La plus jeune des religions de la Réunion a désormais son premier temple dans le sud de l’île. Après quatre ans de travaux, la lignée Nyingmapa, guidée par Do Khyentsé Rinpoché, vient d’accueillir le grand maître du couple royal du Bouthan pour inaugurer “ la montagne auspicieuse ”.

Par ici on termine l’impression des drapeaux à prières colorés avant de les suspendre sur le chemin d’arrivée, par-là ce sont les dernières retouches de peinture sur les frontons sculptés. Dans le magnifique temple rouge écarlate, en ce mois d’août 2019, tout le monde s’affaire avant l’inauguration. L’association Takchen Tcheulang Tsokpa vient de consacrer presque quatre années à la construction du premier temple bouddhiste sur l’île de la Réunion, imaginé dans le plus grand respect de la tradition de l’Himalaya. C’est une étape importante pour Do Khyentsé Rinpoché, “ grand maître précieux ” de la lignée Nyingmapa, une des huit que compte le bouddhisme actuel, et sa traductrice Tenpi Gyalmo. Onze ans qu’ils cheminent ensemble après leur rencontre au Népal. « J’étais arrivée depuis peu de temps de France pour commencer une retraite à vie. J’avais besoin de trouver un maître, car dans le bouddhisme tantrique, c’est la relation de maître à disciple qui est importante. Il nous est enseigné que si tu conçois ton maître comme un bouddha, tu reçois la bénédiction d’un bouddha » explique Tenpi. Né au Tibet en 1960, Do Khyentsé Rinpoché est le descendant d’une lignée de dix-sept grands lamas et de “ tertön ”, “ découvreurs de trésors spirituels ”. Depuis tout petit, les signes confirment sa destinée hors du commun. Alors que la région vit les heures noires de la Révolution chinoise, c’est en secret qu’il est envoyé chez un précepteur où va débuter son apprentissage auprès de nombreux maîtres. Après avoir été pèlerin nomade, il dirige le monastère de Nianlong pendant quatorze ans avant de voir arriver cette jeune Française avide d’enseignements.

Des montagnes tibétaines à la douceur de la Réunion

« C’est quand j’ai rencontré Do Khyentsé Rinpoché que le puzzle s’est assemblé avec tout ce que j’avais appris sur la foi, la dévotion et la compassion. Je voulais faire de la méditation, étudier et au lieu de cela, il m’a fait nettoyer des lampes et préparer des offrandes dans le froid pendant un an ! ». Elle s’imprègne de la vie quotidienne de son maître spirituel, une autre façon d’appréhender le dharma, l’enseignement bouddhique. C’est ainsi que Tenpi comprend l’importance du mérite dans le chemin de la transformation, signe distinctif des Nyingmapa par rapport à d’autres lignées moins traditionnelles.
En 2010, Do Khyentsé Rinpoché est invité à venir à la Réunion par une pratiquante qui suit le parcours de Tenpi. Alors qu’il ignore l’existence même de cette île, le maître acquiert très vite la conviction qu’elle est propice à la création d’un centre. « La Réunion est une terre extérieurement pacifiée, pure. L’île est belle, riche d’une végétation variée, harmonieuse et sans animaux dangereux. Accueilli dans les premiers temps dans un Ashram à Saint Louis, il constitue un petit groupe de pratiquants et la nécessité d’un lieu dédié se fait sentir », poursuit Tenpi. Le Piton Montvert dans la région de Saint-Pierre devient “ la montagne auspicieuse ” grâce aux dons des membres fondateurs de la communauté. Le temple en prendra le nom, traduit du tibétain.
Tenpi dessine le bâtiment, Do Khyentsé Rinpoché gère sa décoration. L’architecture, les décors et le moindre petit détail symbolisent et enseignent la spiritualité. On peut y reconnaître le Dalaï-lama, bouddha de la compassion, Tara la bouddha féminin, la libératrice, ou encore Siddhartha Gautama, bouddha historique à l’origine des enseignements.

