Le sanpula est le tambour traditionnel kali’na. Présent dans tous les foyers il y a encore quelques décennies, il tendait à disparaître de Awala-Yalimapo au début des années 2000. Mais après le crépuscule des tambours vint la Nuit du Sanpula.

Kiyapane, Victor Kilinan, Nasja Lando… Awala est le village de grands wale yopotolɨ. Ces leaders des formations de tambour qui donnent le tempo et lancent, pendant toute une nuit, les chants repris ensuite par l’ensemble du groupe. Pourtant cette musique disparaissait lentement de la commune. Il ne restait plus que quelques tambours et seuls de rares anciens savaient encore les fabriquer. Les chants se perdaient et n’étaient plus connus que d’un petit nombre de personnes. Ipakanamon, le seul groupe à jouer régulièrement du tambour traditionnel, avait cessé son activité.
Or, le sanpula est un élément essentiel des cérémonies liées au deuil (voir encadré), qui sont au cœur de l’identité kali’na. À Awala-Yalimapo, les autorités coutumières et certaines grandes familles avaient œuvré à faire revivre ces cérémonies traditionnelles. Lors de ces évènements, il devenait nécessaire de faire venir des chanteurs et des tambours des autres villages amérindiens du territoire, comme Paddock ou Galibi. Car à cette même période, au Suriname, des groupes de sanpula jouaient régulièrement et enregistraient des disques. La musique de ces formations, comme Paremuru ou Mutusji, était écoutée et appréciée à Awala-Yalimapo. Face à cette situation, certains élus décident en 2010 de monter un programme afin de “ sauver ” les sanpula sur la commune. Ce projet comprend la création d’une école de tambour et de danse, appelée Yuwae, la fabrication de sanpula et le lancement d’une soirée musicale : la Nuit du Sanpula.

Pour le son du tambour

Décréter la Nuit du Sanpula n’est pas difficile. Encore faut-il trouver des groupes pour jouer lors de cette manifestation. Un travail de persuasion commence alors pour motiver les habitants de la commune à rassembler les quelques tambours restants, créer des groupes et s’entraîner pour la première Nuit du Sanpula. Elvis Toka se rappelle très bien de cette période : « Comme j’avais deux sanpula, Félix Tiouka est venu me voir trois fois pour que je fasse un groupe de tambours. Au début j’ai hésité. Mais j’ai trouvé que c’était une bonne idée. Alors j’ai contacté Roger Kajirale qui avait déjà joué avec le groupe Ipakanamon. Pendant une semaine, on a répété tous les deux. On a essayé de se rappeler les chants, de bien jouer le tambour. Quand on a été prêt, on a fait venir la famille de Roger ». Le groupe Ayawande était né.
À Yalimapo, Joseph Lieutenant était le dernier wale yopotolɨ. Il avait trois tambours et une bonne connaissance des chants. Son voisin, Victor Gipet, accompagnait les wale yopotolɨ lors des cérémonies traditionnelles. Ils proposent alors à quelques jeunes du village de monter un groupe. Plusieurs membres de la famille Mariwajoe les rejoignent. Ensemble, ils créent Palana Bonon. Pour Refino Mariwajoe c’est une découverte : « Pendant les cérémonies traditionnelles, je chantais en dansant, mais je n’avais jamais frappé le tambour ni été avec les chanteurs ». Aujourd’hui Refino est aussi appelé 2 000 watts, en référence à la puissance de son chant… mais les débuts n’ont pas été faciles : « La première fois qu’on a joué en public, c’était pour un epekotono. On chanté toute la nuit. C’était dur ! Le lendemain tout mon corps me faisait mal .»
Après quelques semaines d’entraînement c’est le grand soir, la première Nuit du Sanpula. Douze groupes dont une majorité de Awala-Yalimapo frappent le tambour et chantent toute la nuit. L’évènement est un succès. Les principales formations comme Ayawande et Palana Bonon sont rapidement demandées pour des prestations en Guyane mais aussi au Suriname, au Brésil ou aux Antilles. Ils enregistrent leur premier CD, et leur musique est jouée sur les radios locales. Les jeunes du village ont leurs morceaux dans leur smartphone et lors des anniversaires on danse au son des sanpula entre un titre de Bob Marley et une chanson de carnaval. L’objectif est atteint. Les sanpula revivent à Awala-Yalimapo… et réservent encore quelques surprises.

