La mission MARGATS, opérée en automne 2016, fait suite à la mission IGUANES qui avait eu lieu au printemps 2013. Ces missions scientifiques cherchent à étudier le fond océanique au niveau du plateau sous-marin Demerara, dans les eaux guyanaises et surinamaises. Tandis qu’IGUANES a permis de cartographier le plateau, MARGATS s’est occupé de sonder les épaisseurs des couches géologiques. Arnauld Heuret nous livrait les résultats de la mission de 2013 dans le numéro 14 d’Une saison en Guyane. Aujourd’hui, nous nous intéressons au protocole utilisé et aux données collectées par la mission MARGATS.

Les missions scientifiques en pleine mer ne sont pas aisées. Dans de gigantesques navires suréquipés, l’équipage doit tenir plusieurs jours, et parfois même plusieurs mois, sans toucher la terre ferme.

L’Atalante, à Dégrad des Cannes, le 16 novembre 2016, à son retour de la mission Margats.

Du 21 octobre au 16 novembre 2016, l’Atalante, un navire français d’exploration océanographique de 80 mètres, a permis à la trentaine de scientifiques à son bord de collecter des données sur le plateau Demerara, au large de la Guyane. Situé dans les eaux françaises et surinamaises, ce relief est le résultat du coulissement entre deux plaques tectoniques lors de l’ouverture de l’océan Atlantique. Cette ouverture a été induite par déchirement du « supercontinent » Gondwana il y a 100 millions d’années. Daniel Graindorge, maître de conférence en géologie marine à l’université de Brest et chef de cette mission MARGATS, précise : « Nous cherchons à comprendre l’évolution dynamique de la Terre. Il y a encore certaines facettes de la tectonique des plaques qui ont été très peu étudiées. C’est le cas des marges transformantes, comme celle au niveau du plateau de Demarara ». La zone rigide externe de la Terre, composée par la croûte terrestre et océanique ainsi que d’une partie du manteau supérieur, n’est pas statique. Elle est composée de plaques dites tectoniques qui se déplacent les unes par rapport aux autres selon différents mouvements : coulissement, convergence ou divergence. Les marges transformantes correspondent à d’anciennes limites entre deux plaques tectoniques ayant subi un coulissement.

Câbles pour les équipements de la sismique réflexion, dans les cales de l’Atalante.

« Nous utilisons des méthodes acoustiques pour sonder les abysses. La sismique réflexion permet de visualiser l’organisation géométrique des couches du sous-sol, elle sert à imager les premiers kilomètres sous les fonds marins. La sismique réfraction permet de connaître les propriétés des couches et d’étudier les plus profondes. La vitesse des ondes acoustiques donne une information sur les propriétés des couches, ce qui, après analyses des données, permettra d’identifier leur nature, explique le chef de la mission, par exemple, nous avons mesuré des ondes qui atteignaient 8 km/s. C’est trop rapide pour être de la croûte, on se situe donc dans le manteau supérieur. Ce qui permet d’évaluer la distance qui sépare les fonds marins du MOHO, la limite, ou discontinuité, entre la croûte et le manteau supérieur. »

Sismomètre de fond de mer (ou OBS = Ocean Bottom Seismometer) utilisé pour mesurer, à même le plancher marin, les ondes accoustiques réfractées à travers les couches géologiques

Des caissons imposants sont entreposés sur le pont du navire. A l’intérieur sont disposés des instruments scientifiques de toutes sortes, dont les sources émettrices des signaux acoustiques. Ces canons à air libèrent toutes les minutes de l’air sous pression. « Et à ce moment-là, tout le bateau vibre », note Daniel Graindorge. Mais ces ondes acoustiques sont potentiellement néfastes pour les animaux marins qui vivent dans ces eaux, en particulier les mammifères. C’est pour cette raison que l’Atalante accueille à son bord quatre spécialistes des mammifères marins. Attentifs à la présence de ces animaux, ces scientifiques peuvent stopper à tout moment les tirs.

Et, entre deux instruments de mesures scientifiques, il y a une salle de repos avec des canapés confortables, des livres, des guitares, un baby-foot mais aussi un réfectoire où l’équipage prend ses trois repas par jour. Il faut bien que l’équipage, composé pour cette mission d’une soixantaine de personnes, puisse vivre et se détendre durant ce mois en autonomie totale sur l’eau. C’est aussi ce qui a permis que la mission MARGATS se déroule, dans l’ensemble, dans de bonnes conditions. « Pour le chef de mission, le plus difficile c’est de réussir à faire travailler tout le monde ensemble, comme un chef d’orchestre, il y a les équipes techniques, les chercheurs, les marins… et il faut que ce travail se fasse dans le respect, l’harmonie. C’est tous les jours éprouvant mais aussi très riche. Et là, tout s’est très bien passé. Les conditions météo étaient bonnes, ce qui a rendu la mission plutôt agréable. Le seul soucis, c’était l’arrivée tardive des autorisations du Suriname », raconte Daniel Graindorge. En effet, pour effectuer des travaux scientifiques dans les eaux surinamaises, la mission a besoin d’obtenir certaines autorisations. Or, alors que la mission débutait le 21 octobre, elles ne sont arrivées que le 3 novembre, l’équipage a alors dû modifier le parcours initialement prévu. Un désagrément qui n’a pas empêché l’Atalante de revenir à bon port, apportant avec lui des résultats qui pourront nourrir la science fondamentale et les connaissances sur la composition de notre Terre.

Texte et photos de Sylvie Nadin