EDITO

Encore aujourd’hui, les sociétés dites d’outre-mer restent mal connues des Français. On pourrait même parier que la majorité des métropolitains, comme on les appelle, ne connaît pas le nom de tous ces territoires, qu’elle serait incapable de citer des noms d’artistes ou d’écrivains kanaks, martiniquais, mahorais, réunionnais, guadeloupéens, guyanais ou des terres du Pacifique, qu’elle ignore leurs faits historiques marquants. Vu cependant la qualité de l’enseignement, on peut aussi craindre que peu d’enfants sur ces terres aient une bonne connaissance de leur histoire et culture.

Que l’histoire des femmes de ces territoires soit ignorée est encore moins surprenant. Quelques images exotiques et réductrices et quelques idées toutes faites émergent ici et là mais rien de concret. Il faut dire que la diffusion de travaux de recherche reste très limitée et que le racisme conforte les idées reçues. Les représentations restent marquées par l’histoire esclavagiste et coloniale et par l’idée que la République aurait tout donné.

La diversité – historique, sociale, linguistique, culturelle – des situations empêche d’en dresser un tableau unique. Il y a les femmes des peuples autochtones, celles qui ont connu l’esclavage, les migrations forcées, le régime colonial, la répression. Elles ont toutes été victimes d’une triple oppression, comme femmes, comme racisées, et comme esclavagisées ou colonisées. Elles ont combattu le viol, les abus de pouvoir, le contrôle abusif des naissances, et le déni de droits. Elles ont créé des associations, ont maintenu des savoirs, ont manifesté.

La tendance française d’aborder la diversité des situations à partir de normes héritées du colonialisme (à travers l’opposition entre modernité – la “  métropole ” -, et tradition – la société d’outre-mer) a institué une grille de lecture qui masque les différences, et ce malgré des progrès dans la recherche et la création. Quelque chose continue à faire obstacle, ce quelque chose étant tout simplement un déni de la manière dont les siècles de colonialisme ont affecté non seulement ces sociétés mais aussi la société française, produisant des représentations et des politiques discriminantes et racistes. Les sociétés des “  outre-mer ” sont marquées par de fortes inégalités sociales et culturelles, des économies dépendantes de la métropole, de forts taux de pauvreté et d’illettrisme, de discriminations à l’emploi, la santé et l’éducation, par une violence sociale, et les femmes sont les premières touchées.

Dans ce contexte, il est donc d’autant plus important de faire entendre leurs voix et de mettre en lumière d’une part ce qui différencie et unit la situation des femmes dans les “ outre-mer ” et d’autre part leur histoire singulière qui est loin d’être tout bêtement le miroir des luttes des femmes en France.

Interview

Chercheuse - La Réunion
« Le féminisme ne peut être qu’antiraciste, anti-capitaliste, anti-impérialiste, car ce sont des modèles de pensées et d’organisations de la société basés sur l’oppression des femmes. »

Chercheuse, politologue et militante, Françoise Vergès écrit sur la mémoire de l’esclavage, l’histoire coloniale, la créolisation, Frantz Fanon ou Aimé Césaire. Ce qui l’anime : décoloniser les institutions, les mentalités, les arts, le féminisme, en commençant par soi-même. Elle publie un livre majeur dans l’histoire des femmes qui s’intitule Un féminisme décolonial. Un essai puissant qui ne cesse de faire débat, car il pose « les questions qui fâchent. » Il met en évidence les ambiguïtés du féminisme occidental qui, sans en prendre conscience, est tout de même influencé par une pensée capitaliste et colonialiste.
Comment votre enfance et votre adolescence ont nourri et orienté les sujets de vos recherches ?
Suite réservée aux abonnés…