Comme les parcs nationaux de la Réunion et des Calanques, le Parc amazonien de Guyane (PAG) fait partie de cette nouvelle génération de parcs nationaux français, nés après la réforme de la loi qui les régit, en 2006. Désormais, un parc national doit répondre non seulement aux enjeux de conservation et de connaissance de la biodiversité et des patrimoines culturels, mais aussi à la question du développement durable local.

Il dispose pour cela de deux zones : la zone de cœur, qui possède une réglementation forte propre au parc et qui a des objectifs affichés de connaissance et de protection des patrimoines, et une zone d’adhésion, sur laquelle le droit commun s’applique et où le parc national a principalement vocation à soutenir les projets de développement local.
Le Parc amazonien de Guyane a été créé en février 2007 après quinze années de concertation. Il est né de la volonté de l’État et de certains élus locaux de préserver un vaste espace de la forêt amazonienne. Le PAG, qui est implanté sur les territoires des communes de Camopi à l’Est, Papaïchton et Maripasoula à l’ouest et Saül et Saint-Elie dans le centre, fait figure d’ovni parmi les parcs nationaux français. En effet, il s’étend sur 3, 4 millions d’hectares de forêt tropicale, est très difficilement accessible et plus de 15 000 habitants y vivent. Ils appartiennent aux communautés amérindiennes Teko, Wayana, Apalaï et Wayampi, Noirs-marrons Aluku et Créoles, qui tirent pour la plupart leurs ressources des fleuves et de la forêt. Un contexte singulier qui n’a pas échappé à l’État qui a reconnu des droits particuliers aux communautés d’habitants dans le décret de création de cet immense espace protégé. En effet, contrairement aux non-résidents, la réglementation en zone de cœur de parc ne leur impose aucune contrainte en matière de circulation, de pêche, de chasse, d’agriculture itinérante sur brûlis, de construction de nouveaux villages ou encore de domestication d’animaux sauvages, dans la limite du droit commun. Des dispositions que les habitants ont âprement négociées avant la création du parc national. « C’était à l’époque une attente forte des personnes vivant dans le territoire concerné par le futur parc national, car les territoires utilisés pour la subsistance peuvent parfois se superposer à l’actuelle zone de cœur, justifie Bérengère Blin, directrice par intérim du PAG. Aujourd’hui, leurs modes de vie traditionnels sont reconnus par l’arrêté de création du PAG. C’est un cas un peu unique au sein de la République ».

Un parc national comme territoire vécu, conciliant développement durable et préservation de la biodiversité, loin de l’image de mise sous cloche qui colle parfois aux espaces protégés, c’est une réalité que défend Claude Suzanon, le président du conseil d’administration du PAG : « Ce sont les projets de création des parcs de la Guyane et de la Réunion qui ont poussé l’État à réviser la loi sur les parcs nationaux pour leur confier des missions de développement local. À partir de là, c’est à nous d’inventer un nouveau modèle qui redonne à l’homme une place centrale, tout en répondant aux enjeux de connaissance et de protection de la nature qui incombent aux parcs nationaux ». Ce projet est formalisé par la charte des territoires, signée par les communes concernées, le Parc amazonien de Guyane et l’État.
Pour le parc national, l’élaboration de la charte est intervenue en même temps que sa mise en place. Cet exercice a permis de poser les bases de son action et de son mode de fonctionnement avec les communautés : « pendant quatre ans, nous avons sillonné le territoire et tenu des réunions dans les villages avec les autorités coutumières, les habitants, les partenaires institutionnels et associatifs. », précise Gwladys Bernard, chargée de mission charte au PAG. Les débats et les nombreuses réunions ont fourni la matière pour élaborer la feuille de route à mettre en œuvre dans les années à venir. Dans ses grandes lignes, la charte propose des pistes d’actions en termes d’amélioration de la qualité de vie des habitants (accès à l’eau potable et à l’électricité, gestion des déchets…), de développement local adapté aux modes de vie, de soutien à la lutte contre l’orpaillage illégal, et de préservation et de valorisation des patrimoines naturels et culturels des territoires. « Évidemment le PAG n’est pas toujours compétent dans tous ces domaines. Il n’a pas vocation à se substituer ni aux communes, ni aux autres partenaires. En revanche, il peut appuyer des projets, faire part de son expertise sur le terrain et jouer un rôle de facilitateur pour les organismes compétents », complète Gwladys Bernard.

