L’Amapá est l’État le mieux préservé en Amazonie brésilienne. Mais ces trois dernières années, la pratique incontrôlée du brûlis a déclenché un nombre record de feux de forêt pendant la saison sèche. [AmazôniaReal, 22/12/16, extraits.]
L‘Amapá affiche le taux de déforestation le plus faible de l’Amazonie brésilienne. Pourtant ces deux dernières années, l’Institut national de recherche spatiale (INPE) a recensé une nette augmentation des foyers d’incendie par rapport aux deux années précédentes [1]. Pour le seul mois de décembre 2016, les données indiquent 491 foyers d’incendie contre 269 en 2015, soit une augmentation de 82,6%. Un record inquiétant car décembre est habituellement le mois où les feux diminuent dans cette partie de l’Amazonie orientale. Macapá, Mazagão et Oiapoque sont les municipalités les plus touchées.
Selon le coordinateur du programme de surveillance par satellites de l’INPE, Alberto Setzer, cette augmentation est due à de mauvaises pratiques agricoles. « On retrouve ce problème dans presque toutes les régions du pays durant cette période. La technique du brûlis va à l’encontre de la législation brésilienne. Les gens le font en toute impunité », explique-t-il.
Marcelo Creão, secrétaire de l’Environnement de l’Amapá, conteste ces données. « L’INPE se trompe car il comptabilise aussi les sources de chaleur émises par les toitures en tôle à la saison sèche. Nous devons en tenir compte ». Et de poursuivre : « C’est à cause de la réserve biologique du lac Piratuba [2]. Tous les ans, cette Unité de préservation subit un régime d’incendie non maîtrisé laissant apparaître plusieurs sources de chaleur, alors qu’en fait, il n’y en a qu’une seule. Cela contribue à augmenter [artificiellement] les incendies de forêt dans l’Amapá. »
Alberto Setzer juge cette information fantaisiste. « La tôle ondulée brûlante ne peut être identifiée comme source de chaleur. Ça n’a aucun sens. C’est faire preuve de naïveté, ou alors c’est de la mauvaise foi dans le but de masquer la réalité. Actuellement, notre seul doute concerne les sources de chaleur fixes issues des usines sidérurgiques, ou les sources de chaleur occasionnelles imputées aux incendies dans les bâtiments industriels ou résidentiels. C’est à cause du capteur du nouveau satellite NPP qui est très sensible. Quoi qu’il en soit, cela ne concerne pas l’Amapá. »

Feux sans surveillance, destruction des cultures et pollution de l’air
Le feu ravage l’environnement, pollue l’air et porte atteinte à la santé de la population. Les grands propriétaires terriens seraient en partie responsables de la situation. « Nombre d’entre eux ne sont pas originaires de Bailique, ils viennent d’ailleurs ; il y en a même qui ne sont pas de l’Amapá. Généralement ce sont des proches du gouverneur, du sénateur, du député. Ils allument des feux pour ensuite exploiter les parcelles, plutôt que d’embaucher quelqu’un pour débroussailler », explique Jeová Alves, président de l’Association des communautés traditionnelles de Bailique, Traditionnellement aussi, les riverains allument des feux pour « préparer » le terrain et lancer de nouvelles plantations. Mais l’absence de précipitations et le manque de surveillance favorisent les incendies qui se propagent aux zones forestières.
Les familles sont impactées économiquement car le feu détruit leur « outil de travail ». « Nos revenus proviennent tantôt de la cueillette du wassaï, tantôt de la pêche et aussi de l’élevage de poules… On n’avait pas connu pareille sécheresse depuis 20 ans. Les lacs sont asséchés et beaucoup de poissons sont morts. J’ai perdu au moins 60% de ma plantation », déclare Alcindo Farias, un agriculteur de 53 ans. Comme les pluies sont rares à cette époque, le feu progresse sans difficulté. « Les pompiers ne viennent pas. Ibama [3] est arrivé un jour en hélicoptère. Ils nous ont demandé qui a mis le feu. On n’en savait rien, alors ils sont repartis. On ne peut rien faire, juste attendre qu’il pleuve », conclut-il, fataliste. Malheureusement, les pluies qui tombent habituellement dans la région en fin d’année ne seront pas suffisantes pour arrêter tous ces incendies.

