Les journalistes locaux en rêvaient sans vraiment y croire. Nicolas Sarkozy allait-il profiter de son séjour en Guyane pour y aller de sa petite annonce de candidat à la présidentielle ? Cela ne s’est évidemment pas produit. Le chef de l’Etat s’est contenté de dresser le bilan de l’opération Harpie, d’inaugurer le nouveau nom de l’aéroport, et d’adresser ses vœux à l’outre-mer après un bref passage à Taluen, sur le Haut-Maroni. Bref, rien de très sexy au programme. Heureusement pour nous, il y avait les coulisses. Là où tout se passe. Le meilleur comme le pire…Texte et photos : Guillaume Aubertin – Vidéos du discours à Taluwen sur le haut-Maroni par Jody Amiet en fin d’article

« Ah non, ah non ! Vous n’allez pas me prendre mon parapluie. La dernière fois que je l’ai laissé, je ne l’ai pas retrouvé ». Cette vieille dame n’est pas loin de provoquer une émeute. On est à l’entrée de l’aéroport, et les portiques de sécurité spécialement installés pour la venue du président emmerdent tout le monde. « On n’est pas des terroristes », peste un jeune homme dans la file d’attente. Oui mais, sait-on jamais… un bon coup de parapluie à bout portant pourrait suffire à ébranler la République ! Qui dit visite présidentielle dit aussi dispositif de sécurité optimum. Même les journalistes accrédités qui ont eu accès à la piste d’atterrissage sont sous haute surveillance. « Vous n’êtes pas du pool, vous ? » – « Le pool ? J’ai un badge vert, c’est pas bon ça ? » Apparemment non. « Vous n’avez rien à faire là. Retournez avec les autres ». C’est dit sèchement et ça donne pas envie de discuter. Seule une poignée de journalistes « VIP » a le privilège de shooter le président à sa descente de l’avion. Les autres sont parqués autour des militaires au garde à vous. Comme dirait l’autre, il ne nous a pas amené le beau temps. La porte de l’Airbus présidentiel s’ouvre. Nicolas Sarkozy apparaît sous une fine bruine de saison des pluies à faire pâlir de jalousie le ciel breton. Petit coucou de la main. Première marche, deuxième, et oups, la glissade ! On est passé tout près de la pige chez « Vidéo Gag ». La visite du chef d’Etat en Guyane commence mal.

« Sa femme s’appelle… Ségolène Royal » !

Allez, une p’tite Marseillaise pour se relancer, le traditionnel accueil républicain suivi de la distribution de poignées de main aux élus locaux (de tous bords), et voilà notre président prêt à braver la foule. Une bonne centaine de gamins sont là, dans la salle des bagages, à fixer le président de leurs grands yeux ébahis. « Il m’a serré la main », se félicite l’un d’eux. « Moi, le maire (de Matoury, Jean-Pierre Roumillac) m’a fait une bise », coupe un autre. Les élèves de l’école élémentaire Rochambeau ont sorti leur plus belle chemise blanche. « J’ai touché sa bague », raconte l’un des écoliers, sacrément fier de lui. « On sait qu’il a eu une petite fille avec sa femme », réagit une autre, en lectrice studieuse des magazines people. Sa femme ? « Elle s’appelle… Ségolène Royal », tente une camarade, sûre d’elle. On lui explique que ce n’est pas tout à fait ça mais l’important, dit-on, c’est de bien participer à l’oral.

« Il a le nez moins crochu qu’à la télé » !

