Panorama vertical du sous bois à la canopée devant l’inselberg des Nouragues, par Tanguy Deville

L’ascension en canopée permet de s’immerger dans l’épaisseur d’un milieu généralement observé à distance. En visitant les arbres, de la base des troncs aux houppiers, nous pouvons apprécier pleinement tout leur développement. Lors de mes promenades en forêt les arbres me surplombent toujours. Ils élèvent leurs frondaisons en un toit de verdure lointain. Les troncs, souvent massifs et imposants, occupent peu d’espace. Ils contrastent avec les houppiers au volume très important, où l’air circule à son aise entre les branches et les feuilles. Difficile d’embrasser les arbres d’un seul regard, de leurs contreforts jusqu’aux derniers rameaux, tant leur taille est grande. Les lianes s’y développent et courent de branche en branche en quête d’un nouveau support et de plus de soleil. Les épiphytes croissent en nombre : tapis d’orchidées, broméliacées solitaires, fuseaux de mousses et de fougères qui habillent les troncs. Les oiseaux circulent, mangent, nichent ou se toilettent, accompagnant parfois les troupes de singes. êtres vivants autant que milieux de vie, les arbres ont des modes de vie et des fonctions aussi diverses que complexes.

Les techniques de grimpe issues de l’alpinisme et de la spéléologie, puis adaptées et développées par les arboristes m’ouvrent les portes des arbres. Elles offrent une grande liberté et beaucoup de souplesse. Je peux transporter mon matériel seul, en tout point de la forêt, et accéder à l’arbre de mon choix. Celui-ci domine un chablis, face à un arbre mort où nichent des Moucherolles à longs brins. Cet autre est en fleur, les colibris le butinent en nombre. Ailleurs, un troisième héberge un pied de Clusia. Les oiseaux se relayent sous ses fruits en étoile en quête de leur pulpe rouge. Je les ai visités tous les trois, et bien d’autres encore. Quelques-uns ont un nom bien connu : ébène vert, ébène rose ou Angélique, à l’écorce douce, au houppier clair et propice à une grimpe facile et agréable. Bien d’autres, au nom oublié ou que je n’ai jamais su, garderont leur anonymat.

Les émergents, ces géants, ont souvent ma préférence : le grand Fromager de Saül, et un Sablier, au tronc massif hérissé d’épines, dans un bas-fond de la Limonade ; les arbres des Nouragues qui hissent leur cime face à l’inselberg et ceux de la montagne de Kaw, du sommet desquels la vue s’ouvre sur l’immense marais, ses palmiers bâches, et la mer au loin. Sans oublier le plus grand, un Huberodendron swietenioides qui m’a demandé presque soixante-dix mètres d’ascension pour atteindre ses derniers rameaux, sur les pentes des Monts Atachi Bakka. D’une de ses branches pend encore une petite cordelette, si nul écureuil ne l’a rongée. Elle permettra peut-être à un grimpeur d’installer une corde et de monter visiter ces hauteurs.
La première ascension est pour moi la plus belle. Ce que mon esprit avait imaginé par l’observation à partir du sol, je le découvre en montant. Certaines branches que je pensais horizontales s’avèrent presque verticales. Les lianes qui donnaient l’impression d’étouffer l’arbre n’en occupent qu’une partie. Je franchis les étages de végétation un par un : les arbustes, les palmiers du sous-bois puis le houppier des premiers arbres, où s’épanouissent parfois des fleurs discrètes ou des petits fruits, invisibles du bas. Lors de mon arrivée en haute canopée, je redécouvre le ciel parcouru d’urubus et de martinets. J’installe alors une seconde corde qui permet les déplacements dans l’ensemble du houppier, des grosses charpentières aux rameaux les plus fins.

Souvent, je grimpe en canopée pour observer et photographier les mammifères et les oiseaux. Je choisis alors avec soin mon lieu d’affût : face à des fruits ou des fleurs bien dégagés, devant un perchoir propice, en regard d’une branche à l’esthétique particulière. Puis j’attends la venue des animaux, celle d’une troupe de singes attirée par des fruits, ou celle d’une ronde d’oiseaux traversant mon arbre. L’attente est parfois longue, les conditions difficiles : les averses de la saison des pluies s’abattent avec violence, le matériel s’imbibe d’eau et sèche lentement. Si certaines journées sont remplies des allers-retours d’oiseaux, la tête dans les fleurs ou les fruits, d’autres sont lisses et monotones, parfois ponctuées d’observations courtes et intenses, souvent imprévisibles. J’aime ainsi les affûts dans les arbres pour leur diversité : des surprises ornithologiques qu’ils réservent aux envolées de l’imaginaire qu’ils provoquent quand je m’endors là-haut, entre deux branches, et qu’une brise éloigne les taons et les moustiques.

Les portraits présentés ici montrent quelques arbres des Réserves Naturelles des Nouragues et du Mont Grand Matoury. Ils ont été réalisés en grimpant un arbre émergent qui offrait une vue complète de l’arbre photographié, de la canopée au sous-bois. Chacun est constitué d’une centaine d’images prises à plusieurs niveaux, lors d’une ascension verticale, puis assemblées.

Texte & photos de Tanguy Deville

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Déployant leur houppier au-dessus du couvert végétal, ils viennent troubler l’apparente monotonie de la canopée. Ces “ émergents ” ne se contentent pas de régner sur la forêt et d’imposer leurs cycles comme principaux moteurs de la dynamique forestière : ils concentrent également l’essentiel des richesses amazoniennes. Car un grand arbre n’est pas une réplique en grand d’un petit arbre : il est infiniment plus complexe, ses nombreuses branches et anfractuosités lui permettent d’accueillir une multitude d’écosystèmes miniatures. Il constitue ainsi un support de biodiversité à part entière, d’autant plus que les fruits de ces arbres émergents sont souvent les plus consommés par les espèces emblématiques de nos forêts, comme les singes ou les oiseaux de canopée.
De même, leur capacité à stocker du carbone est sans commune mesure avec les arbres de taille plus modeste. Un tronc d’un mètre de diamètre séquestre autant de carbone que 200 tiges de dix centimètres de diamètre… ce qui correspond aux émissions de gaz à effet de serre d’un français pendant 7 ans ! À l’heure des décisions internationales sur le climat, pas question de se passer de ces alliés de poids : pour maintenir les équilibres climatiques, la forêt primaire et ses géants végétaux ont un rôle clé à jouer. 
Texte de Florent Taberlet – WWF bureau Guyane.

Ce travail a été réalisé par l’association Semilimax, avec le soutien du WWF bureau Guyane.

Merci à la Réserve Naturelle des Nouragues, gérée par l’ONF et le GEPOG, et à celle du Mont Grand Matoury gérée par la commune de Matoury et l’ONF. Merci à Xavier pour les corrections