Les nouvelles vies des sanpula

En 2011, Palana Bonon et Ayawande sont en compétition lors du tremplin des Transamazoniennes à Saint-Laurent-du-Maroni. Ayawande innove. Alors que traditionnellement les wale yopotolɨ chantent derrière leur tambour, ils décident de positionner Roger, le leader vocal, seul devant. Sans instrument, il peut se déplacer, bouger, danser. Le résultat est plus festif… et Ayawande remporte le tremplin.

Ce concert marque un tournant pour le sanpula local. Jusqu’alors, les groupes de tambours jouaient avec les epekotono comme modèle. Après cette soirée il y aura deux types de représentation : les cérémonies traditionnelles et les concerts ou les fêtes. Comme le résume Sansho, « pour un epekotono on chante normalement. Mais sur le podium, c’est autre chose. Si on veut faire plaisir au public, il faut donner un peu de show ». Et donc changer les habitudes.
Historiquement, les groupes de tambours étaient uniquement masculins. Si ce fut encore le cas lors de la première Nuit du Sanpula, les femmes ont rapidement trouvé leur place. Shirley Brickman en témoigne : « Au début, on faisait juste les chœurs. Après, on a commencé à danser, à jouer des kalawasi ou des malaka. Pour certains spectacles on a aussi frappé le tambour ».
Avec le succès des groupes de sanpula germe vite une nouvelle idée : mélanger le tambour traditionnel à d’autres styles de musique. Différentes résidences d’artistes sont alors organisées afin de permettre aux groupes de sanpula de jouer avec des musiciens venus d’autres horizons. La fusion fonctionne. Au fil des années le sanpula rencontre le jazz, le reggae et même le djokan, un art martial guyanais.
Parmi ces expériences, l’une des plus belles réussites est probablement le groupe Dub’Ozone qui mélange les membres de Palana Bonon avec des musiciens jouant du reggae et du dub. Toutefois les disques, les clips et les concerts sont arrivés après un difficile apprentissage. En effet, lorsque l’on demande à Refino s’il avait déjà fait de la musique avant Palana Bonon, la réponse est claire: « Moi, c’était football ! Je n’avais jamais joué du tambour ou de la guitare ». Comme lui, les autres membres du groupe n’ont pas de formation musicale. Ils ont appris à jouer du sanpula et à chanter en suivant les anciens. Mais dans un groupe avec une guitare, une basse et des cuivres, il faut chanter dans la bonne tonalité. Si le morceau est en Do, il faut chanter en Do ou ça sonne faux. Garder le tempo ou s’insérer au bon moment n’est pas forcément plus aisé. Cela s’apprend et demande du temps. Alors ils travaillent et s’adaptent, comme lorsque le bassiste du groupe se mue en chorégraphe et danse d’un pied sur l’autre pour donner le tempo aux choristes.
Si les débuts ont été laborieux, le travail réalisé a porté ses fruits. Aujourd’hui, Rico Gaultier, saxophoniste professionnel et arrangeur du groupe savoure cette expérience : « C’est une musique de transe. C’est ça qui relie le sanpula et le reggae. Ensemble, ça crée un son nouveau qui génère beaucoup de vibrations, beaucoup d’énergie. Quand je passe ça à des musiciens à Paris ou à Londres, ça leur pète à la tête ».