La plus jeune des religions de la Réunion a désormais son premier temple dans le sud de l’île. Après quatre ans de travaux, la lignée Nyingmapa, guidée par Do Khyentsé Rinpoché, vient d’accueillir le grand maître du couple royal du Bouthan pour inaugurer “ la montagne auspicieuse ”.

Le destin d’un “ tulku ”

Dans le livre de prières dédié aux divinités déposé sur chacune des tablettes dans le temple avant l’inauguration, il est une page spéciale dédiée à Yeumdrouk Purba, “ le dragon turquoise ”, ce petit garçon de deux ans au destin particulier qui grandit dans le temple. « Dans la lignée Nyingmapa au Tibet, les maîtres sont quasiment tous mariés et ont des enfants. Ces derniers ne sont pas perçus comme des enfants ordinaires ». Le temple a déjà son futur tulku, la réincarnation d’un maître vénéré. Sa mère, Tenpi, est elle aussi reconnue au Tibet comme la réincarnation d’une dakini, divinité féminine du bouddhisme tantrique.
La cérémonie commence. Une haie de jeunes filles, des fleurs à la main, se forme, chaque invité prépare l’écharpe blanche pour la bénédiction de son éminence Zhiltrul Choni Rangshar Tang Rinpoché, maître spirituel du couple royal du Bhoutan, venu inaugurer le temple. À peine arrivé, il ne voit que de bons auspices, avec pas moins de sept arcs-en-ciel sur le parcours de l’aéroport. Sa visite est un évènement exceptionnel, avec plusieurs jours de festivités, de pratiques et d’enseignements.

Une “ unité dans la diversité ” particulière à cette île

À l’instar de la jeunesse du peuplement de l’île depuis 350 ans seulement, la religion bouddhiste s’est installée dans les années 90 environ avec une première lignée de bouddhisme zazen. Déjà terre de diversité culturelle et religieuse reconnue, l’île a accueilli différentes communautés bouddhistes au fil des années. On peut approcher aujourd’hui le nombre de pratiquants à plus de 300 personnes dans sept lignées différentes, parmi lesquelles la lignée kagyu d’Inde, la Japonaise Sãka Gakka et différentes lignées du bouddhisme zen. « Même si les quatre dogmes de vérité du bouddhisme sont les mêmes pour tout le monde, les portes d’entrée sont différentes selon les lignées » explique le moine réunionnais bouddhiste zen soto Ti Z To Zanmaï. Le curseur varie d’une communauté à l’autre entre une vision plus ou moins philosophique. La question centrale de la pratique varie, elle, de la méditation à l’accumulation de mérites selon la tradition la plus authentique. « Pour autant, la volonté de créer une union bouddhiste à la Réunion est perceptible. Chaque année, nous fêtons ensemble le Wesak, la fête du Bouddha, en intégrant à la fois la découverte des différentes lignées et une pratique d’enseignements commune à tous .»
Alors que la recherche du bonheur et des solutions à la souffrance sont des questions actuelles dans la société, le bouddhisme prend ces dernières années beaucoup d’ampleur sur l’île multiculturelle et cultuelle de la Réunion comme en Europe. Cette tendance donne à réfléchir aux communautés sur la question de l’accès à la religion pour ces nouvelles recrues et du renouvellement des formes de pratiques. Une question à laquelle toutes les communautés sur place cherchent la réponse au quotidien.

Texte et photos : Nathalie Vindevogel et Marie Manecy

Nathalie Vindevogel est réalisatrice et productrice depuis 2012. Installée sur l’île de la Réunion depuis 2007, elle compte plusieurs documentaires sur la thématique des rituels profanes et sacrés.

Marie Manecy est photographe et auteur depuis 2012 après avoir été pigiste dans les années 90 à 2000. Elle travaille en photographie documentaire à la Réunion et en portrait.