Selon les scientifiques, les futurs barrages vont retenir les flux de sédiments et de nutriments avec pour conséquence la destruction des écosystèmes aquatiques et forestiers en Amazonie. Extraits d’un article du magazine Mongabay (27/08/15).

La demande croissante en énergie pousse les pays amazoniens à examiner de près le potentiel hydroélectrique encore largement inexploité de la région. Abondante, bon marché et «propre» l’hydroélectricité est une alternative fiable aux combustibles fossiles. Sur le plus grand bassin fluvial du monde des centaines de barrages et de réservoirs sont prévus dans les prochaines décennies sur au moins cinq des six plus grands affluents de l’Amazone. Au Brésil, au moins 58 barrages seront construits dans un futur proche.

Ce choix énergétique impacte directement les populations locales (Cf. Belo Monte) et peut aussi avoir des conséquences environnementales graves et irréversibles, selon les scientifiques. En modifiant le flux des cours d’eau, ces ouvrages artificiels vont bloquer la migration des poissons et détruire l’habitat des espèces terrestres et aquatiques. « Toutes les espèces d’eau douce du bassin amazonien sont susceptibles d’être touchées », déclare Jeff Opperman, expert au Nature Conservancy’s Great Rivers Partnership.

Le système hydrologique complexe du bassin amazonien sera aussi grandement affecté. Des études réalisées sur des ouvrages déjà en service en Amazonie révèlent que les réservoirs tropicaux retiennent d’énormes quantités de matières végétales en décomposition, sources de gaz à effet de serre. Les nouveaux barrages pourraient ainsi amplifier considérablement les émissions de carbone. « C’est une grande expérimentation sociale et écologique à l’échelle mondiale », déclare Elizabeth Anderson de l’Université internationale de Floride.

Les barrages vont briser la connectivité entre les cours supérieurs des pays andins et les forêts pluviales des plaines, bloquant les sédiments et les nutriments qui, à la faveur des crues saisonnières, participent à la fertilisation d’un des écosystèmes les plus productifs de la planète. L’Amazone déverserait 1,1 milliard de tonnes de sédiments en suspension dans l’Atlantique chaque année, ainsi que 270 millions de tonnes de matières organiques dissoutes. La couleur café-au-lait de ses affluents est due essentiellement aux particules issues de l’érosion de la Cordillère des Andes, qui produit jusqu’à 95% des matières en suspension dans l’Amazone. Azote, phosphore, carbone et autres nutriments nourrissent plantes et animaux des forêts, marais et plaines inondables.

Accumulation de toxines et libération de gaz à effet de serre
L‘accumulation de sédiments pollués peut poser un problème grave dans certains bassins versants. Une analyse effectuée sur le réservoir de Flix sur l’Èbre en Espagne a révélé que plus de 360 000 tonnes de déchets anthropiques se sont accumulés en moins de 40 ans. Ils sont constitués pour la plupart de sédiments à grains fins hautement contaminés par le mercure, le cadmium, le zinc et le chrome.
Mais le carbone issu des matières organiques en décomposition préoccupe encore plus les climatologues. L’ensemble des réservoirs dans le monde stockeraient jusqu’à 3,3 milliards de tonnes de carbone. Une partie est transformée en dioxyde de carbone et l’autre en méthane, dont le potentiel de réchauffement global calculé sur un siècle est de 28 à 36 fois plus élevé, selon le Groupe d’experts intergouvernemental des Nations Unies sur les changements climatiques (GIEC). Plus il y a de sédiments piégés, plus la production de méthane est élevée. « L’absence d’émissions de dioxyde de carbone est souvent un argument de vente en faveur des barrages », explique Clinton Jenkins, professeur invité à l’Institut brésilien pour la recherche écologique (IPÊ). Mais ces barrages sont-ils vraiment propres au regard du réchauffement climatique mondial ? Et de conclure : « L’hydroélectricité vendue comme verte peut s’avérer totalement illusoire».

Fleuve Rouge, Marañón, Madeira :
Les nouveaux barrages vont considérablement restreindre le flux naturel des sédiments et nutriments avec des conséquences encore difficiles à évaluer en Amazonie. Cependant, certains fleuves tropicaux donnent quelques indices.

- Selon une étude sur le fleuve Rouge au Vietnam – classé neuvième au niveau mondial en termes de charge sédimentaire – sur une période de 50 ans le barrage de Hoa Binh a réduit la charge sédimentaire en suspension de la rivière d’environ 61% par an, alors que le débit d’eau a été réduit de seulement 9%. Les auteurs suggèrent également que l’érosion côtière peut s’aggraver quand la sédimentation fluviale ne compense plus l’élévation du niveau de la mer et la subsidence tectonique – ce qui pourrait avoir de grands effets sur l’immense delta de l’Amazone (Cf. notre article  »Élevage et barrages tuent le fleuve Araguari »).

- Au Pérou, le fleuve Marañón, plus gros affluent de l’Amazone s’étire sur quelque 1700 km. En 2011, le gouvernement péruvien a annoncé la construction de 20 barrages sur son cours principal. Dotée d’une capacité de 7 550 MW, la plus grande centrale inonderait plus de 3 000 km2 de forêt. Ce serait un très haut barrage avec un grand réservoir situé très en aval du bassin. « Il retiendrait pratiquement tous les nutriments et sédiments entrant dans le réservoir, soit une très grande partie des sédiments du fleuve Amazone », selon Jeff Opperman.

- Le fleuve Madeira, qui traverse le Pérou, la Bolivie et le Brésil fait contraste. Principal affluent au sud de l’Amazone, il représente environ la moitié de la charge globale de sédiments du fleuve Amazone. Sur le site du barrage de Jirau (3 750 MW) actuellement en construction dans le Rondônia, au Brésil, le Rio Madeira charrie 2,1 millions de tonnes de sédiments chaque jour. Conçu au fil de l’eau, le barrage de Jirau stocke peu ou pas d’eau. Fonctionnant au gré des débits saisonniers, ce type d’installation est moins destructeur pour l’environnement. Dans le même temps, les chercheurs s’inquiètent de l’accumulation du mercure dans les affluents du fleuve Madeira. Suite à l’orpaillage à grande échelle dans les années 1980, des tonnes de mercure se trouvent piégées dans les sédiments anoxiques. Dans ces conditions, le mercure peut subir une réaction de méthylation, ce qui le rend hautement toxique.

Titre original : Hundreds of new Amazon dams an “ecological experiment” on global scale (Mongabay, 27/08/15, Julian Smith)

http://news.mongabay.com/2015/08/hundreds-of-new-amazon-dams-an-ecological-experiment-on-global-scale/

Photo : le barrage de Belo Monte sur le rio Xingu dans l’État du Pará – Photo P-O Jay / Atelier Aymara. Novembre 2012