« Tout le monde peut être important car tout le monde peut servir à quelque chose.  »  Martin Luther King
« Mesdames et messieurs, nous nous apprêtons à entamer notre descente vers l’aéroport Félix‑Eboué à Cayenne, Guyane Française. Veuillez retourner à vos sièges et attacher votre ceinture. Nous espérons que ce voyage vous a été agréable… »
« Ouais ! » pense Alyana en tentant de boucler sa ceinture. « Mon prochain voyage sera en classe affaires ! » rêve-t-elle. Elle range sa paperasse dans son gros sac encore et toujours trop petit puis vérifie l’heure sur son portable : 14h50. « Horaire respecté. » remarque-t-elle. Une fois atterri, et le signal lumineux indiquant l’obligation d’être attaché éteint, elle se rue vers la sortie pour ne pas rester une minute de plus avec ses voisins de fauteuil qui ont brillé par leur intelligence, leur hygiène et leur respect des gens (c’était apparemment des vacanciers impatients de fouler pour la première fois le sol Guyanais). Sortie la première de l’avion, elle récupère ses bagages et déguerpit par les portes coulissantes qui la mènent dans le hall où ses parents sont censés l’attendre. Mais vu la ponctualité saisissante de sa mère (insatisfaite de sa coloration capillaire), et l’ordre des priorités de son père (c’est PSG‑OM !), elle risque d’attendre longtemps. C’est ainsi qu’en quittant la douane, elle se dirige vers un banc libre sans jeter un regard aux personnes qui attendent impatiemment leur mari, femme, enfant, mère, frère ou proche. Elle sort le journal qui lui a gracieusement été offert dans l’avion et entame sa lecture, brusquement interrompue par la photo de droite, tout en haut, elle croit reconnaître cette mystérieuse nouvelle élève, Zara, arrivée dans son lycée juste avant les vacances de carnaval. En enfilant ses lunettes d’astigmate et en plissant les yeux, elle se confirme fièrement que sans lunettes, elle avait bien vu. C’était bien cette jeune fille toujours bien coiffée avec ses beaux cheveux crépus et ses yeux sombres d’une profondeur abyssale. Mais que faisait-elle là ? En la voyant, Alyana avait médit que si un jour elle devait faire une apparition télévisée où que sa photo devait être dans un magazine, ce serait pour prévenir de sa dangerosité. Elle était peut-être une version méchante de Batman ou alors une tueuse en série de jeunes adolescents subjugués par sa dangereuse beauté ? « Ah mais qu’elle imagination j’ai ! Il faut vraiment que j’arrête les Agatha Christie… » Alors qu’elle tentait de lire les inscriptions sous la photo, les lettres se rapprochèrent de plus en plus les unes des  autres pour ne former qu’un épais trait. « Tiens, c’est bizarre. Ce doit juste être les antalgiques que j’ai pris pour mon orteil. » articula-t-elle en tentant de s’en convaincre, car depuis quelques jours, il lui arrivait des choses anormales…

« Il y a des présences qui font paraître le ciel toujours gris.  » Marguerite Grépon
« Hello ! My name is Louis, how old are you ? » Mais qu’est-ce que je dis ? ! chuchote Alyana. C’est moi que je dois présenter, pas mon frère ! Bel Ami-Maupassant, Envoûtement-Carrie Jones, Défigurée-Rania Al-Baz, Et après-Musso, Juliette Forever-Stacey Jay, Madame Bovary-Flaubert » égrena-t-elle. C’était un moyen comme un autre de vaincre son stress : certains énoncent leurs phobies (didaskaleinophobie, sitophobie, horméphobie ou tout simplement phobophobie), d’autres récitent l’alphabet à l’envers (ZYXWVUT…) ou chantent « Frère Jacques » en mandarin, elle, déclinait ses lectures. « Good morning, my name is Alyana and I am fifteen years old. Welcome to our class, I hope you spend a pleasant school year ! » débite-t-elle d’une traite, tout de même fière d’avoir pu se présenter à Zara‑regard-de-dragon devant la classe d’anglais. Retournée à sa chaise, Alyana sort la liste de ses déconvenues des derniers jours. Les pages étaient noircies de : la grosse marmite de soupe brûlante s’écrase sur mon orteil, jean déchiré, gros boutons sur mon visage si doux d’ordinaire, portable cassé, disparition du livre de français, lunettes cassées, limaces dans ma salade… Enfin bref, rien n’allait en ce moment pour elle. Soudainement l’alarme à incendie retentit. Alyana se rua vers la porte « close », la poignée était brûlante, et alors qu’elle courait vers l’autre porte, quelqu’un lui asséna un coup à la nuque. Elle tomba sur le sol étrangement glacé et eut tout juste le temps de voir Zara et son visage mielleux passer la porte…

« Someone to watch over me. » George Gershwin
« Un soldat français de 32 ans est mort au Mali après que le véhicule léger dans lequel il circulait ait sauté sur un engin explosif. Ce décès porte à six le nombre de soldats tués au Mali depuis l’intervention de la France le 11 janvier dernier… » renseigne la journaliste au visage anguleux sur l’écran de la chambre d’hôpital d’Alyana. Elle avait été sauvée par un mystérieux inconnu qui l’avait amenée à l’hôpital Franck Joly, sans jamais donner son nom à l’accueil. Elle avait été gardée en observation pour la nuit et autorisée à quitter l’hôpital le lendemain.« Quelle tristesse pour la famille de ce soldat ! » compatit la mère d’Alyana qui l’aidait à se préparer. « L’humanité devra mettre un terme à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l’humanité*. » ajoute-t-elle.

Le médecin a conseillé à Alyana de se reposer pendant une semaine interminable à son goût. Allongée devant un épisode de Desperate Housewives, son nouveau portable, ordinairement si silencieux sonne. Surprise, Alyana décroche sans regarder le numéro. « Je suis devant chez toi. » s’entendit-t-elle dire d’une voix atone. Alyana savait pertinemment qu’elle faisait là une erreur mais elle se leva et ouvrit la porte. Elle balaya le jardin du regard sans y voir personne, c’est alors qu’elle remarqua une lettre sur le pas de la porte et, à l’intérieur un mot inscrit sur du papier mauve : « I know what you did, It makes me sick, You have to pay… » Alyana sentit alors un souffle brûlant sur sa nuque…

*John Fitzgerald Kennedy

Luce Jérome
Illustration Frederique Warin