Activités économiques et développement durable

En zone d’adhésion du parc, le développement local et durable, adapté au contexte local est un enjeu fondamental qui fait l’objet d’une attente forte des populations, tant d’un point de vue économique que social et culturel. Au travers de la charte, le PAG et ses partenaires souhaitent accompagner un développement économique peu impactant pour le patrimoine naturel et qui favorise l’émergence de solutions alternatives à l’exploitation intensive des ressources naturelles. Pour la directrice par intérim du PAG, « ce développement doit être compatible avec les spécificités culturelles des populations, et ne devrait pas systématiquement être calqué sur les modèles occidentaux. On doit pouvoir valoriser les savoirs et savoir-faire des populations et privilégier l’exploitation des ressources locales. Les élus locaux sont en attente de création de microfilières et d’emplois. Nous nous efforçons de mettre en place les conditions requises pour atteindre ces objectifs qui figurent entre autres dans la charte ». Ainsi, depuis sa création en 2007, le PAG accompagne des projets dans les domaines de l’exploitation forestière durable, de l’artisanat, de l’agriculture ou encore de l’écotourisme. Formations, soutien technique, subventions, assistance au montage de projets sont autant d’actions que le PAG fédère, toujours avec l’appui de partenaires : « avec le Centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Matiti, nous accompagnons un dispositif de professionnalisation des agriculteurs du Haut-Maroni qui comprend des cycles de formation, des échanges de pratiques, des voyages d’études… cite en exemple Sarah Ayangma, chargée de mission agriculture au PAG. Nous souhaitons contribuer à la pérennisation d’une agriculture durable et familiale et qui puisse aussi fournir le marché local en produits de qualité ». L’exploitation du bois, notamment pour les besoins locaux de construction, est aussi une filière que le parc aide à structurer, en vue d’accompagner le développement économique local tout en limitant la pression sur la ressource. « L’exploitation des bois en milieu tropical nécessite d’adopter des pratiques spécifiques, afin de valoriser au mieux les bois exploités pour ne pas gaspiller la ressource, mais aussi améliorer la sécurité des bûcherons. Pour cela, des formations à l’abattage contrôlé sont mises en place, explique Fanny Rives, chargée de mission forêt-bois au PAG. Nous pouvons aussi apporter des conseils et appuyer des projets d’investissement, notamment via le dispositif européen LEADER ». Cependant, le développement des filières économiques basées sur l’exploitation des ressources naturelles renouvelables doit nécessairement être accompagné de mesures de gestion de ces ressources. « Pour être mises en œuvre durablement, ces mesures de gestion devront être élaborées en concertation avec les communes, les autorités coutumières et les représentants des usagers », complète Fanny Rives.

