Joyau amazonien, le fleuve Araguari serpente des monts Tumuc-Humac à l’Océan atlantique, en traversant l’Amapá. Jusqu’à récemment, les meilleurs surfeurs venaient défier à chaque période équinoxiale sa “ pororoca ”, de renommée internationale. Mais depuis quelque temps, quelque chose ne tourne pas rond : le mascaret a disparu, l’estuaire est obstrué et les poissons meurent asphyxiés.

Aujourd’hui, le fleuve Araguari risque de disparaître. Si dès 2012, les surfeurs déploraient la baisse de régime du mascaret, ils ont rapidement « découvert » de nouveaux spots sur l’île du Maracá et dans l’archipel de Bailique. Le rapport de force entre le fleuve et la mer a changé. L’émergence d’un nouveau canal sur la rive droite empêche les eaux maritimes de s’engouffrer dans l’estuaire. En avril dernier, il atteignait déjà des proportions gigantesques : 30 m de profondeur, 17 m de large à l’entrée de l’Araguari et plus de 300 m de large au niveau de l’océan ! Quant au canal de l’Atlantique à l’origine du mascaret, il s’est bouché. « Ce processus de sédimentation est causé naturellement par les courants marins, explique Grayton Toledo, secrétaire d’État à l’Environnement (selesnafes.com, 12/04/14). Mais en regardant de plus près, on se rend compte que dans la région les troupeaux de buffles ont créé de nouvelles voies permettant à la mer de pénétrer dans les terres. »
L’envasement de l’estuaire n’est donc pas récent, mais il s’est accéléré à cause des buffles déambulant librement dans les zones inondées, en quête de nouveaux pâturages. Les troupeaux labourent le sol et créent de multiples canaux, modifiant le cours des rivières et des criques, et provoquant leur salinisation. « Selon une équipe d’Ibama qui a effectué un survol de la zone en hélicoptère, seul un miracle peut inverser le processus, écrit sur son blog le géologue Gesiel Oliveira. L’estuaire est complètement bouché, et les canaux ouverts par les buffles ont grossi, certains atteignant désormais plus de 70 mètres de large, avec pour conséquence l’entrée de l’eau de mer dans le fleuve… » Et de conclure sévèrement : « L’incapacité de l’État et du gouvernement fédéral à mettre en place un plan d’action conjoint pour atténuer les conséquences sociales, économiques et environnementales de ce phénomène est encore plus inquiétante. »
Entre la ville de Ferreira Gomes et l’Océan atlantique, le fleuve Araguari s’étire sur 220 km dans une vaste plaine affichant un très faible dénivelé. Selon le géologue Antônio Feijão, interviewé par O Jornal do Dia (2/11/14), les centrales hydroélectriques freinent le débit du fleuve, qui perd progressivement de sa puissance : « Les barrages ont diminué la capacité du fleuve à parcourir avec suffisamment de vitesse le tronçon qui le mène à l’estuaire. À partir de Porto Grande, il perd ses caractéristiques fluviales et se transforme en lac. » Rapidement, les riverains vont en subir les conséquences, ils ne pourront plus descendre à Ferreira Gomes pour s’approvisionner et vendre le produit de leurs cueillettes. Et de préciser le scénario : « L’incursion de l’Amazone dans l’Araguari va déclencher une guerre des écosystèmes. Un fleuve qui serpente sur 6000 kilomètres avec ses alluvions et espèces animales va fusionner avec un fleuve aux eaux claires et acides issus de la roche. À certaines époques de l’année, quand l’Araguari sera à sec, les locaux vont résider au bord d’un lac. » Selon Antônio Feijão, les chercheurs doivent préparer les riverains à s’adapter à la nouvelle donne. Les entreprises hydroélectriques ont encore le temps de rebattre les cartes économiques auprès des populations locales. Et de donner une piste : « Voici venu le temps d’une autre forme de production à partir de ces retenues d’eau douce, celui de la pisciculture. »

