C’est en décembre 2014 que l’Europe va trancher sur le futur d’Ariane entre deux possibilités. Une version améliorée de l’actuel lanceur (Ariane 5 ME) emportant 12 tonnes et deux passagers, ou une nouvelle version (Ariane 6) dite « low-cost », emportant un seul passager et aux coûts de fabrication optimisés . En cause, la pression des pays émergents, comme la Chine ou l’Inde, de la solide Russie (et sa fusée Proton), voire de la société privée américaine innovante SpaceX, qui poussent les Européens dans leurs retranchements.

D’autant que le marché des petits satellites, électriques, est en pleine explosion et que les concurrents cassent les prix. Un vol Ariane 5 coûte plus de 100 millions d’euros, contre un prix affiché de 55 millions d’euros pour la Falcon 9 de SpaceX, qui vient de réussir deux vols successifs. Ariane 5 emporte toutefois deux passagers à chaque vol quand un seul passager est à bord de la fusée Falcon 9. Ce qui impose à Ariane des trésors d’organisation pour trouver deux passagers prêts en même temps. Et les clients n’aiment ni attendre ni payer cher.
Le projet Ariane 6 devrait permettre de réduire les coûts de 30 % en optimisant son processus de fabrication et sa cadence de production. Objectif final : 15 lancements par an. En décembre, François Hollande a d’ailleurs survolé la zone prévue pour le nouvel ensemble de lancements à Kourou. Un chantier d’« à peu près trois fois (en volume) le pas de tir construit pour Soyouz » selon Jean-Yves Le Gall, le directeur du CNES. Une aubaine pour la Guyane. Mais il ne sera pas sur pied avant 2019-2020, comme la version 6 du lanceur, au mieux. Une date proche sur le plan industriel, mais lointaine sur le plan commercial. Ce qui fait dire à certains que les deux programmes (Ariane 5 ME et Ariane 6) doivent coexister afin de ne pas perdre de parts de marché. D’ici au mois de décembre, le travail de coulisse va être intense pour arriver à un choix tranché. La France, via le CNES, ne cache pas sa préférence pour la version Ariane 6, mais il faudra convaincre, les politiques, et faire avec les industriels qui, eux, souhaitent développer conjointement les deux projets.

Du côté de la concurrence, il reste l’inconnue de la fiabilité, l’avantage concurrentiel d’Ariane. La fusée privée (mais soutenue par la Nasa) de SpaceX pourra-t-elle assurer sans encombre sa montée en charge, et au même prix ? Dans le secteur spatial, de grandes voix annoncent déjà qu’elle pourrait lancer 9 satellites cette année. La Chine vise, elle aussi, 15 % du marché du lancement des satellites commerciaux, avec en poche des succès retentissants, comme une mission lunaire, mais aussi un cuisant échec avec le satellite brésilien CBERS (ci-contre). En embuscade, l’Inde vient de réussir, le 5 janvier, le premier vol de son lanceur équipé d’un moteur national (à la place du moteur russe) et la fusée russe Proton ronronne.
Ariane 5 qui n’a pas réussi à opérer tous ses vols en 2013 (4 lancements seulement), annonce déjà… un retard pour sa première mission de l’année, mais vise un programme de vol ambitieux de 12 vols : six Ariane 5, quatre Soyouz et deux Vega. Dans sa besace, Ariane peut compter sur ses succès auréolés du prestige de ses passagers, comme le lancement du télescope Gaïa en 2013, et ses trois lanceurs.
Mais à l’heure où la demande des pays émergents en satellites de télécommunications indépendants est croissante et que, nécessairement, la guerre des prix est déclarée, le choix stratégique des ministres européens en décembre sera crucial. La Guyane, port spatial de l’Europe, profitera à coup sûr d’un nouveau lanceur et d’une activité croissante sur l’équateur.

Image : Ariane 6 – Vue d’artiste © ESA