MGRLe nouvel an est généralement synonyme de renouvellement et d’espoir, mais à Altamira dans l’État du Pará, l’heure n’est pas aux réjouissances pour les riverains du chantier de l’usine hydroélectrique de Belo Monte. Extraits de l’interview de Mgr Erwin Kräutler, évêque d’Altamira et président du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) [IHU On-Line, 16/01/15].

Le rôle déterminant de Lula : La lutte contre le barrage sur le fleuve Xingu remonte à plus de 30 ans. [Avec l'arrivée du PT au pouvoir], nous avons cru que le projet allait être abandonné. Ce fut une erreur. Une fois élu, plutôt que de tirer un trait sur cette horreur, Lula et son ministre des Mines et de l’Energie, Dilma Rousseff, ont inscrit le projet dans le Programme d’accélération de la croissance (Pac). Nous allions au delà de lourdes conséquences sociales et environnementales, surtout depuis ce jour fatidique où le Gouvernement a estimé que les prérequis posés par l’Institut brésilien pour l’environnement (Ibama) et la Fondation nationale de l’Indien (Funai) seraient garantis non pas en amont mais au fur et à mesure de l’exécution du projet. Cette décision a créé le chaos à Altamira. Pendant la campagne électorale, la présidente Dilma est venue visiter Belo Monte pour enregistrer une vidéo. Mais elle n’a pas eu le cran de se rendre en ville pour voir sur place notre malheur.
Avancement des travaux à Belo Monte : On nous annonce souvent que le chantier aurait pris du retard en raison de la forte opposition au projet. Mais j’ai l’impression qu’il est en bonne voie. Les habitations à proximité du barrage ont été démolies, et les familles sont déjà relogées dans leurs nouvelles maisons en béton. Je sais cependant que tout le monde n’aura pas cette chance, loin s’en faut.
Tucuruí n’aura pas servi de leçon : Après l’euphorie qui avait gagné Altamira voilà cinq ans, l’heure est au découragement. A ce jour, nous sommes bien loin des lendemains qui chantent tant espérés par les commerçants, hommes d’affaires et politiciens de service. En ville, il est presque impossible de circuler. Les homicides, les agressions, les razzias sont notre lot quotidien. Les gens ont peur. Certes, la construction a connu un boom généré par le marché du logement locatif. Certaines personnes ont gagné énormément en louant des chambres ou des maisons à des prix exorbitants. Mais cela a cessé lorsque la société Norte Energia a livré le village résidentiel tout près du barrage. Le site possède toutes les infrastructures du monde moderne : école, pharmacie, supermarché, restaurants, boulangerie, salle de gym, club, bibliothèque, aires de loisirs, médecins, médecins spécialistes, service des urgences, laboratoire, salles de radiologie et échographie. Ces installations contrastent violemment avec les conditions dans lesquelles nous vivons à Altamira. Pourtant, Lula m’avait assuré que le gouvernement retiendrait les erreurs du passé et qu’avec Belo Monte, ce serait totalement différent. Mais comme à Tucuruí*, transformée en ville poubelle après qu’une ville luxueuse a été érigée à proximité du chantier, l’histoire se répète. Notre plus grande crainte à Altamira, c’est que le jour de l’inauguration de Belo Monte, les infrastructures promises ne soient pas achevées et qu’après la fête, on démonte le podium et abandonne la population à son triste sort.
Les Amérindiens forcés à l’exil : Dés le début, le gouvernement n’a pas su évaluer les impacts que subiraient les peuples autochtones de Volta Grande (tronçon de 100 km sur le Xingu). Dans tout le Brésil, on a dit et répété qu’aucun village amérindien ne serait inondé. Et c’est la vérité, l’eau du réservoir ne va inonder aucun village. Au contraire, le fleuve qui traverse les villages va disparaître ou devenir un cours d’eau à faible débit avec une enfilade de lacs aux eaux rases ! Le poisson va disparaître, l’eau se raréfier et les Amérindiens ne pourront plus vivre dans ces conditions. Ils seront forcés à l’exil. Beaucoup d’entre eux ont déjà déménagé en ville où ils perdent leur culture, leurs coutumes et leur propre mode d’organisation en communauté. Et malheureusement, bon nombre d’entre eux succombent aux vices des Blancs.
