Dans une Guyane multilingue, des enfants plurilingues

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Les cartes représentant la diversité linguistique dans les territoires ultramarins comme la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie représentent généralement des langues associées à des zones linguistiques distinctes bien identifiées. Or, les enquêtes sociolinguistiques réalisées en Guyane ces vingt dernières années mettent à mal l’idée d’une mosaïque de communautés linguistiques étanches. Les territoires sont multilingues et les habitants sont plurilingues, passant d’une langue à l’autre en fonction des interlocuteurs et des situations ou les mêlant au quotidien.

Les langues pratiquées en famille, pendant la petite enfance, se répartissent en une quarantaine de langues, dans les proportions présentées ici chez des enfants scolarisés d’une dizaine d’années. 40 % des élèves d’une dizaine d’années parlent au moins 3 langues. Dans la famille, dans la rue, au contact des voisins et des camarades, lors de visites aux anciens ou de déplacements, ils développent des répertoires linguistiques riches. Si le français est présent dans tous les répertoires des élèves (comme on le voit sur l’histogramme), c’est en raison de l’école puisque les 2/3 des enfants ne le parlent pas avant d’être scolarisés. Le rapport entre langues de première socialisation (L1) et langues acquises ensuite (L2-L3) donne des indications sur la propension des langues à être appropriées en dehors des communautés linguistiques d’origine. En Guyane, c’est actuellement le cas notamment du français, du créole, du nengee, du sranan et du portugais.
Texte d’Isabelle Léglise.

Infographie : Source : Isabelle Léglise – Réalisation : Cyrille Suss, extrait de l’Atlas Critique de la Guyane (à paraitre en 2020 aux Éd. CNRS)01_Ch08_Leglise_GuyaneAtlasCritiqueB

29 langues vernaculaires kanak en Nouvelle-CalédonieKanak_langue

La Nouvelle-Calédonie répertorie 29 langues vernaculaires parlées au sein de la communauté kanak, réparties en huit aires linguistiques. Selon un recensement effectué par l’ISEE en 2014, on estime que 4/5 des Kanaks parlent une langue kanak, soit un tiers de la population de Nouvelle-Calédonie.

Les langues kanak sont enseignées dès l’école maternelle, 4 langues sont reconnues au baccalauréat, et les institutions provinciales et l’Académie des langues kanak jouent un rôle important dans leur promotion et leur développement.

Le français reste cependant la seule langue véhiculaire, ainsi que la langue officielle parlée, lue et écrite par 97 % de la population calédonienne de 14 ans et plus. Les autres langues parlées sont soit issues des migrations récentes et proches (tahitien, wallisien, futunien), soit liées à l’histoire de la colonisation ou à des migrations plus lointaines (vietnamien, javanais, mandarin, cantonais, anglais).
Si l’ISEE a effectué un recensement récent et précis des différentes langues kanak en 2014, ces autres langues n’ont pas été évaluées de manière quantitative. Les chiffres actuels de l’ISEE répertorient uniquement le nombre d’habitants par communauté, ce qui n’implique pas une pratique systématique de la langue maternelle de leur membre.
Les données linguistiques présentées dans l’infographie sur ces autres langues ont pour référence une étude plus ancienne et sont présentées dans l’attente d’être actualisées.

A Mayotte, shimaore ou comorien ?

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Les données concernant la pratique des langues en France sont à relativiser au regard de divers paramètres : l’objectif davantage qualitatif que quantitatif des travaux des chercheurs, ou encore la statistique publique plutôt axéee sur la maîtrise du français que sur le multilinguisme.
Pour Mayotte, il est intéressant de noter que les linguistes travaillent plutôt, jusque dans les années 1980, sur les variétés du “ comorien ” (comorien d’Anjouan, de Grande-Comore etc.).
Le processus de départementalisation semble avoir induit un changement de dénomination des langues dans ces enquêtes, où on utilise le seul terme “ shimaore “, nom local du comorien, en lieu et place du “ comorien ”, alors que les autres langues comoriennes sont également parlées à Mayotte. De même, les chiffres ne précisent pas l’origine du “créole ” qui peut être réunionnais, mauricien…
Il faut noter également que le plurilinguisme des habitant.e.s n’apparait pas dans les enquêtes. Par exemple, les locuteurs et locutrices du kibushi seront vraisemblablement bilingues (avec le shimaore), voire trilingues (en ajoutant le français).
Texte de Valelia Muni Toke (IRD, SeDyL)
Infographie Atelier Aymara