17 mai 1931 : le Tout-Paris accourt au bois de Vincennes admirer les pavillons de l’exposition coloniale. Au même moment, en mer de Chine méridionale, le vapeur français La Martinière quitte le pénitencier de Poulo-Condor dans le plus grand secret. Dans ses cales : 538 “ indigènes ” de 18 à 40 ans envoyés en Guyane.

Une centaine d’entre eux a écopé des travaux forcés à perpétuité pour “ complot contre l’État ” : quelques intellectuels suspectés de sympathies communistes y côtoient plus de 80 soldats et civils impliqués dans la rébellion de Yen-Bay survenue dans la nuit du 10 février 1930. Lors de cette mutinerie, initiée par le parti nationaliste et anti-impérialiste Vietnam Nam Quoc Dan Dang (VNQDD), une division de tirailleurs indigènes, épaulée par une soixantaine d’activistes, s’est emparée des armes de la garnison et a assassiné cinq officiers et sous-officiers français. Dans l’Indochine ensanglantée par une répression sans précédent contre les révolutionnaires, le ministère des Colonies entend expédier ces “ encombrants ” – selon la terminologie en vigueur – à l’autre extrémité de l’Empire. Là-bas, justement, dans le tout nouveau territoire de l’Inini, l’immense hinterland guyanais, où l’on a cruellement besoin de défricheurs. Les rizières de la Guyane hollandaise, entretenues depuis un demi-siècle par la “main d’œuvre asiatique”, font depuis longtemps l’envie des administrateurs français. Il suffit donc de réimplanter en Guyane la “ mauvaise graine ” d’Indochine. La question du coût, toutefois, a passablement enflammé les esprits : les deux colonies se sont longuement disputées pour savoir laquelle des deux devait assumer les dépenses de l’opération. Au grand dam des bureaux d’Extrême-Orient, l’Indochine est finalement la seule à devoir s’acquitter de la facture.
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