Il y a quelques semaines, lors d’un congrès médical à Cayenne, un problème de santé publique jusqu’alors peu connu était évoqué : l’intoxication au plomb en Guyane. Cette nouvelle a provoqué une vague d’indignation sur les réseaux sociaux, notamment parce que l’une des sources incriminée était le couac, cette semoule tirée de la transformation du manioc amer, ingrédient essentiel de la gastronomie guyanaise. Une petite explication était nécessaire pour dépassionner le débat.
L’intoxication humaine par le plomb est appelée saturnisme. On n’y attachait peu d’importance en France jusqu’au décès dans les années 80 d’enfants qui s’étaient intoxiqués en grignotant la peinture au plomb des murs de bâtiments vétustes.
L’absorption du plomb se fait essentiellement par ingestion d’aliments contaminés ou d’eau passant par des canalisations en plomb. L’intoxication chronique peut conduire à une atteinte du cerveau, avec baisse du quotient intellectuel et de l’audition, une atteinte des reins, du système cardiovasculaire et du développement embryonnaire. Les enfants sont plus exposés à l’intoxication au plomb de par leur habitude de tout mettre à la bouche, et parce que leur cerveau est en développement. Les femmes enceintes sont source de contamination pour le fœtus qu’elles portent, car le plomb peut traverser la barrière placentaire.

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En Guyane, des cas groupés de saturnisme ont été signalés pour la première fois en 2011 à Charvein, sur la commune de Mana, où de fortes plombémies ont été constatées chez 47 habitants, majoritairement des enfants. Des investigations ont été menées pour identifier les sources de cette contamination : eau, poussière, sols, tubercules, gibier, couac, riz, Pemba ? Des teneurs en plomb importantes ont été retrouvées dans le couac. L’analyse de tubercules de manioc a montré des taux faibles écartant ceux-ci comme source directe de l’intoxication. Alors a été évoquée la possibilité d’une contamination du manioc au moment de sa transformation artisanale par des instruments de cuisine comme les platines sur lequel il est grillé. En effet, le manioc amer qui pousse en Amazonie contient des composés cyanogènes toxiques, qui nécessitent des étapes de détoxification par râpage, lavage, séchage et cuisson de la chair avant consommation, bien connues des communautés autochtones.
Suite à cette première étude, le dosage de plomb a été réalisé systématiquement chez les femmes enceintes suivies dans l’Ouest guyanais. Une étude menée chez 531 de ces femmes en 2013 a montré qu’un quart d’entre elles présentait des taux sanguins dépassant le seuil d’alerte, en particulier celles vivant sur le Maroni, issues des communautés bushinenguées et consommant de façon régulière couac et viande de bois.
Une autre investigation a conduit au dosage sanguin du plomb chez plus de 2000 habitants des communes isolées entre 2012 et 2016. Des taux élevés ont été retrouvés chez la moitié des habitants de ces communes, avec une surreprésentation des enfants amérindiens du Haut-Oyapock et du Haut-Maroni.
Force est de constater que les populations amérindiennes et bushinenguées sont particulièrement touchées par le saturnisme. Les sources de contamination ne sont pas univoques, et le manque de diversification alimentaire joue probablement un rôle essentiel, et pas seulement le couac. Ces données sont très récentes et les conséquences sur la santé de ces populations ne sont pas encore connues. Une étude est actuellement en cours en Guyane pour évaluer l’ampleur du phénomène et ses facteurs de risque.
Ainsi, les médecins et épidémiologistes qui se penchent sur le problème ne sont pas l’émanation d’une instance supérieure machiavélique cherchant à acculturer les Guyanais en les privant de couac. Au contraire, ils cherchent à identifier les maillons de la chaine alimentaire à l’origine de la contamination alimentaire, afin de la sécuriser, et permettre aux Guyanais de consommer en toute sécurité leur farine ancestrale. Il reste encore beaucoup à faire pour comprendre les sources du saturnisme guyanais, alors, tchembé rèd pa moli !

Texte de Loïc Epelboin
Illustrations de Max Sybille