Les premiers cas de covid-19 ont été dépistés le mercredi 18 mars en Nouvelle-Calédonie soit presque deux mois après les premiers cas recensés en France métropolitaine. Deux mois où l’archipel du Pacifique a pu se préparer et tirer des leçons des mesures employées dans les différents pays touchés par le virus. Le territoire de 270000 habitants s’apprête avec une certaine confiance à faire face à une multiplication des cas même si des points, comme le manque de masques, suscitent quelques reproches.( photo d’intro les tentes de dépistage à l’entrée du Médipole crédit SN )

Le virus aura mis du temps avant d’arriver sur le Caillou. Les calédoniens se croyaient épargnés mais le mercredi 18 mars le gouvernement annonce les deux premiers cas. Un couple d’australiens en provenance de Sydney, arrivé la veille pour leur voyage de noces. Ce n’est que le début. Samedi 21, deux nouveaux cas sont détectés dont un est autochtone. Cette femme travaille dans une pharmacie proche de Nouméa, la capitale du territoire. « Une pharmacienne de 60 ans qui n’a pas voyagé depuis plusieurs mois. L’origine de sa contamination est donc difficile à déterminer », déclare Thierry Santa, le chef du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Il ajoute également qu’une enquête de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DASS) est en cours pour identifier les personnes avec qui elle est entrée en contact. « Probablement nombreuses. » Les jours suivants le nombre de cas positifs au coronavirus augmente, plusieurs sont annoncés à chaque point d’information quotidien du gouvernement. Douze cas confirmés au moment où je termine cet article, le jeudi 26 mars, et une question sur les lèvres de beaucoup de calédoniens : « Y en aura-t-il d’autres ? » Pour l’instant, seule une de ces personnes est un cas local, ce qui est plutôt rassurant. Les douze personnes infectées par le coronavirus ont été placées en isolement au centre hospitalier territorial (CHT) Gaston-Bourré, le Médipôle, proche de Nouméa. Elles sont dans un état stable et présentent des symptômes assez faibles du virus.

« Confinement strict à domicile »

Après le premier cas, le gouvernement réagit rapidement et des mesures sont prises dès le jeudi 19 mars. Fermeture des établissements scolaires, des centres de formation et de l’université, des boîtes de nuit, des bars, des restaurants et des nakamals, lieux où les calédoniens boivent du kava, une boisson populaire aux effets relaxants. Les regroupements de plus de vingt personnes sont interdits ce qui comprend les manifestations culturelles, sportives, coutumières et religieuses. Mais l’annonce de nouveaux cas, et plus particulièrement le cas autochtone, pousse le gouvernement à instaurer des mesures plus sévères. « À compter de lundi 23 mars à minuit, la population de Nouvelle-Calédonie devra respecter un confinement strict à domicile », déclare Laurent Prévost, haut-commissaire de la République. À partir du mardi 24 mars, et pour au minimum quatorze jours, chacun devra ainsi être muni soit d’une attestation professionnelle, soit d’une attestation de déplacement dérogatoire pour sortir de chez soi. Les rues de la ville de Nouméa se vident peu à peu. Les plages sont presque désertes malgré le beau temps. Seuls les pigeons se promènent place des Cocotiers en centre-ville. La capitale se confine à l’exception des agents publiques, de quelques travailleurs et de personnes seules ou accompagnées d’enfants qui marchent non loin de chez elles.

 Les îles épargnées

Le trafic aérien est suspendu. L’aéroport international de la Tontouta n’autorise plus l’arrivée de passagers depuis le vendredi 20 mars. Mais certains trouvent la décision trop tardive et la dernière navette circulant entre l’aéroport et Nouméa reçoit des jets de pierre. Personne n’est blessé. Dans la soirée de dimanche dernier, un groupe caillasse les vitres de l’aérogare et les voitures stationnées sur le parking. La crainte de voir arriver d’autres personnes porteuse du coronavirus semble être le motif de cet accès de violence.

Pour minimiser ce risque, les hôtels de Nouméa ont été réquisitionnés afin d’accueillir plus d’un millier de personnes arrivées en avion la semaine passée afin qu’elles soient en confinement strict durant quatorze jours. La mise en place de cette mesure est cependant compliquée puis qu’il faut gérer des personnes qui ont parfois besoin de soins ou d’un traitement et la température de chacun doit être prise pour vérifier s’il n’y a pas l’apparition de symptômes. Les gens s’ennuient et se plaignent rapidement. Le mardi 23 mars, au début de la période de confinement, ceux qui ne présentaient aucun symptôme et pouvaient respecter un confinement total ont pu rentrer chez eux.