En tout cas, comme le note un dernier élève : « le président est plus beau en vrai. Il a le nez moins crochu qu’à la télé ! » Les enfants sont formidables ! On bavarde, on bavarde, mais Nicolas Sarkozy a déjà commencé son discours face à quelques centaines de personnes invitées. S’il est officiellement venu pour présenter ses vœux à l’outre-mer, il en profite donc pour inaugurer le nouveau nom de l’aéroport. Adieu Rochambeau. Désormais, ce sera Félix Eboué. Le président reprend le célèbre « Jouez le jeu », en hommage au « fils d’orpailleur et de l’épicière de Cayenne ». « Ce n’est pas lui qui va nous apprendre la vie de Félix Eboué », remarque un technicien de la CCIG qui « vote blanc ». « 500 000 euros de dépensés pour le changement de nom et l’inauguration, précise-t-il, ça fait beaucoup pour un discours d’un quart d’heure ! » Rémi-Louis Budoc paraît, au contraire, plutôt enthousiaste, « certain que cet aéroport va enfin pouvoir s’épanouir ». Le secrétaire départemental de l’UMP trouve que son président « a la pêche et semble déterminé. Il va repartir revigoré et les Guyanais pourront compter sur lui… » Sarko candidat ? On a peut-être loupé une étape. A l’extérieur de l’aérogare, sous son élégant katouri, Christiane Taubira fait une fois de plus l’attraction auprès des journalistes. Le bilan du président en prend pour son grade. Nicolas Sarkozy a déjà dû filer. Sur scène, Tano, l’animateur de Guyane 1ère, tente, en vain, de convaincre la foule : « Restez là, un grand plateau artistique vous attend ! » Les rangs se vident petit à petit. La fête de l’inauguration touche à sa fin.

« Ne racontez pas n’importe quoi au journaliste ! »

Plus que pour l’inauguration du nouveau blase de l’aéroport, un quinqua mal rasé affirme avoir fait le déplacement « pour saluer ce grand bonhomme » qu’est le chef de l’Etat. « Le président est là donc je suis venu », explique-t-il simplement en laissant sa griffe sur le livre d’or qui, nous dit-on, sera lu par Nicolas Sarkozy « himself » avant de revenir à la Chambre de commerce et d’industrie de la Guyane. Alors que deux « gangans » reviennent sur le « beau discours du président », la troupe du lycée Félix Eboué passe par là. « Yo les djeuns, c’était comment ? » – « Euh… émouvant », lâche Jean-Philippe alias HB King. « Le discours était percutant. Ça fait réfléchir », commente Guillaume. On est interrompu par madame la proviseure qui veille au grain : « Attention les enfants, ne racontez pas n’importe quoi, prévient-elle fermement. Ne me faites pas honte. Je n’ai pas envie de longer les murs ». Merci pour la confiance. Pour une fois qu’on tombe sur des jeunes loquaces qui ont envie de s’exprimer… La preuve : « Honnêtement, si j’étais majeur, je voterai pour lui », clame une élève de seconde. « Moi, on m’a forcée à venir », glisse une camarade, dont on taira le nom histoire de ne pas compromettre son passage en classe de 1ère ! Et sinon ? « Il a l’air sympa de l’extérieur, d’après Elodie, ou Didie loveuse pour les intimes. Mais après, on ne sait pas, l’habit ne fait pas le moine ». HB King, lui, trouve que son président « ressemble à Staline » ! La révolution russe est-elle au programme des classes de seconde ?

« Ce qu’on s’est mis hier soir » !

Dehors, les portiques de sécurité ont été démontés. Le coin « consigne » est pris d’assaut par des femmes en colère : « Ki moun vòlò mo parapli ? » Une dame bien apprêtée hésite à se faire justice elle-même : « Celui-là ressemble au mien, mais si tout le monde fait pareil, on ne s’en sort plus ». A ses côtés, un militaire en uniforme pousse un « ouf » de soulagement. Il vient enfin de remettre la main sur la paire de ciseaux à ongles de son épouse. A cette heure-ci, le président est déjà en « route » pour Taluen, sur le Haut-Maroni. Problème, les places sont chères. Pas moyen de s’incruster dans l’hélico. D’après les chanceux qui étaient du voyage, tout s’est plus ou moins déroulé sans accroc. Nicolas Sarkozy a pu s’entretenir avec les chefs coutumiers amérindiens et bushinengés. Il leur a d’ailleurs promis que toutes les saisies d’or seraient réinvesties pour améliorer les infrastructures des villages du fleuve. L’inauguration du centre de santé, en revanche, a été zappée. A part ça ? Un confrère de la presse locale se livre : « Oulah ! Ce qu’on s’est mis hier soir ». Les propos transpirent le rhum. « On a dormi au bord du fleuve à Maripa-Soula et c’était chaud, chaud ! Ce soir, c’est revanche à la caïpi du Domino avec l’équipe de TF1 ».

« Avec 50 bonhommes déguisés comme ça, tu fais un bon groupe de carnaval » !

