Le 16 janvier 2017, un homme décède à Cayenne des suites d’une morsure de serpent. Cet événement relayé par les médias prend alors une dimension politique inattendue. L’absence de sérum antivenimeux au CHAR est la cible de tous les débats et nous allons essayer de faire ici la part des choses.
Parmi la centaine d’espèces de serpents identifiée en Guyane, moins de dix sont véritablement dangereuses pour l’homme. Les Vipéridés sont les plus fréquemment responsables des attaques, parmi lesquels les Bothrops, communément appelés “grages” : Le grage petits carreaux (Bothrops atrox) est le champion des morsures, viennent après le grage orangé (Bothrops brazili), et le grage grands carreaux (Lachesis muta). De façon plus anecdotique, on retrouve les serpents-corail (famille des Elapidés) représentés en Guyane par le genre Micrurus.
Toutes les morsures n’entrainent pas forcément d’envenimation, on dit alors qu’elles sont sèches. Si les rares envenimations de serpent-corail sont responsables de troubles neurologiques et musculaires, celles causées par les grages sont responsables de diverses atteintes locales et générales : douleur, œdème, nécrose des tissus, et parfois syndrome hémorragique. Ce dernier est lié à la présence dans le venin de substances provoquant l’épuisement du système de la coagulation, responsable de simples hématomes jusqu’à des hémorragies parfois incontrôlables, voire mortelles.

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C’est là que le sérum antivenimeux (SAV) doit trouver sa place, seule thérapeutique théoriquement efficace contre les envenimations. Il s’agit d’anticorps, obtenus en induisant une réaction immunitaire chez un animal, par exemple le cheval, après administration répétée de venin, et qui neutralisent et accélèrent l’élimination du venin. Cette thérapeutique présente néanmoins quelques écueils. Par le passé, les effets secondaires étaient fréquents, notamment allergiques, parfois graves. Néanmoins, avec les nouvelles techniques de production, ces effets sont devenus plus rares. Ensuite l’efficacité des SAV est mise en cause, à cause de la complexité et la diversité des venins. Les SAV disponibles produits au Mexique, en Colombie ou au Brésil, ne sont pas obtenus à partir de venins de serpents locaux. Certains doutent de l’efficacité sur les Bothrops guyanais du venin obtenu à partir par exemple du Bothrops asper d’Amérique centrale, et présent dans le SAV Antivipmyn Tri®, utilisé à l’hôpital de Saint-Laurent. Une étude réalisée récemment au CHOG n’a pas trouvé de différence d’efficacité biologique ni d’effets secondaires, chez les patients traités mais le nombre réduit de patients inclus n’est pas suffisant pour conclure. Ce qui justifiait également au CHAR la non-utilisation du SAV était la supposée rareté des complications des morsures de serpents en Guyane. Une étude réalisée à Cayenne a montré que sur les 425 patients ayant consulté pour morsures de serpents entre 2007 et 2015, un tiers étaient des morsures sèches. Parmi les 283 véritables envenimations, 15 % étaient graves, et 4 avaient entrainé un décès soit moins de 1 % des consultations pour morsures.
Ainsi, si l’efficacité des différents SAV reste à prouver en Guyane, il est probable que leur utilisation puisse éviter certains décès et complications graves. Les autorités devraient également inciter l’industrie pharmaceutique à concevoir un SAV adapté à la faune ophidienne locale, ou directement des anticorps de synthèse dirigés contre la toxine principale. Enfin, beaucoup de choses circulent sur les réseaux concernant les remèdes traditionnels qu’il faut savoir interpréter avec prudence puisque jamais évalués scientifiquement, mais qui sont un layon à ne pas délaisser.

Texte de Loïc Epelboin, médecin infectiologue – Illustrations de Max Sibille