"Fascinant, original, très recherché "… ce sont les mots des spectateurs suite aux défilés de Natural Tribal. Dérangeant aussi, car le groupe ne fait pas les parades du carnaval de Guyane dans le but de remporter des prix. Ce qui compte pour Natural Tribal c’est de marquer les esprits, faire passer des messages et alerter le public guyanais tout en lui offrant un beau spectacle.

Nous sommes allés à la rencontre de ce groupe de carnaval hors-norme et nous avons essayé de comprendre son organisation, son fonctionnement et ses motivations. Natural Tribal n’existerait pas sans son fondateur Tony Riga. Mais qui est ce personnage emblématique, acteur désormais incontournable du carnaval guyanais ? L’entretien qu’il nous a accordé nous permet de vous faire découvrir comment, à partir du génie créateur d’un seul homme, le groupe Natural Tribal est devenu si fameux aujourd’hui.

Tony Riga est un enfant de la Guyane, il y a grandit et s’est nourri de sa richesse et de sa diversité. Après une scolarisation classique à Cayenne, Tony se lance dans un CAP menuiserie avec un goût déjà très prononcé pour le travail manuel et la création artistique. Il fait très rapidement ses preuves et la singularité de ses œuvres attire l’attention. Tony se lance dans la vie active en réalisant des commandes d’agencement de cuisines et de chambres à coucher en Guyane. En 1990, le jeune créateur guyanais décide de partir à la conquête de la capitale métropolitaine. A Paris, plusieurs grandes maisons telles que Chanel, France telecom ou encore EDF font appel à ses services pour l’agencement de leurs locaux. A partir de 1994 il entre au centre Pompidou pour la création d’une exposition. Il y réalisera plusieurs travaux en free-lance jusqu’en 2002 date à laquelle il est embauché comme régisseur encadreur pour les œuvres du centre, poste qu’il occupe toujours actuellement. Durant ce temps, Tony expérimente plusieurs domaines artistiques tels que la peinture et la sculpture mais aussi la création de vêtements dans lequel il trouve son épanouissement.

Toutefois, la Guyane est à Tony ce que la muse est au poète et bien que sa vie se déroule en métropole, son cœur est attaché à sa terre natale. Aussi dès 1998, Tony décide de mettre son talent au service des guyanais et fait son entrée sur la scène du carnaval. À partir de cette première participation, il fait preuve d’une créativité visionnaire et remporte le prix du costume le plus original en présentant « le guerrier du  futur ».
« Au début j’étais tout seul, et puis j’ai demandé à quelques potes de défiler avec moi, nous étions 3, et de 3 nous sommes passé à 25 en 1999, de 25 à 67 en 2008 et de 67 à une centaine en 2010. »
Il crée l’association Natural Tribal en 2001, celle-ci a d’emblée une vocation artistique et environnementale et puise son inspiration à la source des civilisations premières et de la nature. L’originalité et la beauté des spectacles présentés par le groupe le rendent rapidement populaire et par deux fois il est sélectionné pour faire le roi Vaval (2001 et 2010), pierre angulaire du carnaval guyanais.

Engagés protecteurs de la nature, les tribaliens puisent leurs matières premières en récupérant tous déchets sauvages tant naturels qu’industriels. A l’instar de Tony qui « part en forêt, sélectionne, regarde les feuilles bouger et évoluer et prélève dans ce panel avec l’idée du costume », la tribu imite ces gestes et collecte par la même occasion les déchets humains laissés ça et là. « Une fois tout cela récolté, séché ou autre, la féerie se met en place, je mets en vie tout ce que je touche. » Et c’est bien grâce à l’inspiration de cet artiste visionnaire que la tribu arrive à présenter chaque année un spectacle qui laisse rêveur et qui rallie toujours plus de nouveaux adeptes. Tout défilé organisé par Natural Tribal raconte une histoire sur la Guyane et le monde actuel en dénonçant le monde consumériste. La tribu démontre lors de ses parades qu’il n’est nul besoin d’acheter pour créer, il suffit de ramasser, le bon comme le mauvais que nous trouvons autour de nous. Chacun s’enduit le corps de glaise, mais cette terre de Guyane n’est pas sale, nous dit Tony, « les ordures, ce sont nos ordures et si on ne veut pas avoir des ordures il ne faut pas les laisser dans la nature. Je ne peux pas m’amuser alors que ma nature est salie, le carnaval est aussi fait pour dénoncer les choses. »
Chaque adhérent à l’association partage ces préoccupations. Sous l’impulsion de Tony le groupe rassemble chaque année de nouveaux acteurs qui viennent enrichir de leurs tempéraments Natural Tribal. Chaque tribalien se reconnait enfant de la nature et peut donner libre court à son aptitude créatrice.

