La fièvre Q en Guyane : une bactérie qui n’a pas dévoilé tous ses secrets. Qu’est-ce donc que cette satanée fièvre Q, dont on nous rebat les oreilles à Cayenne ? Parce que si cette infection est retrouvée à peu près partout sur le globe terrestre, les particularités de la forme guyanaise sont uniques au monde. Alors essayons d’en savoir un peu plus sur cette fièvre mystérieuse.  

D’où vient ce nom Q-rieux ?FIGURE 1

Laissons de côté certains jeux de mots douteux faisant référence à l’échauffement anormal d’une partie intime du corps humain. L’énigmatique « Q » vient des Australiens : cette maladie a été décrite pour la première fois dans le Queensland, région australe, dans les années 30. Le Q viendrait à la fois de query en anglais qui veut dire mystère, mais aussi de l’initiale de ladite région.
C’est une infection due à une bactérie appelée Coxiella burnetii, responsable d’une zoonose, c’est-à-dire une maladie transmise d’un animal vertébré à l’homme et cosmopolite, car rapportée dans la plupart des pays du monde.

La fièvre Q, ça fait quoi ?FIGURE 2

La fièvre Q est à l’origine d’une infection aiguë, avec fièvre élevée, douleurs diffuses, maux de tête, et atteinte des poumons (pneumopathie) caractérisée par toux, crachats, et/ou douleur dans la poitrine. Cette pneumopathie est confirmée à l’auscultation des poumons, puis à la radiographie du thorax. Elle se présente parfois sous la forme d’une fièvre dite « nue » et peut alors être confondue avec d’autres infections, telles que la dengue ou le paludisme. Le diagnostic repose sur la sérologie, c’est-à-dire la recherche des anticorps dans le sang développés par le patient pour se défendre contre la bactérie. Ces anticorps n’apparaissent cependant dans le sang que 10 à 21 jours après le début des symptômes, et le diagnostic n’est souvent confirmé qu’après la fin du traitement antibiotique qui repose sur la doxycycline pendant 3 semaines.
Si la phase aiguë de la fièvre Q évolue en général rapidement et favorablement, elle peut, dans de rares cas persister et donner après plusieurs mois une atteinte d’une valve du cœur dite endocardite, réalisant alors une fièvre Q chronique. C’est pourquoi les patients ayant fait une fièvre Q sont suivis avec des prises de sang pendant au moins un an qui permettent de vérifier la décroissance progressive des anticorps. Ils bénéficient d’une échographie cardiaque à la recherche d’une anomalie des valves qui favoriserait la persistance de la bactérie.

Qu’est ce qu’elle a de si spécial la fièvre Q de Lagwiyan  ?FIGURE 3

Dans le reste du monde, cette maladie ne présente plus beaucoup de mystères. Elle circule chez un certain nombre d’animaux sauvages et domestiques tels que les ovins et les bovins, chez qui elle provoque avortements et décès précoces. Les humains en contact avec ces animaux comme les agriculteurs, vétérinaires, personnels d’abattoirs, sont les plus exposés.
En Guyane, la fièvre Q présente des caractéristiques bien particulières qui la rendent unique au monde. Tout d’abord, elle est beaucoup plus fréquente : sur l’île de Cayenne, le taux d’incidence (le nombre de nouveaux cas chaque année par habitant) est le plus élevé au monde, 100 à 500 fois plus importante qu’en métropole. Elle est dite endémique, c’est-à-dire que des cas surviennent de façon régulière toute l’année, avec un pic au début de la saison des pluies. L’une des principales inconnues à l’équation est la voie par laquelle les malades contractent la maladie, car ceux-ci ne rapportent généralement pas de contact avec du bétail. La recherche de la bactérie dans différentes familles de vertébrés, domestiques (bétail, chiens, chats) ou sauvages (oiseaux, chauves-souris, mammifères terrestres), n’a pas permis d’identifier un réservoir animal sérieux de la maladie.

Enfin une piste ?FIGURE 4

Récemment, à l’occasion d’une enquête autour d’une épidémie de fièvre Q sur la montagne du Tigre à Cayenne, un paresseux à trois doigts mort a été trouvé porteur de la bactérie. En tout cas, plusieurs publications ont rapidement affirmé que le paresseux était « le » réservoir de la maladie à Cayenne. D’ailleurs, l’interrogatoire des patients ayant contracté cette infection à la montagne du Tigre tigre montrait qu’ils avaient plus souvent fait des câlins à un paresseux que ceux qui ne l’avaient pas attrapé. Cependant, là où le bât blesse, c’est que d’autres paresseux ont été prélevés et analysés : rien ! ! ! Puis quand l’on interroge les dizaines de patients qui attrapent cette maladie chaque année dans la région, la grande majorité n’a jamais approché, de près ou de loin, cette sympathique bestiole. Cette découverte ne permet donc pas encore d’incriminer de façon formelle ce mammifère arboricole dans l’endémie cayennaise. Enfin, certaines caractéristiques communes ont été retrouvées chez les patients qui avaient contracté l’infection vivre à proximité de la forêt, voir des animaux sauvages depuis chez soi, se trouver à proximité de chantiers (poussières), et faire de l’entretien d’espaces verts (débroussailleuse).

Qu’en est-il des pays alentours ?FIGURE 5

Un dernier mystère, mais non des moindres : la plupart des cas sont diagnostiqués à Cayenne et ses alentours, tandis que le reste du département semble indemne de cette infection. De même, malgré le taux d’incidence très élevé en Guyane, cette maladie n’est paradoxalement pas rapportée par les pays voisins comme le Suriname, le Guyana et dans les états amazoniens du Brésil. étrange, on a du mal à croire que nos bactéries s’arrêtent aux frontières. Ainsi, il est difficile de savoir si l’écosystème de l’île de Cayenne est propice au développement de la bactérie ou bien si le diagnostic n’est pas porté ailleurs, faute de connaissance, ou faute de moyens diagnostics.
Au final, la fièvre Q n’a pas encore dévoilé en 2016 tous ses mystères, il reste donc du pain sur la planche en perspective pour les médecins et chercheurs. Alors avis à la population, on a besoin de nouveaux cas !

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Texte de Loïc Epelboin , médecin infectiologue , Centre Hospitalier de Cayenne
Illustrations de Max Sibille