des Hattes ferme définitivement ses portes en 1947 et les Kali’na reviennent s’y installer. C’est André Kayamaré, Yampu, le chef du village à l’époque, qui y découvre la première urne en creusant un puits.
À la fin des années 50, d’autres urnes sont dégagées par les marées et revendues à des collectionneurs, sans que l’on en connaisse leurs formes ou leurs contenus. Toutefois, les habitants du village se souviennent de la présence de perles de verre dans ces urnes. On peut donc penser qu’elles dataient d’une période où les échanges avec les Européens avaient commencés. Au cours des années 1980, Awala-Yalimapo, comme le reste de la Guyane, connaît les débuts de la professionnalisation de l’archéologie. Alain Cornette, alors volontaire civil à l’aide technique au sein de l’AGAE (Association Guyanaise d’Archéologie et d’Ethnologie) est le premier archéologue à y mener des recherches : il découvre plusieurs sites archéologiques dans la région ainsi qu’une urne entière en 1987. Ce n’est que 10 ans plus tard qu’une nouvelle urne est mise au jour : l’urne Tukuwari 1. Les ossements qu’elle contenait ont fait l’objet d’une datation au radiocarbone. Les résultats situent l’enterrement entre 1040 et 1265 de notre ère. Le site funéraire de Yalimapo est alors attribué à une culture archéologique appelée Barbakoeba, présente du fleuve Suriname au fleuve Kourou entre 1000 et 1400 apr. J.C.
De nouveau, il faut attendre plusieurs années avant que ce site ne livre une autre urne complète en 2009, appelée Tukuwari 2. Le Service d’Archéologie intervient alors pour dégager ce vestige qui s’avéra dater du XIIIe siècle apr. J.C. Dans les mois qui suivent, un second type d’inhumation est découvert : des sépultures en fosse contenant des vases déposés face contre terre et recouverts d’un empilement de grands tessons de poterie.

Les sépultures en urnes

A ce jour, deux urnes ont été dégagées intactes : l’urne Tukuwari 1 et l’urne Tukuwari 2. Une troisième, l’urne Tukuwari 3, plus grosse et en moins bon état de conservation, a été déterrée par des ouvriers et s’est brisée.
Chacune de ces urnes possède une panse globulaire dont la partie supérieure converge vers une ouverture étroite ce qui leur confère un aspect en forme d’œuf. Certaines d’entre elles étaient recouvertes d’un couvercle ou semblent avoir été obturées par un « bouchon » de tessons de céramique. Le plus souvent, elles avaient un col étroit qui a sans doute été volontairement cassé pour pouvoir insérer les ossements à l’intérieur. Seule l’urne Tukuwari 3 n’a pas de col mais un bord rentrant marquant une ouverture un peu plus large que les autres.
Ces vases ne sont pas peints comme les urnes funéraires de l’est de la Guyane, mais sont décorées de petits appendices modelés et appliqués juste sous l’encolure. À ce jour, trois décors ont été référencés. Le plus courant est une sorte de crête à trois lobes, ornement présent par paires, de part et d’autre du vase, ou seul sur quatre côtés de l’urne. Ce type de décor orne quatre urnes sur un total de six connues dans l’ouest de la Guyane.
Les deux autres motifs sont isolés pour l’instant. Il s’agit d’une figure zoomorphe pouvant représenter une grenouille et d’un décor formé par un cordon de terre, probablement ponctué avec l’extrémité d’une branche.

Que nous révèlent ces urnes ?

En raison de leur remarquable état de conservation, les ossements de l’urne Tukuwari 2 ont fourni de multiples informations. Thomas Romon, anthropologue funéraire à l’Institut de Recherche en Archéologie Préventive*, a déterminé la présence de trois individus inhumés en même temps : deux jeunes adultes et un nouveau-né. Les corps se sont décomposés de manière naturelle (soit à l’air libre, soit lors d’un premier enterrement) puis les os ont subi une chauffe peu importante avant d’être disposés dans l’urne dans un ordre bien défini : d’abord, les os longs des jambes puis, le bassin, les mains, les os des bras et pour finir, les os du crâne. Un os a fourni une datation plaçant le décès de l’individu entre 1219 et 1273 apr. J.C.
L’urne Tukuwari 1, datée de 1040-1265 apr. J.C., a été vidée de son contenu avant l’intervention des archéologues de sorte que le mode de remplissage n’a pas pu être analysé. Toutefois, on a pu établir qu’elle renfermait les ossements incinérés de deux adultes et d’animaux : agouti, acouchi, pak, capucins, cariacous et crapaud. Ces animaux peuvent à la fois représenter une offrande de type alimentaire et un emblème totémique.