Thierry Santa recommande aux Calédoniens hors du territoire « de rester confinés là où ils sont. Dans le contexte de pandémie de Covid-19, ils seront mieux protégés que s’ils voyagent, et ils éviteront de prendre le risque de transmettre eux-mêmes le virus ».

Les îles Loyauté et l’île des Pins, où aucun cas n’a été dépisté, comptent sur leur isolement pour être épargnées. Tous les transports collectifs de personnes, aériens et maritimes, sont suspendus à destination et en provenance des îles depuis le dépistage du premier cas. Seuls les urgences sanitaires et le fret sont maintenus.

Sur la Grande Terre, à Bourail, Canala, Poindimié et d’autres endroits du territoire, des barrages filtrants ont été installés par la population qui contrôle voiture par voiture les motifs de déplacement. Elle manifeste ainsi pour empêcher la propagation du virus en brousse. On peut lire sur certaines banderoles « Non au Covid-19 dans nos tribus ».

Le microbiologiste au CHT, Julien Colot, rassure : « Ce sont quinze jours critiques. C’est une période déterminante. Il n’y a plus d’entrée de personnes sur le territoire donc plus d’entrée du virus sur le territoire. Si nous arrivons à isoler tous les patients positifs au covid nous pouvons encore éteindre le feu avant l’incendie. » Le service de communication du CHT ajoute : « Nous n’avons pas réussi à étouffer le virus dès les premiers cas mais nous souhaitons une courbe de croissance la moins pentue possible. Nous ne sommes qu’au démarrage. Si le confinement est respecté et, avec les tests, on peut réussir à endiguer la propagation. » D’où l’importance de dépister les personnes ayant des symptômes.

 Des tests sur l’ensemble du territoire

Une soixante de tests sont réalisés quotidiennement dans une tente blanche à l’entrée CHT depuis trois semaines. Mais depuis ce jeudi une seconde tente vient permettre de doubler le nombre de personnes dépistées. De plus, des centres de prélèvements avancés ont également été installés à différents endroits de la Grande Terre, à Koné, Koumac et Poindimié. Les critères pour être dépistés ont été baissés. Seules les personnes présentant deux symptômes grippaux (fièvre, toux, courbatures, nausées…) et ayant une connexion directe avec le voyage (contact avec une personne rentrée de voyage ou elles-mêmes en voyage il y a moins de deux semaines) étaient dépistées. Désormais, à la suite du dépistage du premier cas autochtone, ce dernier point n’est plus obligatoire. Tout le monde ne pourra cependant pas s’y rendre dès l’apparition d’une petite toux, les gens doivent être munis d’une convocation. Il faut donc préalablement appeler le 15 ou avoir été consulté son médecin généraliste. « Il n’y a aujourd’hui pas d’intérêt à détecter les asymptomatiques. S’il n’y a aucun symptôme, le virus peut être en train d’incuber et le test reviendra négatif. Et quelqu’un qui a très peu de symptômes, qui ne tousse pas, transmet moins le virus. Si les gens restent chez eux, nous pouvons encore passer au travers de l’épidémie », explique en souriant Julien Colot. Actuellement 8000 tests sont disponibles sur le territoire. Le président du gouvernement a annoncé l’arrivée de 15000 tests supplémentaires et au moins deux millions de masques « pour assurer la continuité des tests et la protection du personnel soignant ». La province Sud a également fait « une commande d’urgence d’un million de masques chirurgicaux et de 50000 masques SFP2 pour les personnes les plus exposées au virus. » La province Sud annonce aussi que « au vu des études réalisées sur le traitement et la lutte contre le Covid-19 et par souci d’anticipation, elle a commandé une quantité importante d’Hydrochloroquine et de l’Azithromycine, deux médicaments qui pourraient s’avérer très utiles en cas d’épidémie grave ». Deux médicaments dont les effets sur le coronavirus n’ont cependant pas encore été parfaitement démontrés et qui pourraient s’avérer finalement beaucoup moins efficaces que prévu.

