Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel de Guyane (CSRPN),

Cayenne, le 15 mars 2012

Le 19 octobre 2009 le CSRPN prenait une motion concernant le pillage de la ressource halieutique de la zone économique exclusive (ZEE) dans l’Ouest de la Guyane par des pêcheurs illégaux.

Des données concordantes amènent le CSRPN à constater la généralisation de ce phénomène, notamment dans l’Est guyanais.

Les artisans pêcheurs de Guyane ont souligné à plusieurs reprises et ce depuis une dizaine d’année, le caractère inquiétant et croissant des pêches illégales en Guyane. La dernière intervention des artisans pêcheurs guyanais date de décembre 2011 et souligne qu’en plus des Machoirans jaunes (Arius parkeri) et de la Loubine noire (Centropomus undecimalis), les Acoupas rouges (Cynoscion acoupa) montrent des signaux très inquiétants de raréfaction le long des côtes guyanaises.

Le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins (CRPMEM) de Guyane, a depuis de nombreuses années initié et impulsé auprès des professionnels de la filière pêche :

- Un mode d’exploitation et de gestion durable de cette ressource, encadré par un régime de licences et une pêche au filet maillant dont la longueur et le maillage sont strictement réglementés ;

- Et bientôt, l’expérimentation d’une approche écosystémique et concertée des pêches à travers la mise en place d’une Unité d’Exploitation et de Gestion Concertée (UEGC) en Guyane axée sur le développement durable de la pêche côtière.

Les signaux de diminution de certains stocks, observée ces deux dernières années par les professionnels, laisseraient à penser que l’écosystème côtier est trop exploité. Le CRPMEM affirme que de son point de vue le phénomène de pêche illégale ne cesse de s’accroître et menace fortement la pérennité de la ressource halieutique ainsi que la viabilité économique du secteur. La viabilité de ce secteur passe donc par une réduction de la pression de pêche par l’éradication de la pêche illégale.

Il convient également de noter une source importante d’informations concordantes provenant du suivi de l’état de la production des poissons débarqués par commune et par espèce par l’IFREMER depuis de nombreuses années en étroite relation avec les professionnels de la filière.

Le « Pôle Mer » coordonné par la Région Guyane, constitue une plate forme, pertinente pour le partage d’information, la programmation et la mise en œuvre d’actions qui permettraient de contribuer à stopper ce phénomène d’appauvrissement de la ressource halieutique en Guyane.

La mission scientifique OYAPOCK NATURE (OYANA) du Parc Naturel Régional de la Guyane (PNRG) et de l’IFREMER en juin 2011 a constaté de faibles rendements de captures sur l’estuaire de la rivière Ouanary et confirme ainsi les informations issues des professionnels de la pêche. Une des conclusions du rapport de cette mission mentionne que les peuplements piscicoles de l’embouchure de l’Oyapock subissent d’importantes perturbations probablement liées à une pêche intensive. De plus, le calcul de l’indice « poissons Guyane » montre que la station échantillonnée est de loin la plus pauvre de toutes les stations estuariennes suivies depuis 4 ans sur l’ensemble du territoire (Données Laboratoire HYDRECO). Plus récemment encore, la mission exploratoire OYANA conduite dans l’estuaire de l’Oyapock du 1er au 5 mars 2012 a pu noter l’intensification des pêches illégales. Plus de 300 tonnes de poissons sont extraits chaque mois de cette zone exploitée 24 heures sur 24. Des filets de 1 à 5 km de long y ont été observés. Plus de 50 navires pêchent en permanence dans l’estuaire et plus au large, alimentant essentiellement le marché d’Oïapoque. De nombreux filets dérivent et causent des dommages substantiels à l’Environnement et ceci de façon non sélective. Cette mission exploratoire avec le Parc National de Cabo Orange (PNCO) a également été l’occasion de constater les problématiques de diminution des populations de certaines tortues fluviales fréquentant la basse vallée de l’Oyapock et les fleuves Uaça et Cassiporé (Amapa). Une attention particulière devra être portée à court terme sur ce sujet en particulier concernant l’espèce Podocnemis unifilis faisant l’objet d’un programme scientifique de réintroduction (données PNCO). Soit à ce jour plus de 30 000 tortues relâchées en 5 ans n’ayant pas encore permis de stopper la disparition de l’espèce dans la zone. Un important trafic d’œufs de tortues d’eau douce se développe le long de la vallée de l’Oyapock (données non quantifiées à ce jour).

A l’instar de la motion prise le 19 octobre 2009, le CSRPN réaffirme : qu’à ce rythme, la ressource halieutique risque de subir des dommages irréversibles compromettant ainsi tout espoir de développement économique local lié au patrimoine naturel maritime guyanais. En outre, les populations notamment de tortues marines et de mammifères marins sont directement menacées par les fréquentes captures accidentelles générées par les barrières de filets.

Le CSRPN, ayant clairement identifié que des menaces pèsent sur le patrimoine naturel du littoral guyanais, alerte les autorités et parties compétentes sur la nécessité de conduire des actions immédiates afin de stopper ce phénomène de pillage.

A ce titre, le CSRPN préconise :

  1. De prendre sans délai les mesures conservatoires adéquates, notamment de contrôle et de protection, et prioritairement en mer, afin de préserver la ressource halieutique et le patrimoine naturel marin. Le renforcement des moyens nautiques de lutte contre le pillage et une plus grande fermeté du dispositif de surveillance maritime et judiciaire français en Guyane paraît une priorité immédiate. La mise en place d’outils réglementaires comme par exemple des réserves halieutiques mérite également une réflexion approfondie.
  1. De mettre en œuvre ou de renforcer très rapidement une coopération opérationnelle avec le Suriname, le Guyana et le Brésil afin de trouver les voies et moyens de stopper l’exploitation illégale et incontrôlée des ressources naturelles transfrontalières.
  1. D’engager ou de renforcer les programmes de recherche et études permettant de collecter les informations nécessaires à l’évaluation de la ressource halieutique le long des côtes guyanaises. L’implication des pays voisins dans ces programmes est indispensable afin d’avoir une réelle idée des populations et de leur dynamique régionale. Ces données sont nécessaires pour appliquer les modèles halieutiques de diagnostic de l’état des stocks (IFREMER, projet DEPECHE, en cours). Le principe de précaution doit être appliqué en l’attente de résultats scientifiques plus précis.