La Guyane semble être à l’orée d’une révolution économique depuis qu’un groupe pétrolier dit avoir trouvé du pétrole dans ses eaux territoriales. La chose est parfaite. Elle est lue du point de vue historique comme la conclusion d’une intuition bien plus ancienne. En effet, des prospecteurs américains s’étaient déjà fait remarquer par l’administration coloniale après la fin de la première guerre mondiale par leur première démarche pour une autorisation de sondage du sous-sol, à une époque où sur le plateau des Guyanes la présence du pétrole n’était même pas envisageable. L’intuition les conduit d’abord au Surinam puis en Guyane. L’intérêt soudain pour le sous-sol de cette région va stimuler le gouvernement de Maginot à parfaire les contraintes administratives puis à modifier juste un peu la législation sur les mines.

Dès 1923, la France recherche son autonomie énergétique et à s’opposer à la domination anglo-américaine. En 1924, par décision de Poincaré, la France va créer la Compagnie Française des Pétroles (CFP) exclusivement tourné vers le Proche et Moyen Orient, compagnie qui un peu plus tard entre 1928 et 1931 raffinera le pétrole importé de la région de Mésopotamie.

Avant 1930, les États-Unis d’Amérique ne dispose d’aucune force d’opposition en Amérique central et du sud sous contrôle du consortium anglo-hollandais, la Royal Dutch-Shell administré par H. Deterding. La recherche du pétrole et le forage ont été pour la classe dominante en France avant 1918 une entreprise hasardeuse et couteuse. L’achat plutôt que la recherche va prédominer, tandis que dans le même temps, côté allemand, dès 1913, est déjà mis au point un carburant synthétique obtenu par hydrogénation du charbon. C’est dans ce contexte de recherche des expérimentations et d’autonomies énergétiques les plus propices que les terres des plateaux de Guyane seront sollicitées.
C’est le 22 septembre 1924 qu’est accordée officiellement la première autorisation de recherche sur la présence de l’or noir sur le territoire du Surinam. Elle avait été accordée à W. KOOKER responsable de la Société La Surinam Petrolum pour une durée de cinq ans. Après moult difficultés économiques et des tracasseries politiques de 1928 à 1933[1] sous les gouverneurs Arnold van HEEMSTRA et A.A.L. RUTGERS, la Société La Surinam Petrolum est dissoute en 1928. M. KOOKER, pionnier en son temps, décède en mai 1929 à Amsterdam. Mais bien avant sa dissolution, la Surinam Petrolum, à partir de simples conjectures de l’esprit basées sur des connaissances de géologues américains et vénézuéliens, avait commencé les fouilles à soixante mètres de fonds dans les environs du District de Nickerie. Ces fouilles s’avérèrent infructueuses. La tactique purement intuitive va s’allonger, jusqu’à la décision du gouvernement de Demara de forer pour trouver de l’eau environ à huit kilomètres de Nickerie, le long de la frontière. Cette tentative hasardeuse donna un peu d’encouragement. Ce fonçage permit en mai 1929 de trouver « des traces de pétrole à 1461 pieds de profondeur »[2]. Toutefois, ces éléments bien qu’ils constituèrent des preuves encourageantes ne furent pas utilisés, puisqu’à la demande des autorités britanniques les recherches s’arrêtèrent. Cependant, celles qui continuèrent plus ou moins officiellement durant l’année 1929 permirent de trouver « dans la plantation MOCCA à 30 kilomètres de Paramaribo du gaz, de l’huile flottante et de l‘huile d’origine minérale en petites quantités »[3].

Ces substances permirent aux chercheurs et aux investisseurs de les regarder comme des faisceaux de possibilités et de réussites entrepreneuriales. Les prospecteurs géologiques considérèrent le sous-sol du plateau des Guyanes comme une seule veine partant d’un seul tronc. De cette logique géographique, le quadrillage de la région obligea, pour plus d’efficacité, à suivre par points de concordance des lieux supposés contenir du pétrole au-delà des lignes frontières. Ces chercheurs se déplacèrent avec leurs savoir-faire vers la Guyane Française. Leurs manœuvres sont de « pénétrer de la Guyane Hollandaise à la Guyane Française » et « prospecter la région côtière pendant les mois de pluies jusqu’à mai ou juin et de revenir pendant la saison sèche entre les mois d’août et d’octobre. Et d’attendre la mise en place des géologues américains qui ont déjà exploré le Venezuela et Trinidad avec succès »[4]

L’euphorie que procure ce liquide-outil de la domination des pays industrialisés se retrouve face une administration coloniale avec ses schèmes d’action assez rétrograde tente de sauvegarder une forme stable de la gestion de son sous-sol.

Lorsque Maxwell Stevenson investisseur américain de New-York et S.M. Filipovitch son représentant à Cayenne sollicitèrent en avril 1929 auprès de M. Maginot, Ministre des colonies, le droit d’exploration géologique, afin de découvrir si la Guyane française possédait du pétrole, le gouverneur Siadous à la demande de sa hiérarchie publiait deux arrêtés au journal officiel[5] visant à limiter le droit minier sur les hydrocarbures. Un état juridique que seul le ministre des colonies avait autorité de modifier par décret. Cette restriction juridique fut d’abord un choix de conservation du sous-sol. Par un radiogramme du 18 juin 1929, le ministre des colonies indiquait au gouverneur « qu’il était souhaitable de suspendre les délivrances aux étrangers des autorisations personnelles portant sur les hydrocarbures ». Cette limitation s’apparentait à l’instauration d’une sauvegarde face à un enjeu grandissant que le droit des mines n’avait pas prévu jusqu’alors. La solution la plus directe de la part de l’administration coloniale était de délimiter ou d’en interdire l’accès aux zones de recherches qui se trouvaient alors hors du champ de contrôle du droit minier du 16 octobre 1917.

