Île franco-néerlandaise de 86 km2 à quelques encablures de Saint-Barthélemy, entre océan Atlantique et mer des Caraïbes, Saint-Martin est un territoire-funambule éprouvant chaque jour l’exercice délicat de l’équilibre, entre pression touristique et préservation naturelle, urbanisation forcenée et sauvegarde de la biodiversité. Comme ses consœurs de l’arc antillais, elle est située en zone cyclonique. « Ravagée à 95 % » selon les premiers mots du préfet de l’époque, en 2017, elle se relève doucement du passage de l’ouragan Irma, dont les stigmates, cinq ans plus tard, sont toujours profonds. Immersion dans le quotidien de la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin, bouleversée par Irma.

«Derrière le troisième bosquet de palétuviers rouges sur l’aile droite de l’étang, une nouvelle échasse d’Amérique ! On peut donc en noter huit pour l’Étang aux Poissons », observe Julien Chalifour, responsable scientifique de la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin. Une fois par mois, dès les premières heures du jour, avant que le soleil ne fasse remonter de terre ces nappes de chaleur sèche et parfois suffocante, Julien arpente les deux plus vastes étangs sur les seize que compte la partie française de l’île. Balbuzard pêcheur, grande aigrette, pluvier à collier interrompu et paruline jaune comptent parmi les 85 espèces d’oiseaux – dont 55 sont protégées – qui sont recensées et étudiées selon un protocole strict. Car Saint-Martin reste une zone de passage et d’hivernage privilégiée pour ces oiseaux. La Réserve couvre une étonnante diversité de biotopes juxtaposés allant des étangs et salines, en passant par la mangrove, jusqu’aux forêts sèches du littoral, les plages et falaises bordant le lagon, la barrière corallienne et les herbiers. « Les étangs et leurs mangroves sont des milieux tampons primordiaux, y compris pour l’Homme, qui, malheureusement encore trop souvent, les méprise en les polluant sans vergogne », remarque Nicolas Maslach, conservateur de la Réserve naturelle, avec une amertume non dissimulée. Et pour preuve, ces écosystèmes protègent contre les agressions de la mer et ont été très efficaces lors du passage de l’ouragan Irma, en septembre 2017, piégeant un grand nombre de débris, potentiellement mortifères lorsqu’ils sont poussés par des vents de près de 300 km/h. Les très nombreuses campagnes de nettoyage qui ont suivi n’ont d’ailleurs pu venir à bout des pièces les plus inaccessibles, toujours visibles vu du ciel dans le labyrinthe végétal. Car les mangroves ont payé un très lourd tribut lors de la catastrophe. « Presque intégralement ravagées, leur régénération progressive est visible cinq ans plus tard et nous mettons tout en œuvre pour l’accompagner, en cultivant et en replantant massivement déjà plus de 5 000 palétuviers », confient Ashley Daniel et Christophe Joe, tous deux chargés de la Police de la Nature et de la sensibilisation à la Réserve. Etangs et mangroves limitent aussi les inondations en cas de fortes pluies, décantent les alluvions et épurent les eaux avant leur rejet à la mer. Sans oublier que les mangroves sont de véritables frayères à poissons et crustacés ! « Ces étangs, apparus en 3000 avant notre ère, sont tout autant utiles que fragiles, précise Ashley. Remblais, rejets sauvages, réseaux d’assainissement défectueux, déboisements et projets immobiliers invasifs représentent des menaces constantes à l’équilibre de cette partie de la réserve… »
Suite réservée aux abonnés…