Guillaume Lorin WPour son premier court-métrage d’animation, le réalisateur antillais Guillaume Lorin sublime les femmes et les mythes de son île natale. Sorti le 2 février, Vanille, une petite Parisienne, part à la découverte de ses racines en Guadeloupe. Ce joli conte, qui explore la délicate question de l’identité, a été primé de nombreuses fois, notamment au festival international du film pour enfants de New York puis au festival international d’animation d’Annecy. 

« Vanille » est votre tout premier film, comment vous est venue l’idée de ce dessin animé ?

« Vanille », c’est l’histoire d’une petite métisse qui vit à Paris et qui part pour la première fois en vacances en Guadeloupe, d’où est originaire sa maman. Or elle n’a pas du tout envie d’y aller, mais en arrivant là-bas, elle rencontre sa tante Frédérique, et plusieurs personnes de l’île, qui vont lui plaire et la charmer. Sauf que le soir de son arrivée, une créature mystérieuse vole les cheveux des femmes et Vanille sera la seule à pouvoir les sauver. Pour mon premier moyen-métrage, je voulais parler de mon île natale, de l’importante question de l’identité et des mythes antillais. Quand j’étais enfant, ma mère me racontait l’histoire du Soukougnan, j’adorais ce mythe, j’ai donc voulu le raconter de façon moderne.

De qui vous êtes-vous inspiré pour créer le personnage de la petite Vanille ?

Je voulais un personnage féminin avec un fort caractère. J’ai grandi dans une famille matriarcale, c’est ma mère qui nous a élevés. Mon père était présent mais, comme c’est souvent le cas aux Antilles, ma maman tenait le foyer. On peut dire que parmi toutes les figures féminines de ce dessin animé, il y a un peu de moi, de ma sœur, de ma mère, de mes tantes et un peu d’Aurore Auguste, qui a signé la majorité des dialogues. Je me suis inspiré des femmes avec lesquelles j’ai grandi pour leur rendre hommage et les remercier de m’avoir élevé. Par exemple, la chevelure occupe une place centrale dans l’histoire. La petite Vanille a un problème avec son identité, notamment avec ses cheveux qu’elle n’aime pas du tout. Dans la culture antillaise, les cheveux sont très importants. Autour de moi, dans ma famille, je côtoie de nombreuses femmes qui portent des perruques ou qui dénaturent leurs cheveux pour pouvoir ressembler aux canons de beauté omniprésents. Lorsque mes petites-cousines m’ont dit qu’elles se trouvaient laides avec leur chevelure, j’ai trouvé ça insupportable. J’espère qu’avec ce dessin animé, les petites filles et les femmes prendront conscience de la beauté de leur chevelure.
Pourquoi les cheveux occupent une place si importante dans la question de l’identité ?
Lorsque les esclaves ont été amenés sur les îles et dans les colonies, on leur rasait la tête car la chevelure permettait d’identifier la tribu d’où ils venaient. Or, pour mettre des personnes en esclavage, il faut leur enlever toute sensation d’identité et d’individualité afin qu’ils se mettent au service de l’esclavagiste. Ce n’est pas anodin. Aujourd’hui, on voit que dans les anciennes colonies, les gens ont un problème avec leurs cheveux et la représentation qui en découle. Tous les bijoux, décorations, apparats sont très importants dans ces territoires car c’est un moyen de se réapproprier son identité.

Vous pointez les différences marquantes entre Paris et la Guadeloupe : l’accent, la nourriture, le paysage. Pourquoi mettre en avant ces spécificités ?

Je voulais que ces éléments, qui constituent l’île, soient très présents dans le film et j’ai dû batailler pour cela. Je voulais aussi m’éloigner des clichés, ne pas montrer seulement la plage et le côté exotique mais plutôt les endroits où mon père m’amenait quand j’étais enfant. La présence de la langue créole dans le dessin animé a été un de mes combats. France Télévisions avait peur que certains enfants passent à côté d’informations importantes puisqu’ils ne comprennent pas le créole. On a fait en sorte que dans chaque séquence, ce qui est dit en créole, est répété ou complété en français mais je ne voulais surtout pas que ce soit traduit. C’était essentiel pour rendre hommage à mon île mais aussi parce que Vanille, elle non plus, ne comprend pas le créole.

À l’image de votre personnage, vous êtes métisse. Est-ce difficile de se construire avec l’ambivalence qu’entraîne cette double culture ?

Ce que nous avons en commun avec Vanille, c’est la double culture, le métissage. Ma mère est guadeloupéenne et mon père normand, ils se sont rencontrés lors de leurs études à Paris. Je suis né et j’ai grandi en Guadeloupe. À 17 ans, lorsque j’ai quitté les Antilles pour faire mes études à Paris, j’ai vécu un réel déchirement avec ma culture. C’était difficile de vivre entouré de personnes qui ne connaissaient rien à propos de mon île, et qui, parfois, regardent notre culture avec dédain ou infériorité. Après mes études, j’ai dû rentrer à la maison pour me retrouver et me ressourcer.
Vanille, elle, est née à Paris et a perdu sa maman très tôt. Moi, j’ai grandi avec les deux cultures et je pense que c’est plutôt une force. Évidemment, on se sent parfois tiraillé. Plus jeune, lorsque j’étais dans un environnement plutôt noir, j’étais vu par les autres comme un chaben [Individu ayant la peau claire mais des traits africains, issus de parents antillais ou guyanais, avec parfois des yeux ou cheveux clairs], une personne qui ne peut pas totalement les comprendre, ce qui peut-être était vrai. À l’inverse, quand j’étais dans un milieu majoritairement blanc, j’étais parfois le foncé de peau, donc pas complètement inclus. Aujourd’hui, je ne ressens plus cette différence mais plus jeune, ça a pu être un problème.

Y a-t-il selon vous suffisamment d’héroïnes ou de héros originaires des Outremer ?

Pas vraiment, mais quand on est enfant, on est capable de s’identifier à beaucoup de choses, même à une chaussure dans Toy Story (rires). Avec Vanille, j’ai eu envie de montrer des petits enfants issus des territoires ultramarins et d’en faire les héros, cette fois-ci et non des personnages secondaires. Le manque de représentativité d’une partie de la population dans les dessins animés s’explique, en partie, par la difficulté à recueillir de l’argent lorsqu’on est réalisateur. On m’a souvent reproché, par exemple, d’être trop proche du sujet pour pouvoir en parler avec le recul nécessaire ou même que c’était trop réducteur et que le film ne parlerait qu’aux Antillais. Je ne suis pas le seul dans cette situation, beaucoup d’amis réalisateurs et réalisatrices ultramarins ont été confrontés aux mêmes réticences. On est assez sidérés de voir que, dès qu’un film parle de la Guadeloupe, de la Martinique ou de la Guyane, il est considéré comme communautariste, c’est vraiment énervant. Au cinéma et à la télévision, on voit beaucoup la culture dominante blanche, c’est très rare de voir des personnages racisés sur les écrans. Mais c’est en train d’évoluer, Vanille est la preuve que l’on peut s’identifier à tout type de culture. C’est à nous, les auteurs, de proposer des films autour de nos traditions et de nos territoires, de ne pas lâcher et de ne surtout pas trahir nos origines.

Propos recueillis par Marion Durand

llustrations Folimage / Nadasdy Film 2020.