L’État pointé du doigt
Dans l’archipel de Bailique [4], district de Macapá, les enfants et les personnes âgées ont des problèmes respiratoires causés par la fumée et la poussière qui sévissent à la saison sèche (juillet-décembre). Jeová Alves dénonce l’absence du gouvernement de l’Amapá dans la lutte contre les incendies : «Ici, il n’y a pas d’État. On ne peut pas compter sur eux. Le Ministère public fédéral a demandé au gouverneur de prendre des mesures. On nous a envoyé l’hélicoptère des pompiers, c’est tout ! ». En attendant, les cas de maladies respiratoires vont encore augmenter comme ces derniers mois.

Manque d’eau potable
L’accès à l’eau potable dans l’archipel de Bailique est un autre problème majeur. En raison de la salinité des eaux souterraines, les habitants dépendent presque exclusivement du stockage des eaux de pluie. Mais vu la grande sécheresse, les réservoirs sont à sec. Selon Jeová Alves, neuf familles sur dix sont privées des services de distribution d’eau courante et d’assainissement. « Il y a 30 ans, le gouvernement a installé une station de traitement des eaux usées pour cinq communautés, mais elle est aujourd’hui hors service», conclut-il, dépité. Un autre phénomène vient aggraver la situation : les lacs qu’utilisent les riverains pour s’approvisionner en eau douce sont de plus en plus salés. L’élevage incontrôlé des buffles en est la cause : à force d’emprunter les mêmes trajets, ils ont créé des canaux dans lesquels s’engouffre la mer… [5]

[1] Foyers recensés par année
2013 : 975
2014 : 1490
2015 : 2653
2016 : 2645

[2] La Réserve biologique du lac Piratuba : Située à 200 km de la capitale Macapá, la Réserve biologique du lac Piratuba s’étend sur 392 400 hectares. Rattachée au Ministère de l’Environnement, elle est administrée par l’Institut Chico Mendes pour la conservation et la biodiversité (ICMBio). Malgré les difficultés d’accès et l’isolement, cette Unité de conservation a été une des plus impactées par les feux au cours des dernières années. Au total, l’Amapá a une superficie protégée de 10,2 millions d’hectares répartis sur 19 Unités et cinq territoires autochtones homologués, ce qui représente 72% du territoire.
[3] Institut brésilien chargé de l’environnement.
[4] L’archipel de Bailique est constitué de dix îles dont huit sont habitées. Ses 7600 habitants sont répartis dans 52 communautés.
[5] Cf. « Élevage et barrages tuent le fleuve Araguari », USG n°14-février 2015 (Cf. lien ci-dessous)

Photo : Bateau de transport sur les rives de l’Araguari, Amapà – P-O Jay – Avril 2012

Titre original : Amapá tem recorde de queimadas, mas governo diz que Inpe confunde zinco com fogo, AmazôniaReal, 22/12/16, Fábio Pontes.

http://amazoniareal.com.br/amapa-tem-recorde-de-queimadas-mas-governo-diz-que-inpe-confunde-zinco-com-fogo/

http://www.une-saison-en-guyane.com/breves/journal-des-guyanes/elevage-et-barrages-tuent-le-fleuve-araguari/

http://www.inpe.br/queimadas/estatistica_estados seca, que vai de julho a dezembro.

http://www.obt.inpe.br/prodes/prodes_1988_2016n.htm

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http://www.une-saison-en-guyane.com/breves/journal-des-guyanes/bresil-amazonien-de-limportance-des-aires-protegees-pour-lutter-contre-la-deforestation/