Les sépultures en fosse

Les sépultures en fosse sont constituées d’un empilement de grands tessons de récipients. Ces derniers peuvent recouvrir une ou plusieurs poteries renversées face contre terre. Cependant, ce type d’inhumation ne permet pas de conserver les ossements, car ils ne sont pas protégés de l’acidité des sols de la Guyane. Deux sépultures, orientées est-ouest, correspondent à ce cas de figure à Yalimapo.
La première, Tukuwari 4, consiste en quatre niveaux de fragments de trois vases différents recouvrant deux jattes renversées. Sous l’une de ces jattes, on a découvert des perles en coquillage, quelques esquilles d’os et du charbon de bois. Ce dernier a fourni une datation comprise entre 1051-1273 apr. J.C. Deux haches polies en « pierre verte » étaient déposées à proximité immédiate de la structure. Ces haches, plus symboliques qu’utilitaires, sont de petite dimension et ne portent pas de traces d’utilisation sur le tranchant. Toutefois, l’une d’elle est usée sur les deux faces et a pu servir de polissoir à céramique, outil de grande valeur. Les ornements en coquillage et les pierres vertes polies (qui souvent représentent des grenouilles) constituent un bien de prestige faisant l’objet d’échanges à longue distance au nord de l’Amérique du Sud et dans les Caraïbes.
La sépulture Tukuwari 5, située à quelques mètres de la première, ne présente pas la même disposition : elle se compose de deux amas de tessons séparés d’une quarantaine de centimètres l’un de l’autre. Le premier amas consiste en deux grands fragments de panse et d’un fond planté verticalement dans le sol avec, à proximité, plusieurs tessons désorganisés dont une jatte cassée. Dans un alignement est-ouest par rapport à ce premier amas, les fragments d’un grand vase étaient empilés sur plusieurs niveaux. La position et l’orientation des tessons de bord de ce vase, présents dans plusieurs niveaux de l’agencement, montrent que ceux-ci ont été disposés volontairement et recouvraient très probablement une partie ou la totalité d’un corps.

Yalimapo dans le contexte précolombien des Guyanes

Yalimapo se situe sur le Maroni, actuelle frontière entre Guyane française et Suriname. Le fleuve, lieu de passage hier comme aujourd’hui, faisait partie intégrante du territoire occupé par une culture archéologique dénommée Barbakoeba, nom du premier site où elle a été identifiée au Suriname. Définie par l’archéologue hollandais Arie Boomert, la culture Barbakoeba (présente du XIe au XIVe siècle) couvre l’est du Suriname et s’étend sur le littoral occidental de la Guyane française jusqu’à la région de Kourou.
Pour définir une culture archéologique, les chercheurs se fondent sur la culture matérielle (essentiellement la céramique en Amazonie) et sur d’autres critères comme les rites funéraires, le type d’habitat ou encore l’agriculture. En revanche, les bouleversements provoqués par la colonisation empêchent, à l’heure actuelle, toute corrélation entre une culture archéologique et les peuples amérindiens connus aujourd’hui.
Les céramiques des sépultures de Yalimapo, par leurs décors et leur mode de fabrication, sont caractéristiques de la céramique barbakoeba. Elles se distinguent par un dégraissant* de céramique broyée appelée chamotte et un façonnage de qualité moyenne. Les décors sont rares et s’inscrivent dans un répertoire limité : des cordons ponctués, des adornos* de forme animale, humaine ou géométrique et des aplats* peints en rouge. Au Suriname, un site funéraire plus ancien (daté entre le IXe et le XIIe siècle), Kwatta Tingiholo, a livré des urnes de même forme. Ces dernières appartiennent à la culture Kwatta, stylistiquement proche du Barbakoeba et en partie contemporaine. Jusqu’à récemment (2012), les urnes funéraires de Yalimapo étaient uniques en Guyane, mais de nouvelles urnes, datant de la même époque, ont été découvertes à Couachi (commune de Mana). Des fosses, des dépôts de vases encastrés les uns dans les autres et des coffrages de céramique ont également été mis au jour sur le site de Sable Blanc Est à Iracoubo.

Rites funéraires d’autrefois

En archéologie, il est difficile de savoir quelles coutumes funéraires présidaient aux sépultures que nous découvrons. Les témoignages des explorateurs européens puis des ethnologues font état d’une grande variabilité de ces coutumes d’un groupe culturel à l’autre, voire au sein d’un même groupe.
Les inhumations de Yalimapo montrent effectivement une différence de traitement des corps. Lors d’une sépulture en urne, le corps est préalablement décharné par des moyens naturels ou artificiels (incinération, ébullition, etc). Par exemple, chez les Wayãpi, au XIXe siècle, les défunts étaient laissés dans la forêt et, au bout d’une année, leurs os étaient ensevelis dans une urne.  L’incinération, quant à elle, est attestée chez les Kali’na au XVIIe siècle ainsi que chez les Wayana. Il semble que les Kali’na enterraient ensuite les restes incinérés dans de grandes jarres à cachiri (boisson à base de manioc fermenté). Chez certains groupes amérindiens, les sépultures en urne étaient réservées aux enfants.
Concernant les inhumations dans une fosse, on peut imaginer que les corps étaient enterrés entiers puis recouverts de fragments de poteries, cassées pour l’occasion. Les Amérindiens du groupe Tupi – dont font partie les Wayãpi – ont pratiqué ce type de sépulture. L’anthropologue Pierre Grenand rapporte que les défunts « dont l’âme risque d’être dangereuse pour les vivants, en particulier, les chamanes » étaient enterrés avec un récipient en céramique retourné sur la tête. L’inhumation directe des chamanes est également attestée chez les Wayana.

Pour conclure…

Les sépultures de Yalimapo, par leur diversité, laissent supposer une différence de traitement due au statut des défunts. D’après les sources ethnographiques, les sépultures en fosse – notamment, celle contenant perles et lames de hache en pierre verte – pourraient être celles de personnages importants (chef, chaman, etc.) ; les urnes seraient alors réservées à une autre catégorie de la population. Cette hypothèse reste évidemment à vérifier, les cimetières connus et étudiés pour cette époque sont encore trop rares pour oser plus que des spéculations.

Texte de Claude Coutet