Ce n’est pas un jour comme les autres ! Au cœur des temples de Guyane, règne une ambiance pour le moins particulière aujourd’hui en ce mercredi 27 mars 2013. Nous avons été invités à un événement culturel et religieux hindou, Holî (Phagwah), parfois connu sous le nom de « Fête des couleurs ».

Nous sommes allés au temple de Matoury (Sev Ashram Sangh), puis de Mont-Lucas (Shri Krishna). Suivez-nous dans notre découverte !
Arrivés au temple de Matoury vers midi, nous avons pu assister à la cérémonie et aux festivités. Mais écoutons tout d’abord M. Suresh, un des membres du temple de Matoury, qui a été notre guide et a accepté de répondre à nos questions : « Depuis quand célébrez-vous cette fête en Guyane ? Est-ce que la célébration de Holî a évolué ? Faut-il mettre du blanc pour ce jour ? Est-ce qu’il y a d’autres fêtes hindoues que vous célébrez aussi, ici, en Guyane ? »
« Nous avons commencé à fêter Holî en Guyane vers 1991. C’était la première fois que cette fête était organisée, ici, et cela dure depuis 22 ans, c’est-à -dire, tous les ans, jusqu’à maintenant. C’est une fête joyeuse, c’est tout heureux, et c’est vraiment de la couleur. C’est de la joie ! C’est une fête où l’on oublie tous les mauvais esprits, les mauvaises pensées. Pour ce qui est de son évolution, cela n’a pas beaucoup changé, on célèbre cette fête toujours selon les mêmes rituels. Par contre, vous pouvez porter n’importe quelle couleur. C’est juste qu’avec le blanc, cela fait plus ressortir les couleurs ! Et oui, bien sûr qu’il y a d’autres célébrations, par exemple le Diwali. »
Installés sur les tapis, face à l’autel recouvert de statues, nous nous sommes laissés imprégner par l’ambiance : les prières (havan) ont duré près de 45 minutes, et, à la fin, les fidèles ont chanté du « Chowtal », de la musique classique Hindoustanie. Ce sont des chants folkloriques, chantés par des amateurs pendant la Phagwah ou le festival Holî. Un peu d’histoire… Au cours des années 1845-1917, Chowtal était l’un des genres musicaux folkloriques transmis par les travailleurs sous contrat dans les Caraïbes (principalement Trinidad, la Guyane, la Jamaïque et le Suriname), et aussi les îles Fidji. En Chowtal, deux rangées de chanteurs s’affrontent (demi-cercle), avec un batteur « dholak » à une extrémité, en chantant des lignes de texte en hindi, en antiphonie. Les mélodies sont relativement simples, la chanson subit diverses modulations de rythme et de tempo, alternant entre passages discrets et climax excitant. Chowtal est généralement chanté par les amateurs pour leur propre plaisir, plutôt que pour un auditoire. « Chowtal » est en fait un terme générique pour le format, qui comprend divers sous-genres, comme le jhumar, ulara, lej, baiswara, dhamar, Rasiya, Kabir, jogira, et d’autres.
Le « duel » fini, tous ceux qui assistaient à la cérémonie sont allés dans les maisons des membres du temple qui avaient décidé de fêter Holî chez eux. Nous ne les avons pas suivis, car nous devions aller autre part…

En route pour le temple de Mont-Lucas !

