Un modèle économique nouveau pourrait-il se développer à partir des connaissances scientifiques de la biodiversité en Guyane ? Une des opportunités est le secteur de la chimie pharmaceutique. Après tout, les espèces de Guyane se défendent avec des molécules chimiques dont on ne connait pas encore grand-chose, et pour certains, la recherche de molécules bioactives dans la nature pourrait être la clé des médicaments de demain.
Ce n’est pas pour autant que des ressources financières importantes vont en découler. En chimie pharmaceutique, il est aujourd’hui plus rentable de développer la chimie de synthèse que de faire des tests longs et coûteux sur l’activité biologique de nombreuses espèces. De plus, une large partie du coût de commercialisation est liée aux études précédant la mise sur le marché. Quoi qu’il en soit, la nouvelle loi sur la biodiversité permet désormais de donner un cadre légal à la valorisation commerciale de la biodiversité.
En chimie comme dans le reste de la science, la recherche fondamentale peut conduire à des découvertes majeures, et le vingtième siècle nous a habitués à vivre dans un monde d’innovations continues, de la télévision à l’aventure spatiale, de la compréhension du cancer à la découverte de l’ADN. On ne sait pas prédire quand des innovations de rupture vont émerger. Par contre, on sait que le meilleur moyen de décourager ces innovations est de ne pas faire le pari de la science fondamentale.

À l’avenir, la biodiversité pourra contribuer au développement de divers secteurs économiques dont deux sont déjà en émergence en Guyane. Le premier est le tourisme vert. Les leviers économiques de ce secteur incluent le développement de filières de formations et l’expansion de l’infrastructure hôtelière.
Le deuxième secteur est la transition écologique. Cela inclut le développement urbain intégrant mieux la biodiversité et des transports collectifs propres, la promotion des cycles économiques courts, la mise en oeuvre de solutions énergétiques sobres, en particulier locales comme le solaire et les hydroliennes. Tous ces leviers de développement sont déjà testés en Guyane.

Texte de Jérôme Chave, labex CEBA
Illustration de Jean-Pierre Penez « Pitou ».

Pistes et solutions d’avenir
par Keita Stephenson

Une nouvelle économie pour la Guyane, ce serait quoi en 2048 ? 

Avec le potentiel amazonien et des outils financiers innovants, l’économie guyanaise gagnera dans la collaboration plutôt que la compétition. Bio-inspirée, elle articule la valorisation des ressources naturelles, culturelles et techniques pour mieux se nourrir, se loger, se soigner, se déplacer, etc.

Comment produira-t-on ?
Les activités productives seront dynamisées d’un côté par des infrastructures digitales variées et un mix énergétique majoritairement renouvelable, et de l’autre par de nouvelles formes d’éducation et de fiscalité. Ainsi, se nourrir avec l’agriculture biologique dopée par des complexes agroforestiers novateurs, des réseaux coopératifs d’exploitants ruraux et des écofermes urbaines, favorisant autosuffisance, exportation haut de gamme, revitalisation des savoirs traditionnels.

Avec qui et comment commercerons-nous ?
Intégration continentale et coopération internationale guideront l’économie mondiale. Un label transamazonien de produits fabriqués sur un des territoires du plateau des Guyanes peut favoriser une communauté économique et revendiquer une spécificité compétitive. Les réseaux urbains des fleuves Maroni et Oyapock avec des zones franches transfrontalières et celui du Centre-Littoral avec une zone franche « euraméricaine », réussiront l’intégration entre leurs écopôles industriels et organiseront l’export via un tissu de coentreprises (ou associations d’entreprises) partageant technologies et compétences dans les secteurs de pointe (R&D, linguistique, agrotechnologie, data centers). Avec des infrastructures portuaires et aéroportuaires publiques privées et des transports durables, la Guyane se positionne comme hub transcontinental.

Comment l’économie guyanaise pourra s’insérer dans la mondialisation ?
Si cette économie propose d’être mieux plutôt que d’avoir plus. On y produit de la richesse grâce aux connaissances tirées de l’extraordinaire diversité culturelle et biologique du territoire avec des investissements financiers et techniques. Le tissu local (entreprises, communautés, associations) s’y épanouit notamment avec un accès universel au microcrédit et des monnaies alternatives complémentaires. La collaboration stratégique entre collectivités publiques, Agence de la Biodiversité, Parcs naturels et Université, se concrétiserait au travers d’instances indépendantes à gouvernance participative, intervenant et coordonnant les activités touristiques, industrielles et scientifiques relatives à la biodiversité en Guyane. En outre, elles agiraient comme opérateurs d’un partenariat plus vaste avec peuples autochtones et pays amazoniens, en vue d’internationaliser les dispositifs de protection et de valorisation et de moderniser la santé ou l’écotourisme. Les filières-clefs (Agriculture, Pêche, Bois, etc.) auront bénéficié de la généralisation et l’optimisation des zones franches spéciales, assurant des partenariats entre coopératives locales et investisseurs privés extérieurs, l’accueil de start-up et une fiscalité écologique. Cette économie de la connaissance attirera les cerveaux, notamment guyanais.

Comment financer ces dispositifs et ces facilités normatives ?
Des Fonds pour le Développement pourraient centraliser les revenus des éco-industries pour les réinvestir sur le territoire et à l’extérieur, une instance d’accompagnement de l’investissement, intervenant sur les marchés du carbone et valorisant des services rendus par l’écosystème guyanais. Autonomie, dématérialisation et services publics collaboratifs auront entretemps rééquilibré le poids des administrations.

Texte par Keita Stephenson, consultant en stratégie et juriste en droit international, participant à la réalisation du rapport Guyane 2040 du MEDEF Guyane.