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Des buffles qui détruisent

Interviewé par le journaliste Cléber Barbosa (amapaempaz.blogspot.com, 23/07/12), Emanuel Brito, chargé de la filière piscicole à Macapá s’interroge sur le deux poids deux mesures en matière de réglementation : «  C’est très compliqué d’obtenir une autorisation pour la production de denrées alimentaires. Quand un pisciculteur se lance dans l’aménagement d’un bassin qui va lui permettre de se nourrir et lui assurer un revenu, c’est beaucoup de paperasserie, alors que les pouvoirs publics ne régulent toujours pas des activités autrement plus destructrices dans l’Amapá. » Et de citer l’élevage bubalin en exemple : «  Prenez un buffle, lâchez-le sur une parcelle de 100 hectares, il va détruire vos 100 ha, les 100 ha du voisin et encore 100 ha un peu plus loin. Il détruit les sources, les bassins, les nurseries, il ravage tout. Et pas besoin d’autorisation environnementale pour se lancer, il suffit d’acheter les bêtes et les lâcher dans la nature tout simplement… » Alors que dans le cadre d’une ferme piscicole, «  sur 100 ha, vous réservez 10 hectares pour votre activité et préservez ainsi 90 % de la superficie ; ces 10 hectares suffisent pour travailler toute votre vie. »
Avec 300 000 têtes, l’Amapá est le deuxième producteur de buffles au Brésil. L’État voisin du Pará occupe la première place avec 1 million de têtes, soit environ 40 % du cheptel brésilien. Lancé au milieu des années 70 dans l’Amapá, l’élevage bubalin se concentre essentiellement dans la région de l’Araguari, et plus particulièrement sur la commune de Cutias. 95 % des animaux sont destinés à la production de viande.
Et des poissons qui meurent…
En raison d’une morbidité inhabituelle des poissons à proximité de la centrale hydroélectrique de Ferreira Gomes, trois prélèvements quotidiens sont effectués depuis janvier 2011, et analysés par des laboratoires de São Paulo, Macapá et Santana, indique l’Agência Amapá. Le 24 septembre dernier, au cours d’une réunion organisée par le Conseil amapéen de l’environnement (Coema), pêcheurs et riverains ont pris connaissance des résultats de l’audit portant sur le suivi des principaux programmes environnementaux compensatoires. Les résultats des dernières analyses de la qualité de l’eau du fleuve Araguari ont été divulgués : aucun élément de pollution, qui permettrait d’expliquer la mortalité de poissons, n’a été détecté…
Sur son blog (drgesiel.blogspot.com, 21/11/14), le géologue Gesiel Oliveira avance plusieurs hypothèses : barotraumatisme provoqué au passage des turbines lors de la “ piracema ”*, empoisonnement suite au rejet de produits chimiques utilisés pour le nettoyage de la centrale, asphyxie suite au réchauffement provoqué par la baisse du niveau d’eau en aval du réservoir. Quoi qu’il en soit, conclut-il, écartant toute cause naturelle, par son action sur l’environnement l’homme est bien à la source du problème.
* Époque où les poissons remontent les cours d’eau pour se reproduire [mot Tupi].

Et des poissons qui meurent…

En raison d’une morbidité inhabituelle des poissons à proximité de la centrale hydroélectrique de Ferreira Gomes, trois prélèvements quotidiens sont effectués depuis janvier 2011, et analysés par des laboratoires de São Paulo, Macapá et Santana, indique l’Agência Amapá. Le 24 septembre dernier, au cours d’une réunion organisée par le Conseil amapéen de l’environnement (Coema), pêcheurs et riverains ont pris connaissance des résultats de l’audit portant sur le suivi des principaux programmes environnementaux compensatoires. Les résultats des dernières analyses de la qualité de l’eau du fleuve Araguari ont été divulgués : aucun élément de pollution, qui permettrait d’expliquer la mortalité de poissons, n’a été détecté…
Sur son blog (drgesiel.blogspot.com, 21/11/14), le géologue Gesiel Oliveira avance plusieurs hypothèses : barotraumatisme provoqué au passage des turbines lors de la “ piracema ”*, empoisonnement suite au rejet de produits chimiques utilisés pour le nettoyage de la centrale, asphyxie suite au réchauffement provoqué par la baisse du niveau d’eau en aval du réservoir. Quoi qu’il en soit, conclut-il, écartant toute cause naturelle, par son action sur l’environnement l’homme est bien à la source du problème.
* Époque où les poissons remontent les cours d’eau pour se reproduire [mot Tupi].

Photos – Sur l’Araguari, pororoca & buffles- P-O Jay

En savoir plus sur la Pororoca : « Pororoca, La colère de l’Araguari »

1. Petites rivières (Guyane)

2. Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles

3. Le fleuve Araguari héberge trois centrales hydroélectriques : Coaracy Nunes (78mw), en service depuis 1975, extension en cours (298mw)/Ferreira Gomes (252mw), livraison prévue courant 2015 /Cachoeira Caldeirão (219mw), mise en service prévue en 2017.