En attendant les réjouissances, il y a d’abord le bilan Harpie à ne pas rater. Direction la caserne de la Madeleine. Sur place, tout le monde est là : gendarmes, policiers, militaires, douaniers, pompiers… On ne se mélange pas trop. Le président est attendu d’une minute à l’autre. Le coordinateur des médias, lui, est dans le jus. « Marchez pas là », s’emporte-t-il en indiquant la bande jaune des escaliers qui a été repeinte pour l’occasion. « Vous les photographes, attendez sous le carbet ». En insistant un peu, on arrive finalement à se dégoter un badge rouge, précieux sésame qui sert d’accès à la tente du CRAJ, le Commando de recherches et d’actions en jungle. Cette section du 9e Rima expose la panoplie complète des soldats qui luttent contre l’orpaillage illégal. On se croirait à la kermesse de l’armée. Le stand d’à côté inventorie tout ce qu’on peut saisir comme matériel sur un site clandestin. Les militaires font comme tout le monde : ils attendent. Deux d’entre eux (qu’on avait pris pour des arbres) ont en fait revêtu une tenue de camouflage spéciale jungle. « Avec cinquante bonhommes déguisés comme ça, tu fais un bon groupe de carnaval », rigole un représentant de la presse locale. Les carnavaliers-commandos commencent à trouver le temps long, mais ils ont « l’habitude ». Un militaire et un journaliste sont en plein débat : « Moi, je préfère les lits picots aux hamacs », lance le premier. « Ah non, tranche le second. J’ai dormi pendant cinq ans en hamac et j’avais plus de problèmes de dos ». Un gradé vient clore la discussion : « Coupez bien votre portable, les gars ! » – « Ce n’est pas le moment que ma femme m’appelle pour savoir s’il reste du sucre dans le placard », rigole l’un des militaires. Un autre : « Imagine le téléphone qui sonne avec une sonnerie disco bien pourrave » !

« Je connais bien la Légion. Des Biélorusses, il y en faut aussi ! »

Ça y est. Le chef des armées est en visu. Il a terminé son petit tour des locaux de la caserne, où on lui a appris en direct qu’un règlement de comptes entre garimpeiros venait de faire neufs morts. A quelques secondes de prononcer son discours sur le bilan de l’opération Harpie, la nouvelle fait un peu tâche. Le président passe en revue le stand des commandos. « Alors, c’est quoi le plus sur ? On met du temps à s’habituer à la forêt ? » Rapides questions pour la forme. Puis il croise quatre légionnaires sur son passage. « Je connais bien la Légion », dit-il. Avant de s’adresser à l’un d’eux : « Vous, vous venez d’où ? » – « Biélorussie », répond timidement le légionnaire. «Il y en faut aussi », remarque le président.

« On n’est pas là pour plaisanter »

Place au discours. Les garimpeiros doivent avoir les oreilles qui sifflent. Le président est déterminé à les traquer « sans relâche ». Le même sort sera réservé aux auteurs des violences urbaines qui ébranlent la Guyane depuis ces derniers mois. « On n’est là pour plaisanter », affirme Sarkozy avec conviction. Et d’ajouter : « Les policiers ne sont pas là pour faire des relations sociales ». Le chef de l’Etat promet enfin que « le nouveau commissariat de Cayenne sera implanté en face de la Madeleine, et qu’une soixantaine de gendarmes supplémentaires seront déployés à travers le département ». Fin du discours et nouveau bain de foule : « Vous savez que le gilet pare-balles sauve cinq à six vies par an », fait-il remarquer à deux charmantes policières. Nous, on a le temps de demander à Claude Guéant s’il ira faire un tour chez Nana, ce soir. « Ah oui, c’est carnaval, répond le ministre de l’Intérieur. Si vous saviez toutes les choses dont on doit se priver quand on est ministre ! » Le cortège s’apprête à repartir. On arrive à refourguer à la sauvette un exemplaire d’Une Saison en Guyane à la ministre de l’Environnement, qui accepte de prendre la pause avec le baboune en Une du magazine. Nathalie Kosciusko-Morizet promet qu’elle le lira. Mission accomplie.

