Suite à la découverte d’un immense gisement off-shore* par ExxonMobil en 2015, le Guyana s’invite à la table des petits pays producteurs de pétrole. La société civile presse le gouvernement de construire une raffinerie. Une entreprise à haut risque, selon les experts.

Le coût de construction d’une raffinerie dépend de la complexité de son équipement , du type de brut à traiter, de la capacité globale et aussi de la localisation. Il varie de 1 à 6 milliards U$, selon les experts. Au Guyana, le projet exige de définir un périmètre de 20 à 30 km2 dans une zone protégée le long de la côte atlantique et creuser un canal d’accès en eau profonde d’un kilomètre de large. Il en coûterait à l’État 4,4 milliards U$, soit plus de trois fois sa dette extérieure, ou encore quatre années du budget national. Un tel investissement conduirait la nation droit à la faillite ! En outre, les dépenses de fonctionnement comprenant frais d’entretien et de personnel représenteraient environ 15 millions U$ par mois, un montant prohibitif pour ce pays de 750 000 habitants !
Pour Michael Boer, ancien chercheur analyste chez British Petroleum et actuellement au service de l’Arabie Saoudite, le gouvernement guyanien commettrait une grave erreur en misant tout l’argent des contribuables sur l’or noir. « Un choix qu’il regrettera plus tard », dit il. Et de poursuivre : « Compte tenu de la volatilité du pétrole à long terme, l’État doit privilégier le secteur privé international et les bailleurs étrangers disposant de larges réserves de liquidités comme la Chine. » En d’autres termes, l’État doit seulement réglementer l’activité de raffinage et collecter les redevances auprès des investisseurs pour protéger ses citoyens.

Et de citer le Vénézuéla, « un exemple parfait de ce qui peut arriver lorsqu’un État décide de mettre l’argent du contribuable dans le pétrole ». La chute des cours mondiaux amorcée en 2014 a plongé le voisin guyanien dans un chaos socio-économique. L’État bolivarien, qui possède la plus grande réserve de pétrole au monde, aurait même été obligé de ralentir la production de sa principale raffinerie et d’importer du pétrole des États-Unis, selon certains médias étasuniens.
Les Guyaniens mettent trop d’espoir dans une matière première dont la valeur marchande actuelle est instable et peu rentable. Si, pour se rassurer, certains lorgnent du côté de pays comme l’Arabie saoudite où l’exploitation du pétrole semble bien fonctionner, c’est « parce que le pays aurait stocké des milliards de dollars dans les premières années d’exploitation et exporterait davantage pour maintenir à flot ses finances. » Même privée de recettes, il faudrait plus d’un siècle au royaume saoudien pour épuiser toutes ses réserves de change et de trésorerie. Par comparaison, des pays comme le Guyana ne peuvent survivre économiquement au-delà d’un an sans rentrées budgétaires.

Peu ou pas d’embauche locale
Alors que les premiers barils ne seront pas exportés avant plusieurs années, le gouvernement guyanien encourage déjà ses citoyens à se préparer à occuper des emplois dans l’industrie pétrolière. Mais vu l’absence de profils qualifiés, la plupart des postes clés et plus de huit emplois directs sur dix seront occupés par des étrangers. Cette phase de transition durera 10 à 15 ans avant que la population locale n’accède aux postes de cadres intermédiaires. Pour éviter ce scénario, le gouvernement devrait obliger les géants pétroliers comme ExxonMobil à recruter des stagiaires du cru ou mettre en place des écoles temporaires pour former les locaux au cours des prochaines années. Mais M. Boer met en garde contre les écoles sans agrément ou parrainées par l’État, car « souvent, elles ne satisfont pas aux exigences des grandes entreprises ou de l’industrie pétrolière elle-même. »

* Les réserves du gisement sont estimées à 1,8 milliard de barils de pétrole de haute qualité.

Titre original : Oil experts say that Guyana cannot afford a refinery. Warns government against investing too much [Guyanaguardian, 06/11/16, Dennis E. Adonis - Extraits]

Exxon Mobil rassure les Guyaniens
Fin novembre, Jeff Simon, directeur d’ExxonMobil au Guyana, a apporté quelques précisions autour des choix de la société. Le géant pétrolier n’envisage pas, pour sa part, de construire une raffinerie car « le gisement d’hydrocarbures est insuffisant pour assurer [sa] viabilité. » Cependant, avec plus de 70 000 barils de pétrole par jour, le Guyana dépassera la production de Trinidad-et-Tobago. Et de dissiper « une idée fausse » sur la faiblesse du recrutement local : « Les Guyaniens seront au centre du processus. » Selon J. Simon, 325 des 670 personnes actuellement en poste sont des Guyaniens. Un chiffre qui va augmenter une fois la production commerciale lancée. Et de préciser : « Environ 600 travailleurs viendront au Guyana pour équiper les forages. Une partie de leur mission consistera à former les Guyaniens pour qu’ils prennent le relais. »
Source : Caribbean360, 28/11/ 2016

Crédit Photo NY Times

https://www.nytimes.com/2015/11/06/science/exxon-mobil-under-investigation-in-new-york-over-climate-statements.html?_r=0