Croissance en berne, inflation élevée, large déficit public… le Brésil traverse une mauvaise passe économique. De nombreux grands chantiers d’infrastructures sont à l’arrêt. La plupart s’inscrivaient dans un cycle exceptionnel de hausse de la demande et des prix des matières premières sur le marché mondial. Extraits de l’analyse de Mário Osava (IPS, 3/09/15).

Le ralentissement économique en Chine a considérablement impacté le cours du minerai de fer, en chute de plus de 60% depuis 2013. Dans le Nord-Est brésilien, plusieurs grands chantiers ont désormais un avenir incertain. Ainsi, le chemin de fer Ouest-Est (FIOL) qui doit traverser l’État de Bahia et relier les zones de production de soja au littoral est conditionné à la mise en service d’une mine de fer à Caetité, à 380 km à vol d’oiseau du futur complexe portuaire d’Ilheus. Il en va de même avec la voie ferrée Transnordestina qui doit relier plus au nord une autre région minière et agricole à deux sites portuaires, Suape (Pernambuco) et Pecém (Ceará). « Le minerai à faible teneur en fer ne trouve pas preneur sur le marché lorsque la demande baisse, affectant la rentabilité de la ligne ferroviaire qui assure son écoulement », déclare Newton de Castro, spécialiste des transports et professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro. Et de questionner « les projets mal conçus » qui ont proliféré au Brésil au cours des dernières années pour combler le retard en matière d’infrastructures. Le chemin de fer de Carajás exploité par le géant minier Vale est dans une situation plus favorable. « Ici, c’est un minerai à haute teneur en fer et son coût sera limité car il s’agit de développer des infrastructures déjà existantes » [1], poursuit Castro. La baisse de la demande et des prix « va éliminer du marché les mines plus coûteuses à exploiter et aussi les petits opérateurs », favorisant l’hégémonie des grands groupes comme Vale, l’anglo-australien Rio Tinto et le britanniques Anglo American. Le Brésil est le deuxième pays producteur et exportateur de minerai de fer au monde après l’Australie, et Vale le plus important exploitant minier, avec pour principal débouché la Chine.

Les projets d’expansion et de construction de ports le long du littoral brésilien seront également affectés par la baisse de l’activité minière, la chute des cours du pétrole et surtout le scandale de la compagnie pétrolière publique Petrobras. La sévère baisse des investissements a mis a mal la stratégie gouvernementale basée sur une industrie navale forte répartie sur le littoral, avec des dizaines de chantiers navals construisant des navires, des plates-formes offshore et des équipements d’exploration et de forage destinés aux opérations pétrolières en eaux profondes. La crise a débouché sur le licenciement de dizaines de milliers de travailleurs et entraîné l’arrêt de l’activité dans de nombreux chantiers navals et zones portuaires. Ainsi la société Enseada, chargée par Petrobras de construire six navires de forage d’ici 2020 pour un coût de 4,8 milliards de dollars, a mis à pied presque la totalité de ses 7000 travailleurs depuis 2014, alors que son usine n’est pas encore terminée…

L‘analyse d’Adriano Pires est plus optimiste. Cet expert en planification énergétique estime que les secteurs du pétrole et des infrastructures peuvent alimenter la reprise de la croissance économique pour sortir de la récession qui a frappé le Brésil depuis l’année dernière. Certains analystes remettent toutefois en cause la faisabilité économique de l’exploitation des gisements pétroliers présalifères [2] avec un baril actuellement en dessous de 50 dollars. Mais, précise Pires, le projet « n’est pas évalué sur la base du prix du moment, mais à long terme, et j’estime que les cours vont remonter à 60 ou 70 dollars d’ici cinq ans. »

Les centrales hydroélectriques et thermiques épargnées

Contrairement aux industries pétrolières, minières et ferroviaires, le secteur de l’énergie électrique échappe au marasme. « La demande dépassant l’offre au Brésil, l’extension du réseau électrique national à long terme est une nécessité car la consommation est en hausse malgré la récession Tout au plus, certains objectifs pourraient être reportés », affirme André Lucena, professeur de planification à l’Université fédérale de Rio de Janeiro. Dans un pays de 202 millions d’habitants, « la consommation d’électricité par personne est faible par rapport aux pays développés, elle va en augmentant avec l’arrivée de nouveaux équipements électriques et électroniques dans les foyers par exemple », explique-t-il. Pour cette raison, les nouvelles centrales hydroélectriques et thermiques ne seront jamais inutiles. Au Brésil, l’hydroélectricité joue un rôle prédominant ; peu coûteuse, elle fonctionne tant qu’il y a de l’eau et représente près des deux tiers de la capacité installée du pays. Les centrales thermiques alimentées au pétrole, au gaz naturel ou au charbon produisent de l’électricité plus chère, et sont utilisées seulement lorsque l’énergie hydroélectrique vient à manquer. « Elles sont construites pour rester à l’arrêt la plupart du temps, mais elles ne sont pas inutiles », conclut Lucena.

[1] Doublement de la ligne de chemin de fer actuelle pour transporter le minerai de fer de Carajás (Pará) jusqu’à São Luis (Maranhão). [2] « Pré-Sal » : gisements pétroliers en eaux très profondes découverts en 2006. Titre original : « Crisis en Brasil arruina infraestructura en construcción » (IPS, 3/09/15, Mário Osava). http://www.ipsnoticias.net/2015/09/crisis-en-brasil-arruina-infraestructura-en-construccion/

Photo : Chantier naval pour des bateaux de forages d’explorations pétrolières de l’entreprise ENSEADA. Rio de Janeiro. Photo  ®Enseada.