Vers une gestion participative des ressources naturelles

Comme le bois, la faune sauvage fait partie des ressources naturelles exploitées traditionnellement par les populations et indispensable à leur subsistance : dans certains villages, la chasse et la pêche constituent encore le seul apport protéique pour les habitants. Cependant, l’explosion démographique, la sédentarisation et la pression de chasse exercée par les nombreux orpailleurs clandestins font que les ressources viennent parfois à manquer, voire à connaître des extinctions locales. Les autorités coutumières, bien conscientes du problème, ont interpellé le PAG dès sa création sur ces questions de chasse et pêche. Ne souhaitant pas se voir imposer une réglementation inadaptée, les habitants ont fait part de leur volonté d’étudier l’état de la ressource avant toute mise en place de nouvelles règles. C’est ce à quoi ambitionnent de répondre les programmes chasse et pêche développés par le PAG, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’INRA de Rennes et l’Observatoire Hommes-Milieux du CNRS. L’originalité de ces programmes réside dans la participation volontaire à des enquêtes de centaines de chasseurs et pêcheurs de tout le territoire. « Il s’agit de mieux connaître les territoires de chasse et de pêche, les espèces prioritairement ciblées, de déterminer des fréquences de prélèvement ou encore de mettre en avant d’éventuels effets de saisonnalité, détaille Raphaëlle Rinaldo, responsable recherche et développement au PAG. Le travail d’enquête est mené par des personnes sous contrat et que nous avons recrutées localement, dans les villages ». Les résultats attendus de ces programmes devront permettre, selon le souhait des autorités coutumières, de construire collectivement des règles de gestion de la faune sauvage sur le territoire du parc national, en vue d’une adaptation de la réglementation relative à la chasse.
Ce type de programme participatif, qui vise à acquérir des connaissances sur les milieux naturels tout en répondant à des préoccupations liées aux modes de vie des populations, constitue une des bases de l’action du Parc amazonien de Guyane : « Nous apportons un soutien et participons à beaucoup de programmes de recherche, conclut Bertrand Goguillon, responsable du service patrimoines naturels et culturels Au PAG, mais nos priorités vont à ceux qui ont un intérêt ou des retombées pour le territoire, que cela soit dans le domaine des sciences de la vie ou des sciences humaines ».

Le massif forestier du Sud guyanais est en bon état de conservation et détient encore bien des secrets. Mieux le connaître et le préserver font partie des missions qui ont été confiées au Parc amazonien de Guyane, tout comme la prise en compte des aspirations légitimes de développement des populations qui y vivent. En ayant mis en place une gouvernance particulière, basée sur l’écoute et la concertation des populations concernées, mais aussi des nombreux partenaires fondés à intervenir dans l’espace parc national, le PAG espère réussir ce pari collectif de faire rimer développement économique et valorisation avec préservation et gestion des ressources naturelles .

ZDUC

Les zones de droit d’usages collectifs (ZDUC) sont définies par arrêté préfectoral. Ce sont des espaces où l’utilisation des ressources est réservée aux communautés d’habitants dans le cadre d’activités de subsistance. C’est un dispositif antérieur à la création du parc national. Il existe aujourd’hui de nombreuses incertitudes concernant les possibilités de développement d’activités privées et commerciales au sein des ZDUC. De plus, il est impossible dans ce contexte juridique, de justifier l’assise foncière individuelle. Or, le foncier est un point bloquant pour de nombreuses demandes de subventions. Une expertise menée récemment par l’Observatoire Hommes-Milieux Oyapock a dressé un état des lieux du dispositif, tant dans son aspect organisationnel que juridique. Les résultats de cette étude constituent un outil d’aide à la décision pour une éventuelle évolution de la situation dans les ZDUC.