Deux militants environnementalistes interpellés

Dimanche matin, le président est attendu au centre spatial pour une visite du nouveau pas de tir de Vega. Comme au bac, mieux vaut toujours faire l’impasse sur un sujet pour mieux se concentrer sur le reste. Oublions donc Kourou et rendons-nous directement au Zéphyr, où Nicolas Sarkozy doit y présenter ses vœux à l’outre-mer. Pendant ce temps -là, les pompiers guyanais en colère, qui auraient bien mis le feu pour se faire entendre, sont cernés de toutes parts. Des escadrons de gendarmerie de mobile ont eu l’ordre de bloquer les casernes de Cayenne et de Rémire pour empêcher tout débordement. Ambiance pour le moins tendue sur l’île de Cayenne, particulièrement aux abords de la salle Zéphyr. On apprend que deux militants environnementalistes viennent d’être embarqués au commissariat. Les deux malheureux ont eu l’audace de tenter de distribuer des tracts citoyens qui invitent à réfléchir sur l’environnement ! Un membre de la sécurité nous confirme qu’ils ont bien été interpellés pour « trouble à l’ordre public ». Ils seront finalement relâchés par un officier de police judiciaire qui ne voit pas trop ce qu’on peut leur reprocher. Sinon, les retardataires ne sont pas les bienvenus au Zéphyr. Cela est aussi valable pour les journalistes qui se font refouler. Une délégation de femmes venue spécialement de Guadeloupe pour assister au discours du président est invitée à rester dehors. « C’est trop tard, mesdames, le discours a déjà débuté ». Nous, on ne sait pas comment, mais on arrive de justesse à passer à travers les mailles du filet.

« Allez, au buffet »

La salle est comble. Plus de 2 000 personnes écoutent sagement le bilan du quinquennat de Sarkozy. Certains sont venus en famille. Un gamin pique un somme dans les bras de son papa alors que le chef de l’Etat le répète : « Ici, ce n’est pas le far west. Et ça ne le sera jamais ». A l’instar de l’orpaillage clandestin, tous les thèmes sont développés : la téléphonie mobile, la lutte contre l’illettrisme, l’insécurité, le développement endogène, la reponsabilité des élus locaux… Difficile de nuancer la frontière qui sépare Sarkozy le président et Nicolas le candidat. Des applaudissements répétés égaient le discours. On cherche le chauffeur de salle, mais on ne le trouve pas. « Bonne année, vive la France, vive la République », conclut le chef de l’Etat, acclamé par l’assemblée.

Gladys est « convaincue ». « Vous avez-vu, dit-elle en se levant de sa chaise, tout le monde chante : Sarkozy président ». Dans la foule, un homme nous interpelle : «Il a proposé des choses concrètes pour la Guyane ». Mais comme le dit une jeune femme dans la cohue : « Allez, au buffet ! » En chemin, on croise Rodolphe Alexandre, forcément conquis : « Le président connaît la réalité et les attentes de la Guyane », approuve le président de Région. Les deux hommes se sont entretenus en privé la veille au soir. Et entre deux coups de fil « avec Barack Obama », ils auraient eu « le temps d’aborder de nombreux sujets, avec des choses concrètes, concernant la pêche, le tourisme et la coopération régionale… » Christiane Ichoung Thoe a, elle aussi, été séduite par les vœux présidentiels. La conseillère régionale reconnaît toutefois que « le président aurait pu appuyer un peu plus sur la culture ».

« Envie de jeter un pavé dans la mare »

Comme la veille à l’aéroport, c’est la foire d’empoigne pour récupérer son parapluie. On demande à deux étudiants ce qu’ils ont pensé du discours. Réjane a « apprécié », même si elle n’est « pas certaine de voter pour Sarkozy ». Son ami Yannick est moins nuancé : « De toute façon, c’est le moins mauvais candidat ». Retour dans la salle où le pupitre du chef de l’Etat est en train d’être démonté. Tout le monde s’est envolé vers le buffet, à part les politiques guyanais qui livrent leurs impressions aux journalistes. Un peu à l’écart, une dame laisse traîner ses oreilles, attentive aux réactions des élus. Elle avoue être « bien ennuyée » de choisir pour qui elle va voter : « Pas Sarko, pas Hollande, j’ai envie de jeter un pavé dans la mare. Pourquoi pas Le Pen ou Mélenchon, histoire d’inviter les autres à réfléchir ».