Des idoles de lumières, lasers et feux d’artifice ; des DJ’s adulés comme des popstars internationales : les machines montées par leurs cavaliers font danser des dizaines de milliers de jeunes amazoniens de l’état brésilien du Pará, dont Belém est la capitale.

Depuis des décennies, des familles de la périphérie de Belém font construire leurs aparelhagens, boîtes de nuit ambulantes en plein air dans les fêtes foraines, transportées par camion d’un bout à l’autre de la ville ou des autres cités fluviales de l’état. Les musiques exécutées sont la cumbia, le meringue et surtout le brega – souvent stigmatisé par les élites locales, considéré comme un sous-genre musical : le brega est synonyme de « mauvais goût « . Pourtant les Aparelhagens ont un public captif, leurs fan-clubs et déplacent les foules de tous âges.

Au début des années 2 000, l’irruption de la technologie – les ordinateurs personnels, Internet et ses logiciels d’édition musicale – provoque un renouveau et une évolution drastique des machines et de la musique : l’accélération du rythme (les musiques sont exécutées à 180 BPM) et une nouvelle façon de danser en couple.
Du côté des machines, les familles traditionnelles de la fête ont compris l’évolution en lançant des “appareils” toujours plus futuristes : la Superpop, “L’aigle de feu”, Rubi “la navette du son“, le puissant “Tupinambá” (nom d’un des peuples amérindiens présents avant la colonisation) ou encore le Príncipe Negro (Prince noir) se partageaient les faveurs de centaines de milliers de jeunes issus principalement des périphéries de Belém.

Au tournant des années 2 010, de nouvelles machines géantes se disputent la place de favoris des cœurs : le Crocodilo, Ouro Negro (un robot remplacé cette année par un “Tigre”) ou encore le “Grand buffle du Marajó”

La plupart de ces machines sont construites en bois naval et recouvertes de métal dans les ateliers de João do Som, de Marcelo da Projesom, des frères Ronaldo et Rogério de Barcarena (ville voisine) ou encore de Grande do Som,
les quatre grands artistes méconnus qui donnent vie à ces créatures uniques au monde. L’investissement total des plus grandes “machines” peut dépasser le million de dollars, investissement couvert en quelques fêtes, notamment pour le lancement des nouveaux “vaisseaux” de son. Outre les aparelhagens les plus célèbres, une infinité de petites machines locales transforment les bars les plus déglingués de la périphérie pauvre de la ville en lieu d’enchantement collectif. Plus loin, les aparelhagens fleurissent dans l’immense île de Marajó, et plus au sud, jusque dans l’état du Maranhão.

Les tickets d’entrée coûtent de 2 à 6 euros selon les quartiers, souvent moitié prix pour les filles. Les fêtes peuvent réunir de 1 000 à 10 000 personnes. Les musiques jouées en live sont gravées sur des CDs pendant la fête, autre source de revenus générés par ce modèle informel, mais puissant de production culturelle. Des centaines de Paraenses vivent de cette activité pourtant stigmatisée ou ignorée par les grands médias brésiliens.
Les aparelhagens — animaux totémiques robotisés ou vaisseaux spatiaux — occupent une place particulière dans les esprits et le territoire des périphéries urbaines et rurales de la mégapole amazonienne.

Une cosmogonie de créatures héritées pour certaines de la mythologie des premiers habitants de la région, revue par l’influence de films comme Transformers et le cinéma de science-fiction. Intercesseurs de la catharsis musicale et des corps en mouvement, les machines méritent le culte que la jeunesse, génération après génération, leur voue.

Texte et photos de Vincent Rosenblatt