La ressemblance est frappante et la supercherie performante ! Sans une attention particulière, il est clair que nul ne peut se douter qu’il ne s’agit pas d’une fourmi, mais bien d’une araignée. Explications.

Les interactions entre les êtres vivants sont à la base du fonctionnement du monde biologique. Ces relations sont complexes et prennent de nombreuses formes comme la prédation, la compétition ou le mutualisme. L’une d’elles est le mimétisme. Celle-ci consiste, pour un organisme donné, à tirer un avantage en ressemblant à un organisme d’une autre espèce vivant dans le même habitat. La plupart des araignées, comme de nombreux arthropodes prédateurs en compétition, sont repoussées par l’omniprésente prédation des fourmis. Ces dernières sont, en effet, généralement agressives, venimeuses ou simplement nocives pour un ensemble de raisons propres à leur groupe d’insecte. Néanmoins, des centaines d’espèces d’arthropodes vivent à différents niveaux de proximité, voire même en association avec les fourmis. L’influence des fourmis sur les communautés écologiques est bien connue des scientifiques. La proximité et l’activité des fourmis ont influencé l’évolution d’autres organismes de multiples façons : en étant partenaires lors de relations symbiotiques (avec des bactéries), en fournissant des ressources (à d’autres organismes) et en servant de modèle dans l’évolution d’une remarquable variété d’espèces mimétiques. C’est cette dernière influence qui nous intéresse ici.

L’exploration de la biodiversité en forêt tropicale guyanaise

La forêt tropicale guyanaise recèle d’une extraordinaire diversité d’insectes et autres arthropodes présents dans chaque strate et interstice du paysage. Face aux chenilles multicolores posées sur les feuilles, aux milliers de fourmis se déplaçant sur le sol ou à la diversité des araignées paradant sur leurs toiles, l’homme ne restera pas indifférent ! Comptabilisant des années d’explorations en forêt, les membres du laboratoire d’écologie intégrative de l’UMR Ecologie des forêts tropicales de Kourou continuent d’être surpris par l’incroyable diversité de la forêt tropicale humide, notamment lors de missions dans des sites éloignés du littoral. L’une des dernières missions dans la Réserve naturelle de la Trinité, à environ 80 km du littoral, a pu confirmer cette tendance. Ce projet, mené en collaboration avec l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, a permis de regrouper deux compétences taxonomiques distinctes : la myrmécologie et l’arachnologie. Thibaut Delsinne, expert des fourmis tropicales, nous raconte : « mes recherches portent sur la compréhension des mécanismes qui peuvent affecter l’assemblage de fourmis en milieu tropical. Je travaille également sur la systématique des fourmis tropicales avec la révision et la description de nouvelles espèces ». Vincent Vedel, spécialiste des araignées de Guyane, utilise également les mêmes approches pour répondre aux questions écologiques posées par le laboratoire d’écologie intégrative : « Il est vraiment intéressant de pouvoir coupler plusieurs domaines de connaissances dont la myrmécologie et l’arachnologie. Ce projet nous permet d’asseoir une collaboration durable entre plusieurs experts des milieux tropicaux travaillant en Guyane. En outre, chacun des membres de cette équipe apporte une expertise taxonomique essentielle à l’obtention de données qui serviront à répondre à nos questions écologiques. La taxonomie et les compétences naturalistes en général, souvent en déclin, ne peuvent être occultées sous peine de mécomprendre l’extraordinaire diversité de nos forêts guyanaises
Malgré l’augmentation perpétuelle des connaissances scientifiques, l’estimation du nombre total d’insectes sur la planète (~ 6-7 millions d’espèces) reste à ce jour 6-7 fois inférieure au nombre d’espèces taxonomiquement décrites. Énumérer cette diversité pour comprendre les mécanismes qui permettent son maintien est notre principal objectif. L’expression “ face immergée de l’iceberg ” prend tout son sens en forêt amazonienne, notamment avec un nombre inimaginable d’organismes inférieurs à 1 centimètre qui se confondent avec leur habitat ou qui imitent d’autres organismes. Il existe notamment un groupe d’arthropodes encore peu étudié en milieu tropical et qui présente ces caractéristiques : les araignées (Arthropoda : Arachnida : Araneae). Dans le monde, on énumère environ 43 000 espèces d’araignées, regroupées dans 110 familles. Elles constituent une part importante de l’extraordinaire diversité des arthropodes des forêts tropicales humides, de par leur rôle écologique de prédation qui s’avère crucial dans le fonctionnement des écosystèmes.

L’évolution d’une supercherie
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