 Les généralistes en manque de masques

Aujourd’hui, les masques manquent. Benoît Marot, cardiologue libéral, est le porte-parole du Collectif médical calédonien covid-19, créé la semaine dernière. Actuellement 150 médecins, chefs de service, praticiens hospitaliers et pharmaciens l’ont rejoint. Le collectif s’est d’abord battu pour demander le confinement strict de la population, dès le dépistage du premier cas. Aujourd’hui ils ont trois revendications. « Nous souhaitons disposer des meilleurs moyens possibles et développer la téléconsultation en urgence. Nous faisons également appel aux gens pour qu’ils nous apportent des masques s’ils en ont. » En effet, le collectif déplore le manque de moyens mis en place pour les médecins généralistes libéraux. « Ils sont en première ligne. Ce sont eux que les porteurs du virus iront voir en premier à l’apparition des symptômes, explique Benoît Marot. Il nous faudrait des masques FFP2 mais nous n’avons même pas assez de masques chirurgicaux. En une journée, dans un cabinet, il y aurait besoin d’une vingtaine de masques ! » Paul Béjan est médecin généraliste et vice-président du Conseil de l’ordre des médecins de Nouvelle-Calédonie. Il confirme : « Nous sommes coincés par un manque cruel de masques. Il faut que les médecins puissent se protéger et protéger les autres. » Benoît Marot craint que certains de ses collègues puissent être contaminés. « Si beaucoup d’entre nous sommes arrêtés, on sera en vraie difficulté. »

De nombreuses personnes mettent des masques dans la rue pour se promener ou dans leur voiture, seules, vitres fermées. Paul Béjan reproche : « Le virus n’est pas porté par l’air mais par des gouttelettes. Quand on est seul chez soi, ce n’est pas nécessaire ! » Benoît Marot remarque la même chose : « Mon boulanger à un masque FFP2 et moi je n’en ai pas. Il faut expliquer le caractère stratégique de ces masques. Le collectif appelle au don, si jamais les gens en ont chez eux en réserve. » Le matin même une de ses patientes lui a justement apporté trois masques.

Paul Béjan met aussi en avant le manque de mesures mises en place pour les médecins libéraux. « Nous avons perdu l’avance que nous avions sur la Métropole. La téléconsultation est possible en France, pourquoi ce n’est pas fait ici ? En France, la pharmacie peut délivrer des médicaments avec une ancienne ordonnance. Ici, une jeune fille doit revenir au cabinet pour renouveler sa pilule contraceptive. Nous devons nous adapter à la situation de crise », déplore-t-il. Il reconnait cependant « le courage du gouvernement d’annoncer le confinement alors que nous ne sommes pas en phase trois épidémiologique ». Il est également confiant sur la capacité médicale du territoire pour faire face au virus.

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 « Nous sommes prêts »

« Le CHT est bien équipé, même suréquipé par rapport à la population ! », décrit le service de communication du Médipôle. Actuellement vingt-huit lits sont disponibles dans le service de médecine interne et maladies infectieuses où les personnes atteintes du virus sont actuellement confinées. D’autres services pourront être évacués s’il y a besoin de lits supplémentaires. En réanimation, dix places sont également mobilisées pour accueillir les patients du covid-19 dont l’état se serait détérioré. « Nous pouvons avoir jusqu’à 50 places disponible en réanimation. En France c’est ce qui manque mais depuis un mois, nous nous sommes organisés pour pouvoir accueillir un grand nombre de patients. Proportionnellement nous pourrons faire face à une situation telle qu’en France actuellement », précise Mathieu Série, médecin attaché au service de réanimation au CHT. Alors que le centre hospitalier connait à certains moments des manques d’effectifs, il y a eu une mobilisation de nombreuses personnes pour venir ou revenir travailler au Médipôle. « Et il y a encore des gens que nous pouvons recruter. De plus, les personnels soignants, infirmiers ou médecins, qui ont une baisse de travail avec la fermeture de certains services, viennent aider », développe-t-il. « Nous sommes prêts depuis plusieurs semaines », souligne son collègue Julien Colot.

La clinique Kuindo-Magnin, à Nouville, à quelques kilomètres du CHT, est prête elle aussi à faire sa part dans la lutte contre le coronavirus. Elle viendra en renfort, si l’épidémie se propage, afin de désengorger le Médipôle. La clinique accueillera des patients non porteurs du coronavirus et accueille dès aujourd’hui les patients les plus fragiles qui ont été évacués du Médipôle. Pour ne pas risquer une contamination, les visites aux malades ont été interdites et la température de chacun est vérifiée, soignant comme patient.

Toutes les opérations non urgentes ont été reportées au centre hospitalier et à la clinique. « Le coup dur il est pendant la crise mais il sera aussi après, pour rattraper le retard », précise Mathieu Série. Si crise il y a car, aujourd’hui, personne ne peut encore prévoir si l’épidémie frappera la Nouvelle-Calédonie de plein fouet ou si les mesures de confinement l’endigueront.