L’hydroélectricité, priorité du gouvernement : Ici sur le Xingu, le rouleau compresseur va tous nous écraser, et bientôt ce sera au tour du Tapajós et de bien d’autres fleuves en Amazonie. Les revendications de la population ne comptent pas. Le plan de protection de l’environnement n’est pas respecté. Il est chaque fois modifié, au bon vouloir du gouvernement.
Du positionnement des théologiens : Ils ne défendent pas les familles arrachées à leurs foyers et à leurs terres, pas plus que les autres personnes affectées par les barrages au cours des dernières décennies. Ils ne revendiquent rien. Ils demandent seulement une « réévaluation ». Ils tiennent un discours générique sur la défense des droits des Autochtones et des Marrons. Dans la lettre qu’ils ont adressée à la présidente Dilma, le mot « démarcation » des terres indigènes n’apparaît qu’une seule fois. En 2013, Dilma a suspendu ce processus. Un signal fort à l’attention des secteurs de l’économie et de la politique liés aux grands propriétaires terriens, aux magnats de l’agroalimentaire, aux compagnies minières et hydroélectriques, dont le but est exclusivement tourné vers l’exploitation de la nature, sur des terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones. Le non respect de la Constitution de 1988 qui prévoyait la démarcation de toutes les terres indigènes dans un délai de cinq ans constitue la toile de fond de tous les conflits sanglants qui ont causé des centaines de morts à travers le pays. Pourquoi les théologiens n’ont-ils pas rejoint les peuples autochtones dans cette lutte ? Il y a quelques jours, Dilma n’a pas été impressionnée par les protestations de la société civile brésilienne contre la nomination de Kátia Abreu à la tête du ministère de l’Agriculture. Dans son interview au quotidien Folha de São Paulo (5/1/15), la nouvelle ministre est catégorique : le gouvernement continuera à défendre les grands propriétaires et privilégier l’agro-industrie au détriment des peuples autochtones. Des gens qui, selon sa grotesque opinion, « sont sortis de la forêt pour intégrer progressivement le secteur productif !». D’ailleurs, n’est-il pas révélateur que dans ses deux discours d’investiture, la présidente Dilma n’a pas fait une seule référence aux peuples autochtones ?
Des membres du gouvernement proches des Communautés ecclésiales de base et de l’Eglise : Dans la lettre du CIMI condamnant les propos de Kátia Abreu, un prête gaucho a fait un commentaire auquel je souscris pleinement : « Je suis prêtre diocésain depuis 50 ans. Je me suis engagé à défendre les droits des pauvres, parmi eux les Autochtones et paysans sans terre. Nous avons réussi à progresser quelque peu, mais avec l’arrivée de l’arrogante Kátia Abreu, le dernier frein est lâché. J’ai participé à la construction du PT avec l’idée qu’une fois le pouvoir entre les mains de dirigeants sensibles pour la plupart à la Théologie de la libération, un autre Brésil serait possible ; mais ils n’ont pas été à la hauteur. Ils nous ont trahis. »

* ville située à 350 km au sud de Belém – le chantier du barrage de Tucuruí débuta en 1975 ; il fut inauguré en novembre 1984.

Titre original : A monstruosidade de Belo Monte e descalabro em Altamira que Dilma não teve coragem de ver

http://www.ihu.unisinos.br/entrevistas/539024-a-monstruosidade-de-belo-monte-dilma-nao-teve-coragem-de-ver-o-descalabro-provocado-pela-obra-entrevista-especial-com-d-erwin-kraeutler

Photo : Chantier de Belo Monte en août 2012 – Photo P-O Jay