Mais au-delà de ces précautions d’usage qui relevèrent en définitif de l’intendance administrative, et notamment du contrôle sur l’immigration, un doute subsistait : Qui sont vraiment ces investisseurs ? Après une simple enquête des services du renseignement, Paris prétend que « M. Maxwell Stevenson se trouve à la tête d’un groupe américain important constitué en vue de la recherche et de l’exploitation des pétroles. Ce groupe serait indépendant de la Standard Oil et de la Deutch Schell. Il aurait créé des exploitations dans les Guyanes anglaise et hollandaise et au Brésil »[6]. L’enquête révélait, en outre, que M. Maxwell était en contact avec le Lago Petrolum Corporation et le Creole Syndicate. Deux compagnies productrices de pétrole au Venezuela ayant comme garantie la Bankers Trust Compagny à Wall Street, New-York.

Les différentes correspondances entre les intéressés et parfois avec Paris montraient tantôt une fin de non recevoir, tantôt une grande prudence mêlée de scepticisme, et dans le même temps de laisser libre la possibilité d’explorer le sol sur des surfaces réduites dans un laps de temps limité. A la suite d’une demande de renseignement du Gouverneur de la Guyane adressée à Paul Claudel ambassadeur de France aux Etats-Unis, la réponse par lettre de l’attaché commercial des États-Unis du 6 novembre 1929 faisait connaître que Stevenson était un parfait inconnu dans les affaires pétrolières, et dans d’autres affaires. L’homme n’était pas ce qu’il prétendait être. S.M. Filipovitch quitta la Guyane un peu avant ces demandes de renseignements.

Malgré cette requête élargie auprès des établissements faisant autorité dans ce type d’industrie rien n’y faisait. Dans cette enquête apparaît un certain Otto Scott Estrella, millionnaire, citoyen vénézuélien, immergé depuis une douzaine d’années dans les affaires pétrolières avec succès. Toutefois, il est considéré davantage comme « un intermédiaire et non comme un homme d’affaires capable de s’intéresser à une entreprise de cette importance ». Celui-là même que l’on retrouve dans un courrier de M. Stevenson au Gouverneur le 22 août 1929 :
« Lorsque vous reviendrez de Saint-Laurent vous voudrez bien me faire selon les formes que je vous indiquerai, une demande de licence personnelle au nom de M. Otto Scott E. qui désire se substituer à M. Maxwell Stevenson».

Le ton de cette courte citation laisse à penser un début d’amitié entre l’affairiste et le gouverneur. Une amitié dont ce dernier se méfiait probablement. A partir de mars 1930, on ne trouve plus de trace de correspondances portant sur cette affaire entre ces hommes et l’administration coloniale. Des questions subsistent : s’agissait-il d’un seul et même homme, d’une tentative d’extorsion de fonds. Rien ne le dit, rien ne le prouve d’ailleurs. Nul ne sait. Un jour ces hommes disparurent et le silence se fut, seul resta l’extrait d’un rapport énigmatique au Gouverneur, sans date, ni nom d’expéditeur : « …comme il en résulte de mes recherches, j’ai trouvé sur les plus grandes parties des régions des Guyanes des pierres ignées, et des pierres métamorphiques sont découvertes. Dans les frontières des possibilités de commerce de pétrole en mince couche formée sur de petits espaces… » Cela contrastait un peu avec la presse de l’époque. Le journal La Guyane fondée par GALMOT dans son numéro 124 du dimanche 13 octobre 1929 reprenant un article de presse des Annales Coloniales faisait état de traces de pétrole dans le Haut-Maroni, et de conclure que « toutes ces données et d’autres encore publiées par la presse ne reposent sur aucune documentation scientifique ou industrielle. Le problème des gisements de pétrole demeure entier pour la Guyane et il y a peu de chance qu’il doive être résolu affirmativement en raison de la constitution géologique du pays. »

En conclusion, cette micro-histoire d’un évènement presque invisible ou inconnu du grand public sauf par un petit monde restreint, lié, plus ou moins, aux affaires des colonies va à notre temps au devant d’une plus grande appropriation et d’une attention inédite. Il est encore trop tôt pour reprendre avec cette découverte de puits de matières fossiles une théorie de la guyanité ou refuser ascétiquement la faculté de n’être plus soi. Il est observé depuis des décennies que les textes de lois qui régissaient la colonie puis le département de la Guyane ont trouvé une amélioration en fonction de la poussée des nouveaux agents de développement économique et des résolutions sociales qu’ils peuvent entrainer. Il y a de forte chance que le pétrole nouvellement trouvé au large de la Guyane soit là encore le vecteur providentiel, l’accoucheuse sans forceps de la transformation des textes de lois qui régissent l’expression économico-sociale du pays. Allez savoir, pour l’heure une seule chose est sûre : L’histoire continue….

[1] Notamment la crise financière de 1929.

[2] Rapport au Gouverneur de la Guyane, 5 octobre 1929.

[3]Ibidem

[4]Correspondance de Filipovitch au Gouverneur de la Guyane le 30 mars 1930.

[5] Arrêtés n°952 : article 3 du 12 octobre 1929 et l’arrêté n°184 article 1 du 15 février 1930.

[6]Courrier du 26 avril 1929