Face aux différents constats d’échec des programmes d’électrification menés dans l’intérieur de la Guyane, l’association Kwala Faya propose aujourd’hui des formations participatives pour le montage de kits photovoltaïques par les habitants des communes dites isolées. Pour mieux s’approprier son énergie.

Dimanche 30 Juin 2013, à Vila Brasil. Le Brésil vient de gagner la finale de la coupe des confédérations, et après une semaine sous tension suite au décès d’un orpailleur, la vie retrouve un semblant de quiétude après la victoire, sous les explosions de pétards et les bourdonnements des groupes électrogènes.

Le lendemain débute, de l’autre côté de la rive, une semaine de formation à l’électricité photovoltaïque pour les habitants de Camopi. La première d’une longue série.

 

Le solaire à Camopi : une histoire récente et complexe

Comme l’ensemble des communes de l’intérieur de la Guyane, celle de Camopi n’est pas connectée au réseau électrique du littoral, et l’accès à l’énergie de ses habitants n’est toujours pas une question résolue malgré quelques tentatives, notamment avec le solaire, qui se sont avérées complexes et loin d’être adaptées à ces territoires amazoniens reculés.

En 2002, au terme d’années de tractation, un programme européen a enfin débouché sur la mise en œuvre de plus de 80 systèmes de production d’électricité photovoltaïque individuels, et répartis au sein du bourg, en amont sur les sites de Saint-Soit et tout au long du fleuve Camopi, pour alimenter les villages essaimés sur les rives de cet affluent de l’Oyapock.

Dix années plus tard, un cinglant constat d’échec prédomine…

Aujourd’hui, la moitié des installations sont hors services, donnant l’image exécrable d’un système inadapté et peu efficace. La confluence de plusieurs facteurs peut expliquer cet affreux bilan.

Les installations du bourg (un peu plus d’une vingtaine), qui devaient fonctionner en relais de la centrale thermique existante, n’ont jamais été connectées au réseau. Les vestiges des installations croulant sous la végétation offrent ainsi une fusion de sentiments délétères de gaspillage d’argent public et de futilité des systèmes solaires.

Sur le reste des villages (ou “ écarts ”), la maintenance nécessaire à la pérennité de ce type d’installations n’a pas ou peu été effectuée, et plus de la moitié est tombée en désuétude. Les familles bénéficiaires de ce programme n’ont pas (ou trop ponctuellement) été formées à leur utilisation et n’ont par ailleurs rien payé. Il n’y a eu de fait que très peu d’appropriations des systèmes par leurs utilisateurs. « On me l’a apporté, ça ne marche plus, il faut qu’on me le change. »

Sur un plan technique, les installations étaient complexes, trop sans doute, entraînant de fait une incompréhension des populations et des pannes récurrentes non résolues par l’absence d’entretien. Les utilisateurs les plus impliqués ont tenté d’intervenir sur les installations en tripatouillant sans grand succès dans l’armoire électrique, dont l’accès était, malgré toutes les précautions prises, possible à tous et notamment aux enfants avec les dangers que cela représente.
Enfin, le caractère immobile des installations n’était pas forcément approprié à la culture amérindienne, sédentarisée depuis peu, et aux mouvements géographiques récurrents des habitants des villages, qui abandonnent parfois carbet et village suite à un mariage, une maladie ou un décès. Un groupe électrogène relève à ce titre beaucoup plus d’intérêts. Sur la Camopi, une installation solaire sur 5 alimentait en 2012 un carbet déserté.
L’énergie est pourtant nécessaire dans ces villages dont certains habitants dépensent entre 150 et 400 euros par mois en essence pour leur groupe électrogène et la satisfaction de besoins basiques (éclairage, télé et congélation).

Il y a 40 ans, constatant une baisse de la mortalité infantile, des Wayãpi de Trois-Sauts affirmaient « Nous sommes en train de réapprendre à vivre avec le rire des enfants ». Aujourd’hui, ils doivent apprendre à vivre avec le ronflement nouveau des groupes électrogène et une dépendance excessive à l’essence coûtant à Vila Brasil, entre 2, 5 et 3 € le litre.

Développement local et réhabilitation de l’image du solaire

C’est sur la base de ce constat qu’est née il y a trois ans l’association Kwala Faya, comme pour relier sémantiquement les 2 fleuves Oyapock et Maroni qui délimitent son domaine d’action : “ kwalai ” signifie soleil en Teko ou Wayãpi, et “ faya ” le feu, l’énergie ou l’électricité en langue bushinengé.