L’orpaillage & le Parc national

En Guyane, lorsque l’on parle de développement économique, la question de l’exploitation aurifère finit toujours par être posée, d’autant plus qu’il existe une filière professionnelle, mais que l’or du pays est pillé depuis 25 ans par les orpailleurs clandestins, jusque dans les espaces protégés. La charte des territoires insiste sur la priorité à donner à la lutte contre l’orpaillage illégal, menée par la gendarmerie et les forces armées sous l’autorité du préfet et du procureur. L’orpaillage illégal est la principale activité impactant le PAG, tant au plan environnemental que sociétal, allant jusqu’à obérer la mise en œuvre de ses missions. « Si la lutte contre l’orpaillage illégal n’est pas du ressort du PAG, nous jouons notre rôle de surveillance du territoire, de diagnostic environnemental et d’alerte des autorités contre cette catastrophe. C’est notre contribution. Par le passé, l’expérience a montré qu’on peut faire reculer l’orpaillage illégal. Mais les garimpeiros s’adaptent et les chantiers illégaux sont aujourd’hui plus petits, plus cachés, plus loin », constate Bérengère Blin, directrice par intérim du PAG. Et si malheureusement ces chantiers continuent d’impacter les milieux naturels et la vie des habitants, l’orpaillage illégal ne doit pas être considéré comme une fatalité : « Aujourd’hui, l’orpaillage illégal est l’affaire de tous et c’est l’approche globale qui est privilégiée. Et cela concerne autant l’aspect lutte opérationnelle, qui nécessite des moyens matériels et humains, que la coopération internationale. Car il est anormal que des bases logistiques qui soutiennent le développement de cette activité illégale, perdurent le long des fleuves frontaliers et freinent la mise en place d’activités sur le territoire guyanais », analyse Bérengère Blin.
Mais quid de l’exploitation légale de l’or au sein du parc national ? L’orpaillage fait partie de l’histoire de certaines communautés, comme les Aluku, ou de certains bourgs, comme Saül qui est un ancien village d’orpailleurs. Si la réglementation exclut toute exploitation minière dans la zone de cœur, elle reste néanmoins possible en zone d’adhésion, sous les mêmes conditions que sur le reste du territoire guyanais. Toutefois le schéma départemental d’orientation minière exclut l’activité minière dans certaines zones sensibles en zone d’adhésion, à proximité des bassins de vie ou des têtes de criques. Mais pour le président du PAG, Claude Suzanon, il n’y a pas d’ambiguïté autour de la question minière : « L’activité minière ne fait clairement pas partie des activités économiques identifiées lors de la création du parc national pour asseoir un réel développement durable sur le territoire. Ce qui avait été envisagé au départ, c’était d’imposer des conditions d’exploitation minière exemplaires au sein du parc, avec de fortes contraintes écologiques pour préserver les populations et les milieux naturels exceptionnels. De plus, en l’état, la gouvernance d’attribution des titres miniers n’implique pas suffisamment les élus locaux et les communautés. L’adaptation de cette gouvernance et la réflexion sur les apports économiques de cette activité en zone d’adhésion restent un vrai sujet » .

Trois questions à Claude Suzanon,
Président du conseil d’administration du Parc amazonien de Guyane.

Quelle est la place du Parc amazonien de Guyane au niveau régional ?
Le PAG appartient à l’immense écorégion du plateau des Guyanes comprise entre l’océan Atlantique, l’Orénoque et l’Amazone. Avec le parc national des Tumucumaques du Brésil, nous partageons 450 km de frontière et formons le plus vaste espace de forêt tropicale protégé au monde, avec 7,3 millions d’hectares. Le PAG est une structure jeune et dynamique qui peut partager les expériences des autres et y apporter une démarche innovante.

Quel rôle peuvent jouer les aires protégées à l’échelle régionale ?
Un réseau d’aires protégées avec des corridors écologiques peut être un atout pour une cohésion entre pays voisins et contribuer au développement d’activités économiques complémentaires basées davantage sur les services rendus par la nature et les choix culturels de la population.

Quels sont les facteurs limitants pour une bonne coopération, voire la création d’une aire supranationale ?
L’orpaillage illégal sévit dans la plupart des pays du plateau des Guyanes. C’est aujourd’hui un frein à la coopération entre les aires protégées qui ne pourra être levé si les gouvernements des différents états s’unissent pour endiguer ce fléau. Nous avons aussi des difficultés de communication tant dans les langues que les moyens de transport, mais on constate surtout que la dynamique n’est pas encore bien affichée au plus haut niveau. Une zone Man And Biosphere avec les deux parcs frontaliers serait une reconnaissance mondiale. La coopération régionale ne peut donc que se renforcer car même en présentant de nombreuses différences, nous sommes tous par notre nature, des Guyanais, des Guyanais du plateau des Guyanes

Texte de Guillaume Feuillet – Parc amazonien de Guyane. Photos G . Feuillet, F. Rives