Le tournage en novembre du Destin de Mo, un long métrage destiné au cinéma, n’aura pas eu l’effet escompté d’une première historique. Il aura plutôt illustré la frilosité de l’île à montrer son visage au-delà du lagon et le cruel manque de structures dédiées à l’audiovisuel. Enserré dans ces limites, un petit vivier local tente cependant de tirer son épingle du jeu, sans remous.

« On a dû tout amener sur place, c’est très rare, mais il n’y avait aucun équipement ici. Ça fait quatre tonnes payées au prix fort et vu le prix des billets, la facture était bien salée… » Carole Lambert, la productrice du Destin de Mo pourrait presque en rire. Presque. Car entre deux séances de tournage, si la professionnelle explique avoir trouvé à Mayotte « des paysages d’une beauté sans nom », « l’excitation de porter pour la première fois à l’écran une île aux multiples facettes » ou encore « une jeunesse débordante d’énergie, extrêmement touchante », elle aura aussi fait face à de nombreuses déconvenues et déboires en tout genre.
D’abord déçue puis amère, Carole Lambert l’a été suite à la décision du Conseil départemental de ne pas subventionner son projet. « Je me sens censurée. Je pense que si on avait proposé une comédie romantique, les financements auraient suivi », s’indigne-t-elle aujourd’hui.
Mais voilà, Le Destin de Mo n’est autre que l’adaptation cinématographique de Tropique de la violence, le roman de Nathacha Appanah qui plonge le lecteur dans l’errance et le violent quotidien des mineurs isolés de Mayotte. Pas franchement à l’eau de rose donc. Et c’est bien là où le bât a blessé sur l’île aux parfums. Lors de la délibération concernant l’attribution d’une subvention au film, le directeur de la communication du Conseil départemental se souvient ainsi que « les élus s’étaient déchirés parce qu’ils avaient tous percuté sur le fait qu’il s’agissait d’une adaptation libre de l’ouvrage Tropique de la violence ». Résultat, « nous avons estimé que ça n’était pas mûr politiquement de coller l’image du Conseil départemental à un produit qui ne valorise pas Mayotte. On aurait pu nous le reprocher plus tard et la période des élections approchant, on s’est dit que ce n’est pas une bonne idée », poursuit Bruno Cohen-Bacrie.

Un argument que refuse d’entendre la productrice métropolitaine du film, rappelant les multiples allers-retours opérés en deux ans « pour être dans le vrai, coller au mieux à la réalité du territoire ». « Ce n’est pas le rôle de la collectivité de s’immiscer dans la démarche artistique et le point de vue de l’auteur. Elle doit être là dans le soutien économique, ne serait-ce que parce que l’on fait tourner l’activité, que l’on consomme, que l’on embauche, que l’on forme sur place, d’autant que les besoins sont immenses ici… C’est ce qui se fait partout ailleurs, à chaque fois qu’un film s’enracine dans un territoire, celui-ci l’aide et c’est le minimum », défend Carole Lambert. Mais ni l’argument économique ni la présence d’une ligne budgétaire bien fournie quoique jamais utilisée dans les comptes du Département n’auront su tenir tête à une décision définitivement politique.

« Pour nous, mauvaise ou pas, il fallait de toute façon donner une image. Parce que dans l’inconscient de la majorité des métropolitains Mayotte, n’existe quasiment pas, c’est une réalité. Être dans le déni de cela entretient cette inexistence. À un moment donné, exister c’est se montrer, accepter qu’il y ait des films, des livres qui parlent de ce qui se passe ici. Je suis convaincue que la fiction peut combattre beaucoup de choses, en véhiculer énormément. C’est cela notre travail, essayer à travers l’art de parler de sujets réels de la société, de les faire rentrer dans le débat public, de les aborder de manière moins frontale, moins politique », rétorque encore la productrice pour qui « le manque de moyens, ce n’est pas qu’une déception morale, c’est un véritable handicap au jour le jour qui pèse très lourd. Tous les jours, le projet est en danger à cause de ça. Ce qu’ils n’ont pas voulu nous donner, c’est ce qu’il nous manque chaque jour ».
Et c’est peu dire que le tournage de ce premier long métrage à Mayotte fut compliqué. Entre les bouchons incessants de la seule et maigre route nationale, les barrages réguliers, le manque d’infrastructures, la chaleur, les coupures d’eau ou encore l’insécurité permanente dont un caméraman aura fait les frais, la quarantaine de personnes composant l’équipe aura eu la vie dure avant d’embarquer pour La Réunion… Qui, elle, a octroyé des subventions. Sans qu’aucune scène ne soit censée s’y dérouler.
Pour les consoler, Carole Lambert et son réalisateur, Manuel Schapira, auront toutefois pu compter sur une population et une jeunesse « intense, bienveillante », à l’opposé, justement, « de l’image véhiculée de loin ». Et se satisfaire, avec cette aide, d’avoir tout de même pu mener à bien le projet et frapper ainsi un grand coup sur la chape de plomb que fait peser l’omerta mahoraise. Un « combat juste », dont ils sont bien conscients. Tous n’auront pas eu les mêmes armes pour se défendre. Car si l’auteure de Tropique de la violence a également récolté l’opprobre, on se souvient surtout sur l’île du projet porté par une classe de terminale option audiovisuelle.

De l’omerta à la censure

Fin août 2019, une partie de la société découvre avec stupeur que leur court métrage porte sur le racisme dont font l’objet les mères comoriennes à Mayotte. Un thème choisi par les lycéens eux-mêmes. Un véritable tollé s’en est suivi, une protestation suivie par nombre d’élus, empêchant la projection du film et charriant avec lui son lot de menaces et autres dépôts de plainte. Le très influent « Collectif des citoyens de Mayotte  » dans sa saisine du procureur de la République, du Préfet de Mayotte et du maire de Mamoudzou estimait ainsi que “la dignité des Mahoraises et des Mahorais est ici bafouée par ce film qui les dépeint comme des bourreaux alors qu’ils sont les victimes d’une spoliation de leur île ancestrale par des rapaces sans foi ni loi. Il est inadmissible d’alimenter les tensions intercommunautaires avec des projets éducatifs qui propagent un discours de haine en utilisant des enfants. Nous ne pouvons l’accepter et poursuivrons devant les tribunaux celles et ceux qui participent à cette œuvre de négation de notre spécificité historique, de notre culture mahoraise distincte, de notre choix de rester Français et de lutter pour rester libres.” C’est dire si la garde veille et que l’art ne doit pas froisser.

Et la jeunesse le sait. C’est pour cette raison que le talentueux et figure de proue de l’audiovisuel à Mayotte Naftal-Dylan Soibri a choisi de préférer l’humour potache à travers sa dernière création autoproduite FBI Mayotte. “Avec l’équipe, on s’est dit qu’il n’y avait pas vraiment de série à Mayotte. On avait fait Wassi l’année dernière, qui avait été diffusée sur Mayotte la 1ère, puis on s’est rendu compte que les Mahorais préféraient l’humour”, considère le jeune réalisateur, revenu à Mayotte après un BTS et une formation de cinéma à Paris. “Sur place, on a les compétences, les moyens techniques, les techniciens et beaucoup de talent. C’est aussi une façon de redorer l’image de Mayotte au-delà de la délinquance et de la violence. J’espère que tout cela va permettre de créer des vocations !”, s’enthousiasme-t-il. Loin du plus dramatique destin de Mo.

Texte de Grégoire Mérot
Photos de Marion Joly