Son champ d’intervention concerne les communes, bourgs et villages dits “ isolés ”, et son action consiste à mettre en œuvre des installations photovoltaïques individuelles (kits) autoconstruites « par les habitants pour les habitants ».

À travers son action, l’association affiche de multiples ambitions. La première d’entre elles est de réhabiliter l’image de l’électricité photovoltaïque, qui en raison de ces malheureuses expériences passées, souffre d’un gros déficit médiatique et culturel. C’est pourtant une énergie locale, gratuite et non polluante. La mise en œuvre de ces systèmes de production individuels a également pour objectif d’améliorer le bien-être et le niveau de vie de familles qui n’ont pas l’électricité ou qui la payent au prix fort.

Aujourd’hui, une dizaine de formations ont été réalisées, d’abord sur l’Oyapock (Camopi, Trois-Palétuviers, et Trois-Sauts) puis plus récemment à Antecume Pata et Talhuen, impliquant plus d’une centaine de personnes. Au final, une trentaine de kits ont été réalisés par les stagiaires, et installés par leurs soins sous forme de mayouris. Ils pourvoient ainsi aux besoins de base de plus d’une centaine d’habitants, en échange d’une participation financière plus modique que vénale, mais qui permet une appropriation du système, et donc un meilleur entretien.

Participation et esprit collectif

Les formations durent généralement 3 à 4 jours, pendant lesquels les habitants sont initialement invités à échanger sur la thématique de l’énergie, son coût en fonction des besoins, et la nécessité d’en optimiser son usage. Les stagiaires ne possèdent généralement pas un niveau d’études techniques poussé, la plupart ayant arrêté au Collège ou au Lycée, souvent par faute de moyens financiers. Mais l’adhésion se fait rapidement, car la solution de kit proposé permet de répondre à une problématique quotidienne : l’accès à un service énergétique minimal. Les aspects théoriques ne passionnent globalement pas les foules, lorsqu’il s’agit de triturer des chiffres ou des Ampères, mais la mise en pratique donne de suite un sens à cette formation. Du concret. Apprendre en se sentant utile plutôt que de prendre des notes. « Nous, amérindiens, on sait tout faire, mais le problème c’est répondre aux questions. »

Au fur et à mesure du montage des kits, on s’interroge, on échange, entre stagiaires et formateurs, puis entre stagiaires eux-mêmes. Le futur acquéreur doit être de la partie, et reçoit également une formation sur les principes de base de la maîtrise de l’énergie d’usage. Des gestes a priori simples (extinction de lampes la journée, de la télé lorsque personne ne la regarde, utilisation de l’ordinateur sur batterie en soirée) mais qui ne sont pas toujours innés, et qui en tout cas permettent d’allonger la durée de vie du matériel et la satisfaction de l’utilisateur.

Les kits sont ensuite installés, toujours en groupe, chez le futur propriétaire qui participe également au montage, et à la mise en sécurité de son installation électrique intérieure afin de prévenir d’éventuels accidents domestiques.

Création d’entreprise : besoin d’innover

Au-delà de la formation, l’autre but avoué de l’association est de susciter le développement d’une activité rémunératrice pour les habitants de l’intérieur qui souhaitent s’investir dans l’offre d’un service énergétique à partir de kits solaires de type Kwala Faya.

La forme associative permet de favoriser l’entreprise collective et égalitaire, en gérant à distance les aspects administratifs et financiers (comptabilité, assurance, trésorerie, commande et acheminement), et en garantissant une formation continue (création d’entreprises, électricité), pour assurer une montée en compétence progressive, avant d’atteindre une maturité entrepreneuriale nécessaire à la pérennité de l’action.

À ce jour, cinq personnes en demande de formations complémentaires ont été accompagnées et sont désormais les référents de l’association au sein de ces villages. Deux d’entre eux ont même récemment été recrutés par l’association pour assurer l’essaimage de ce type de formations participatives sur d’autres parties du territoire. Avec pour objectif de devenir au sein de leur société les promoteurs d’une évolution maîtrisée et pérenne des consommations d’énergie, garants de ce que certains appellent par ailleurs le développement durable.

Texte & Photos par Laurent Pipet