L’engagement de Natural tribal pour la défense de la nature ne se limite pas à la seule saison carnavalesque. Depuis 2009, le groupe participe à plusieurs manifestations valorisant les déchets, le recyclage et l’environnement avec des groupes comme l’ADEME et la Sepanguy. En parallèle, l’association a aussi pour objet la promotion et l’encouragement à la créativité. Pour ce faire, elle met à disposition son local pour la création d’ateliers à vocation artistique et culturelle. Natural tribal participe aussi à des spectacles de scène comme dernièrement l’Opéra Amazonia. Aujourd’hui Natural Tribal n’est plus uniquement un groupe de carnaval, il s’agit bien d’une organisation culturelle engagée, à vocation artistique et environnementale.

Petit tour dans la ruche

A l’intérieur des murs du nouveau local Natural Tribal se cache une sorte de ruche. Pendant carnaval, la tribu s’active avec frénésie pour préparer le défilé. Certains déchargent des tas de végétaux fraichement ramassés non loin de là, d’autres ramènent des matières un peu moins naturelles (ferrailles, plastiques, cartons, tissus…) récoltées chez eux, au bord des routes, dans des décharges sauvages, à la déchetterie. Tout va servir, à Natural tribal rien ne se perd. Sous l’œil avisé et critique de Tony, Gérard (Président) et Patrick (vice-président), chacun réalise son costume, s’affaire à aider son voisin, regarde un costume en cours de réalisation qu’il va falloir retoucher pour la énième fois parce qu’il ne correspond pas encore au modèle qui sort de l’imagination de Tony. Tout ce petit monde grouille dans une ambiance conviviale, ponctuée à l’occasion par les vibrations des djembés du groupe qui répète, des massues des jongleurs qui tournoient dans les hauteurs de la grande salle, des visiteurs curieux qui se hasardent de temps à autre, des journalistes venus faire une interview, des photographes qui profitent du lieu et des sujets, des associations protectrices de l’environnement qui sont de plus en plus demandeuses des créations tribaliennes, des artistes guyanais, intermittents du spectacles qui sollicitent l’association et le génie de Tony pour l’intégrer à leur spectacle. Tout prend forme, la magie s’opère et un monde féerique sort du chaos qui donne l’impression de régner au premier coup d’œil. Le résultat global ne se verra qu’à la dernière minute, avant le défilé, lorsque chaque individu enfilera son costume, enduira son corps de terre, de charbon et de maquillage, et que la troupe s’élancera à l’assaut des rues, telle une tribu forestière étrange venue fièrement montrer ses atours.

2011, une saison particulière

Natural tribal se démarque lors des parades de rue par son originalité et sa créativité. Pour la saison 2011, la tribu a dû se plier au thème imposé par le comité carnavalesque : les personnages traditionnels du carnaval d’antan. Pas facile pour ce groupe atypique d’être contraint dans un thème prédéfini. Comment les tribaliens ont-ils réussi le pari de présenter les personnages traditionnels tout en conservant leur style ? C’est la question que nous avons essayé d’élucider lors de notre entretien avec Tony Riga.
Tony se souvient des émotions qu’il ressentait étant gamin lorsqu’il regardait passer le défilé.
L’envie de les faire revivre a nourri son imagination. Cependant, l’origine des personnages carnavalesques remonte à des temps anciens. Aussi il a fallu faire des recherches pour retrouver ces personnages, leurs caractéristiques et leurs significations. C’est ainsi que Tony a pris conscience de la grandeur de la tradition : « Elle est belle, elle est puissante, superbe et très riche » nous dit-il. S’imprégnant des particularités de chaque personnage, Tony et sa tribu en ont sélectionné quelques-uns et les ont revisités à la façon tribale. « Je voulais bouleverser la tradition tout en faisant que les guyanais retrouvent leurs dimensions dans mon travail. » Challenge donc, mais tradition ou pas, les costumes seront toujours réalisés à partir de la récupération. Dans la tête de Tony Riga, chaque accoutrement à réaliser est déjà conceptualisé, il reste à trouver les matériaux qui vont donner forme aux personnages et à rassembler tous les interlocuteurs participant à la confection. Tous les éléments issus de la récupération vont passer entre les mains des tribaliens jusqu’à trouver la bonne feuille, le bon bout de plastique, le bon morceau de férraille qui donnera vie à l’idée germée dans l’imagination de l’artiste. L’assemblage des matériaux les plus hétéroclites donnera finalement un résultat des plus surprenants. Et pas question pour Natural tribal de faire du conforme, les personnages sont repensés dans le but de faire passer un message ou d’accentuer une signification. Pour l’ensemble des ”tribaliens”:
« le carnaval est fait pour dénoncer les choses » et c’est bien ce qu’ils ont l’intention de faire. Pour faire rire, pour faire peur, pour faire en sorte que les gens se posent des questions, Natural Tribal veut susciter des émotions et des interrogations.
Toutefois, pour l’association, le carnaval de cette année a été un peu court et le groupe n’en a pas fini avec la tradition. C’est une source d’inspiration pour l’ensemble du groupe et il ne compte pas s’arrêter là. Il va falloir s’attendre à retrouver les personnages d’antan l’an prochain chez Natural tribal, et on attend ça avec impatience !

naturaltribal@hotmail.fr
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Contact : Gerard Désiré
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