Dans un entretien au magazine Carta Capital (5/09/13), Camilo Capiberibe, gouverneur de l’Amapá, expose sa stratégie de développement durable dans un État encore préservé. Compte-rendu.

 Une économie en devenir : « Aujourd’hui, 72 % des recettes de l’État proviennent de fonds fédéraux. Notre plus grand défi est de générer développement et emplois réels ne relevant pas du service public. Notre économie est encore balbutiante, nous devons développer notre potentiel. On exploite le fer et désormais l’or. Notre littoral est l’un des plus riches, mais nos poissons sont transformés dans le Pará ou le Nordeste, ne créant aucun emploi sur place. C’est pourquoi nous avons décidé d’investir dans la création de pôles de pêche industrielle à Oiapoque, Calçoene et Amapá. »

 

Feu vert à l’exploitation forestière : « Nous avons un domaine forestier de 2,4 millions d’hectares, représentant plus de 2 milliards de reais en bois (1 € = 3 R $). Nous avons besoin d’un modèle d’exploitation durable, capable de créer des emplois pour la population. »

 

— Stratégie de conservation : « Nous avons lancé le programme Pró-Extrativismo1 pour aider les petits exploitants à faire un inventaire forestier et commencer une exploitation à faible impact environnemental. Nous misons aussi sur les concessions forestières avec des investisseurs moyens ou grands disposant d’un capital initial de 5 millions R $. Actuellement, le bois est exploité illégalement, sans contrôle2. Nous voulons mettre sur le marché du bois certifié, mais aussi le transformer sur place, car il quitte l’État sans valeur ajoutée. »

 

— Gel des parcelles : « Chaque concession est divisée en 30 parcelles. Et l’entrepreneur ne peut exploiter qu’une parcelle par an. Quand il reviendra à la première parcelle, 30 années se seront écoulées. La forêt se sera régénérée. Nous n’avons aucun intérêt à élargir nos frontières agricoles. »

 

Un corridor de fret pour écouler les céréales du Mato Grosso : « Situé à l’embouchure du fleuve Amazone, l’Amapá occupe une position stratégique sans pareil dans le pays. Du port de Santana, des navires partent pour l’Asie en empruntant le canal de Panama, d’autres rejoignent directement l’Amérique du Nord et l’Europe. Avec l’ouverture de la Cuiabá-Santarém (BR-163), la production céréalière du nord du Mato Grosso sera acheminée par camion à Miritituba, dans le Pará, puis par barge jusqu’au port de Santana. Ce corridor d’exportation permettra de diminuer les coûts du fret de 30 %. »

 

Du risque de l’expansion de la culture du soja : « Le soja dans l’Amapá serait très concurrentiel, prêt pour l’exportation. Conscient du risque écologique que représente ce corridor logistique, nous avons créé un groupe de travail pour examiner le zonage du Cerrado3. Nous évaluons ce qui peut ou ne peut pas être développé économiquement dans cette zone. Cette pression de l’industrie agroalimentaire existe, nous avons des plantations de soja, mais ça ne fait pas partie de notre stratégie. L’accent est mis sur un meilleur contrôle, sans pour autant négliger l’agriculture familiale, qui est une des principales sources de déforestation… »

 

Petits producteurs, grands déboiseurs : « Aujourd’hui, nous avons une très faible productivité dans les assentamentos 4. Dans le cadre du Programme territorial d’agriculture familiale (Protaf), les producteurs ont accès à une technologie mise au point par l’Embrapa5, qui leur permet de multiplier par cinq les rendements. Donc, pas besoin d’étendre les terres agricoles. En plus d’améliorer le revenu des travailleurs, le programme empêche l’exode des jeunes vers la périphérie des grandes villes… »

 

Rémunération des actifs environnementaux : « En préservant la forêt, en produisant plus dans un même espace, l’Amapá génère un actif environnemental pour le Brésil et pour l’hHumanité. Nous avons lancé un débat avec les organisations internationales et le gouvernement brésilien pour trouver les moyens de rémunérer cet actif. Avec 73 % de terres en zones protégées, l’Amapá est fortement limité dans son développement. Nous voulons que le Brésil réalise que São Paulo a déboisé, mais s’est développé. D’autres États ont fait de même. L’Amapá s’est engagé à préserver la forêt pour l’avenir, cette action doit être reconnue et rétribuée. »

 

[1] Programme lancé en 2012 et destiné à encourager la chaîne de production de cueillette (wassaï, noix d’Amazonie, liane franche).
[2] Selon une enquête du Service forestier brésilien et de l’IEF, entre 80 % et 90 % du bois utilisé dans l’Amapá est coupé clandestinement.
[3] Cerrado : Zone de savane.
[4] Assentamentos : Zones dévolues à un groupe d’agriculteurs dans le cadre de la réforme agraire.
[5] Embrapa : Institut brésilien de recherche agronomique.