Dans le sillage des sanpula

Lors de certaines cérémonies traditionnelles, les chants des hommes au sanpula alternent avec ceux des femmes au kalawasi (un sac tressé en roseau de waluma rempli de graines). Nombre de groupes de tambours ont intégré cet instrument dans leur formation. Il est parfois joué par les femmes mais également par les hommes, situation nouvelle pour les kali’na ayant donné lieu à quelques moqueries au début. Sur des morceaux, certains groupes utilisent aussi le malaka, instrument traditionnel des pɨiyai (shamane). Mais historiquement, l’instrument le plus fréquemment associé aux tambours était la flûte. Victor Gipet se rappelle ses débuts : « Avant, les grandes personnes jouaient de la flûte pour accompagner les sanpula. Alors pour le deuxième disque de Palana Bonon, on voulait faire un morceau avec la flûte. Je n’en n’avais jamais joué avant. J’ai pris la flûte d’école des enfants et j’ai essayé ». Et en studio cela a donné le titre introductif de l’album. Depuis, Victor joue régulièrement de la flûte avec le groupe, comme lors de la dernière Nuit du Sanpula. Le développement de groupes de sanpula a donc donné un nouveau souffle à l’ensemble des instruments traditionnels kali’na. Une prochaine étape sera peut-être la réhabilitation des kuwama, les flûtes de bambou traditionnelles.
L’impact des sanpula ne se limite pas à la musique. Dans les premiers temps, les groupes de tambours se présentaient souvent en jeans et T-shirt. Toutefois, au fur et à mesure des concerts, la question de la tenue vestimentaire s’est posée. Les premières évolutions sont restées timides : T-shirts floqués au nom du groupe et colliers en perles. Puis vint la période folklorique avec le retour du kalembe, le pagne traditionnel wayana, qu’aucun des membres du groupe n’avait jamais porté. Ces essais ont entraîné une dynamique riche autour des tenues traditionnelles kali’na conduisant à des créations originales et plutôt réussies. Sur scène, les costumes sont devenus une partie intégrante du spectacle. Les ankɨsa, positionnés en cape ou à la ceinture, et les saya, robes des femmes, comportant de nombreuses franges de coton blanc et des pompons colorés qui se balancent au rythme du mouvement des danseurs. Avec l’augmentation du nombre de concerts, les occasions de danser en tenue traditionnelle se sont multipliées, motivant ainsi le public et les danseurs à renouveler leur garde-robe.
Accompagnant cette évolution, la dernière Nuit du Sanpula a été précédée d’une soirée de défilé en tenue traditionnelle et parure de perles. Mêlant tradition kali’na, association avec des vêtements plus modernes, emprunts aux Amérindiens d’Amérique du Nord et créativité personnelle, les couturières de la commune se transforment en stylistes. Avec un peu d’appréhension le soir du défilé, mais surtout plaisir et talent.

Tradition et création

Le succès de la Nuit du Sanpula a donc dépassé ses espérances initiales. De nouveaux tambours sont fabriqués, de nouveaux chants sont écrits et lors des epeketono, les groupes se succèdent pendant trois jours et deux nuits. Ce succès dépasse même les frontières de la commune puisque aujourd’hui des groupes de sanpula ont été créés dans la plupart des villages kali’na de Guyane.
Si le “ sauvetage ” du sanpula fait l’unanimité, les libertés prises avec les coutumes ne sont pas du goût de tout le monde. Certains anciens notamment rappellent leur souhait de conserver les traditions. Daniel William, chef coutumier de Yalimapo, souligne ainsi que les malaka sont des instruments de pɨiyai : « Ce n’est pas juste pour faire de la musique. Il faut les respecter. Tout le monde n’a pas le droit d’en jouer ». De même, pour lui, « certains chants sont sacrés. Ils doivent être joués à un moment précis, lors des cérémonies traditionnelles. Pas pour faire la fête ».
Soucieux de préserver les traditions, les groupes de sanpula essaient de trouver un équilibre entre leur culture ancestrale et leur soif de création. Ainsi, s’ils peuvent être rémunérés pour les concerts, lors des epekotono les groupes de tambours se déplacent et jouent gratuitement pendant toute la nuit. Et lorsque l’on demande à Shirley quel type de représentation elle préfère, elle répond tout naturellement : « Les deux ».

Texte Johan Chevalier & Daniel François
Photos Johan Chevalier

Les principales cérémonies traditionnelles kali’na sont liées au deuil. La première est la veillée, au cours de laquelle les femmes jouent des kalawasi, en chantant et en dansant autour du corps du défunt. La deuxième est omakano, la prise de deuil. Celle-ci dure deux jours et se déroule dans l’année suivant le décès. Les chants des femmes aux kalawasi alternent avec ceux des hommes au sanpula. La plus importante des cérémonies est epekotono, ou coupé-deuil, qui se déroule généralement deux à trois ans après le décès. Au premier jour, les membres de la famille du défunt reçoivent les peintures corporelles. Ensuite débutent trois jours de danse au son des sanpula entrecoupés, le premier jour, de chants des femmes aux kalawasi. À l’aube du deuxième jour, les membres de la famille dansent autour des habits enflammés du défunt, puis vont se baigner en mer afin de se purifier. Ensuite, assis sur un mule, banc sculpté zoomorphe, leurs cheveux sont coupés, puis ils sont habillés de leurs plus belles parures. Le premier chant du matin annonce alors la levée de deuil. Les danses reprennent ensuite jusqu’à ce que le kasili, la bière de manioc, soit terminé.