Lorsque nous y sommes arrivés, à 14h, les prières avaient déjà commencé, nous sommes donc entrés dans le temple en silence, chut ! Durant le Chowtal, des personnes nous ont distribué des mets délicieux et nous ont aspergés de poudre et d’eau colorées. Nous en avions partout : sur les vêtements, les cheveux, le visage. Les enfants étaient particulièrement habiles avec leurs pistolets en plastique ! Tous sont ensuite partis dans le quartier, là où les gens les invitaient. Ils préparent les petites gourmandises puis les partagent avec les gens de leur entourage. La nuit tombée, la fête continue en famille.
Une journée bien remplie pour une fête qui dure en réalité deux jours, lors de la pleine lune du mois de Phâlguna qui se situe en février-mars. La nuit du 1er jour, un feu est allumé pour rappeler la crémation de Holîka. L’effigie d’Holika, un démon, est alors brûlée. Le bûcher symbolise la victoire du bien sur le mal et de la vérité sur le mensonge. Le deuxième jour, c’est le jour de la fête des couleurs, où les participants se déchaînent en s’aspergeant de poudres colorées (gulal).
Les couleurs des pigments ont une signification bien précise : rouge pour la joie et l’amour, bleu pour la vitalité, vert pour l’harmonie, orange pour l’optimisme.
Qu’est-ce que cela signifie et pourquoi ?
Comme toutes les fêtes hindoues, Holî (ou Holîka ou Holikotsava) trouve son origine dans une histoire de famille où les dieux jouent un rôle important. En l’occurrence, c’est Brahma et Vishnou qui, dans cet épisode, se disputent au travers de deux personnages : le démon Hiranyakashipu et son fils Prahlad. Vishnou est très mécontent car le frère d’Hiranyakashipu est un démon qui ne cesse d’importuner les dieux. Au cours d’une dispute, Vishnou tue cet importun et provoque la colère du grand frère, qui s’avère être un démon encore plus méchant que le défunt. Pour punir le dieu, il ordonne la mise à mort de tous ses dévots. Malheureusement pour lui, les pouvoirs de Vishnou sont supérieurs aux siens, et celui-ci parvient à protéger tous ses adorateurs. Afin de gagner en puissance, Hiranyakashipu s’astreint à des austérités et des pratiques draconiennes. Cela plaît au dieu Brahma qui, pour le récompenser, lui propose de réaliser un vœu. Hiranyakashipu lui répond qu’il ne veut mourir ni par la main d’un homme, ni par celui d’un animal, ni de jour ni de nuit, ni dehors ni à l’intérieur, ni sur terre ni au ciel.
Mais pendant que le démon est occupé à ses méditations, les dieux ravagent son royaume et élèvent son fils Prahlad dans l’adoration du dieu Vishnou. Lorsque Hiranyakashipu revient, il est furieux de voir que son propre fils l’a trahi et tente de le tuer. C’est sans compter sur Vishnou qui emploie la ruse pour vaincre définitivement le démon : il prend le corps d’un homme, mais une tête de lion (ni homme ni animal), attend le crépuscule (ni jour ni nuit) pour emporter Hiranyakashipu sur le seuil du palais (ni dehors ni dedans), et le tue en le tenant sur ses genoux (ni sur terre ni au ciel).
La tante de Prahlad, nommée Holîka, avait le don d’être insensible au feu. Voulant punir son neveu, elle le saisit pour l’emporter avec elle sur un bûcher. Mais Prahlad, appelant Vishnou à son secours, fut protégé par son dieu et ne subit aucune brûlure, alors que Holîka fut réduite en cendres. Sur le point de mourir, Holîka réalisa son erreur et demanda son pardon à Prahlad qui le lui accorda. La veille de Holi, durant la nuit de Phâlguna Purnima, les Hindous brûlent l’effigie de Holîka, tenant sur ses genoux son jeune frère. Ils choisissent des matériaux combustibles pour Holîka, et incombustibles pour Prahlad. Ce rituel célèbre la victoire de la foi sur les vanités de ce monde, vouées à la destruction.
Une autre tradition hindoue associe Krishna (un avatar de Vishnou) dans le rituel de Holi. L’histoire raconte que Krishna était jaloux du teint de lait de Radha, son épouse adorée. La mère de Krishna lui donna alors de la poudre de couleur pour en barbouiller sa tendre moitié et cacher son si joli teint. Dans le sud de l’Inde, les Hindous associent la fête de Holî au dieu Kamâ, le dieu de l’amour (le Kamâ du Kamâsutra), et des épisodes de la vie de Shiva et de son épouse Satî.
Cette fête des couleurs est célébrée en Guyane au cœur de la petite communauté hindoue dont l’histoire remonte au milieu du XIXe siècle. On considère qu’environ 1 400 000 Indiens ont alors été emmenés d’Inde vers les colonies françaises, britanniques et hollandaises comme travailleurs engagés. Parmi eux, plus de 530 000 ont pris la direction de la Caraïbe, des Guyanes à la Jamaïque, sans oublier Trinidad et les Petites Antilles. En effet, la fin de l’esclavage, qui représente près de 13 000 personnes sur les 19 000 habitants de la Guyane, a eu pour conséquence immédiate le départ de la main-d’œuvre servile hors des plantations et l’effondrement de l’économie de la Guyane. Pour pallier le manque de main-d’œuvre, Napoléon III décide, en 1852, de mettre en place la déportation des forçats vers la Guyane, envoyés jusque là en Nouvelle- Calédonie. Parallèlement, pour pallier l’affranchissement des Noirs, des coolies originaires des Indes et de Chine sont recrutés sous contrat à partir de 1853.
C’est donc depuis le milieu du XIXe siècle que l’hindouisme est présent sur le plateau des Guyanes. La communauté de Guyane française est largement originaire du Suriname et du Guyana, pays dans lesquels les Hindous sont très présents et où la fête de Hôli fait partie des jours fériés. Les Hindous forment dans le monde la troisième communauté religieuse après les chrétiens et les musulmans. L’hindouisme est aujourd’hui une religion d’environ 800 millions de personnes dont 99 % se trouvent en Asie et principalement en Inde bien sûr, où les hindouistes représentent 78 % de la population.
Les caractéristiques de l’hindouisme nous dévoilent une religion qui, contrairement aux apparences, peut être qualifiée de monothéiste :
Un Être suprême. La principale caractéristique est la croyance en un Être suprême, principe cosmique, éternel et infini, fondement de toute chose
La triade. Les hindouistes pensent que l’âme universelle prend trois formes qui sont complémentaires : Brahma (principe créateur), Vishnu (principe conservateur) et Shiva (principe destructeur et force vitale divine, le linga).
Des avatars complémentaires. Dans les différents courants de l’hindouisme, les croyants sont adeptes d’un dieu qu’ils considèrent comme la divinité principale et dont les autres dieux ne sont que des avatars y compris ceux du sexe opposé. Là encore, on retrouve l’idée d’une entité unique.
Certains d’entre eux se retrouvent dans les temples de Matoury et de Mont-Lucas, sous forme de statues aux couleurs chatoyantes. Par contre, les différences de caste n’existent plus en Guyane : tous les membres de la communauté hindoue sont sur un pied d’égalité au sein de leurs temples.
Holi est une fête qui a des allures de liesse populaire dans les régions où elle est célébrée en Inde. C’est l’une des rares occasions où toutes les castes descendent ensemble pour s’amuser dans la rue, se jetant à la figure des litres d’eau et de poudre de toutes les couleurs. Elle constitue une belle journée de fraternité. « Bura na mano, Holî hai » (« Ne soyez pas fâché, c’est la fête de Holî «, en hindi) et Shubh Holi (Joyeux Holi).

Texte et photos par BADAL Rekah , CHIM Stéphane , DESSABLES Aurélie , DRANEBOIS Dayana , ERASTE Aïcha , FLAMANT Gregory , PERSAUD Jessica , de seconde I du lycée polyvalent Melkior-Garré à Cayenne , professeur Catherine Clément.