 

Quelques chiffres & données

- Créée en 2006, la forêt domaniale de l’Amapá (Flota/AP) forme un couloir écologique s’étirant sur 10 des 16 municipalités de l’État.

- Avec ses 23 694 km2, dont près des 2/3 dévolus aux concessions forestières, la Flota couvre 16 % de la superficie de l’Amapá. 

- 73 % de la superficie de l’État (143 453 km2) est classée en zones protégées réparties en Unités de conservation (UC) et Terres indigènes (TI).

- L’Amapá ne détient que 3,7 % de son foncier. Le reste des terres appartient toujours à l’Union, bien que l’ancien territoire fédéral soit devenu État fédéré en 1988.

- Une loi promulguée en 2009 par l’ex-président Lula régit le transfert des terres de l’Union au profit des États fédérés issus des anciens territoires fédéraux. Cependant, sa mise en œuvre tarde, faute de décret d’application.

 

Les petits producteurs victimes du développement durable ?

Environ 200 agriculteurs amapéens se sont réunis le 22 octobre à l’Assemblée législative locale pour demander l’abrogation de la loi créant la forêt domaniale de l’Amapá (Flota). Selon le Syndicat des exploitants agricoles, les contraintes imposées au nom du développement durable brideraient des milliers de familles.

Pour le syndicaliste José Ribamar de Porto Grande, la loi est inconstitutionnelle car il n’y a eu aucune étude d’impact socio-économique et pas de programme de déplacement des personnes.“ Certaines familles sont installées sur ces terres depuis 40 ans. On empêche les gens de pêcher et gérer leurs cultures, ils n’arrivent plus à élever leurs enfants. Nous ne pouvons pas vivre uniquement de cueillette, cette loi doit être redéfinie de toute urgence ” affirme l’agriculteur (G1 AP, 22/10/13).

Eider Pena, député de l’opposition et grand propriétaire terrien, estime à 6 000 le nombre de personnes dépossédées et expulsables. Une affirmation “ électoraliste ” – les élections présidentielles, législatives et des gouverneurs auront lieu en octobre prochain – réfutée par Ana Euler, ingénieur forestier et directrice générale de l’Institut forestier de l’Amapá (IEF) : “ Si les personnes étaient installées avant la création de la Flota, elles auront le droit d’y rester conformément à la loi. Nous avons déjà recensé 400 familles, qui toutes répondent aux critères et peuvent rester. Ils [les députés] parlent de 6 000 personnes sans étayer leurs chiffres ! ” (Correio do Vale, 22/03/14).

 

Manœuvres autour de la forêt domaniale amapéenne

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Plus grande réserve forestière d’État du Brésil, la forêt domaniale de l’Amapá (Flota/AP) est en danger. Un projet de loi présenté par un groupe de députés de l’opposition demande son extinction.

Selon Ana Euler, directrice générale de l’Institut forestier de l’Amapá (IEF), les grands propriétaires terriens de la région et les acteurs des secteurs forestier et minier sont à l’origine de l’initiative. « Tant que le projet existait uniquement sur papier, ce n’était pas un problème. Quand on a commencé à préciser les règles – accès aux ressources naturelles, régularisation des occupants – et montré que le pouvoir décisionnel relevait de Macapá, et non plus de Brasília, cela a énormément dérangé… », précise-t-elle. Et de poursuivre : « Il y a beaucoup de prétendus détenteurs de terrains dans la Flota, qui souvent n’apparaissent pas publiquement, mais qui mettent les petits propriétaires et les assentados* en première ligne en disant qu’ils seront les grands perdants. » Pour elle, supprimer la Flota serait la porte ouverte à la spéculation avec à la clé une ruée vers l’or et le bois, entre autres.

 

Pas de paysans sans terre dans l’Amapá

« Aujourd’hui, il n’y a pas de problème d’accès à la terre dans l’Amapá, au point que le Mouvement des sans-terre n’est pas présent ici. Au contraire, les assentamentos – une quarantaine – sont sous-occupés, avec un taux d’occupation inférieur à 50 %. Il manque une volonté politique pour encourager la production. Le gouvernement de l’État avec le gouvernement fédéral verse des subventions pour stimuler l’agriculture familiale et empêcher l’exode rural », explique Ana Euler.

En raison de l’exode rural, l’Amapá est aujourd’hui un des États ayant la plus forte concentration de population dans les villes, selon l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE).

 

Source : Rede Sustentabilidade (Floresta Estadual do Amapá corre risco de extinção, 15/05/14)