Il y a près de trois siècles, un navire négrier hollandais faisant cap sur Paramaribo, s’abimait dans l’estuaire du Maroni, causant la mort de près de 680 captifs, abandonnés par l’équipage et pris au piège dans l’entrepont. Une équipe franco hollandaise tente de retrouver l’épave du navire depuis 2019, et de reconstituer la tragédie.

Le Leusden : un navire de la Westindische Compagnie

Construit à Amsterdam en 1718, aussitôt affecté au commerce négrier, le slavenschip (navire négrier) Leusden a effectué en près de vingt années d’itinérances maritimes pas moins de dix voyages transatlantiques pour le compte de la Westindische Compagnie, ou WIC, la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Créée en juin 1621 sur le modèle caméral de la célèbre Vereenigde Oostindische Compagnie, ou VOC, menacée de banqueroute et dissoute en avril 1674 avant d’être restaurée en septembre de la même année, la WIC a joué tout au long de son histoire et jusqu’à la cessation de ses activités en décembre 1791 un rôle non négligeable dans l’histoire des échanges maritimes entre les deux rives de l’Atlantique. Après s’être emparée ou avoir établi au cours du XVIIe siècle nombre de comptoirs des deux côtés de l’océan, notamment à Elmina, dans l’actuel Ghana, et dans les Antilles aujourd’hui néerlandaises, au Suriname et au Guyana, la WIC, à laquelle les Etats-Généraux des Provinces-Unies avaient accordé un monopole commercial sur la côte ouest de l’Afrique et dans les îles sous le vent, a notamment contribué, aux côtés de bien d’autres entreprises européennes, à la généralisation du commerce atlantique occidental des esclaves africains. C’est, de fait, entre le port d’Elmina et le Suriname que le Leusden allait connaître en janvier 1738, au cours de son dixième et dernier voyage, son tragique destin.
Affrété par la chambre de Groningen auprès de la chambre d’Amsterdam pour accomplir un voyage négrier, le Leusden, après avoir bénéficié durant le second semestre 1736 d’une rapide remise en état, fut confié au capitaine Lodewijksz, un marin déjà recruté pour semblable voyage par la chambre d’Amsterdam de la WIC. Assuré pour un montant de 10 000 florins pour la coque du navire et 40 000 florins pour les biens transportés, le Leusden appareilla du Texel le 17 mars 1737 et parvint à Elmina le 11 mai suivant, après un voyage de 62 jours qui avait occasionné quelques pertes en vies humaines au sein de l’équipage. Le directeur général de la WIC à Elmina, Martinus François des Bordes, qui venait juste de livrer une cargaison de 250 captifs sur le Duijnvliet, un négrier de la WIC que Lodewijksz avait précédemment commandé, dut s’avouer dans l’incapacité d’approvisionner les 750 esclaves africains que le Leusden se proposait d’embarquer. Aussi, il fit voile à bord du Leusden pour Accra, actuelle capitale du Ghana, afin d’y trouver la cargaison recherchée. En vain et c’est seulement avec 200 captifs en cale que le Leusden revint à Elmina où il dut demeurer plusieurs mois au mouillage en attendant un complément de fret humain à transporter. Dans l’intervalle, le décès du capitaine Lodewijksz, le 11 septembre 1737, amena la compagnie à recruter sur place un nouveau capitaine et c’est Jochem Outjes, un marin expérimenté d’origine suédoise, qui fut appointé le 16 septembre. Ce fait est relaté le 4 octobre 1737 dans une lettre adressée par des Bordes aux Dix Messieurs, le comité marchand qui dirigeait la compagnie. L’on y apprend à cette occasion que ce sont désormais 600 esclaves qui patientent dans les cales du Leusden, signe que l’approvisionnement humain demeurait difficile à Elmina ; soit que le trafic d’esclaves ait traversé une période de pénurie, soit que les Hollandais aient peiné à rivaliser avec leurs concurrents européens plus généreux dans leur négociation. L’on sait en effet que les hommes des Provinces-Unies répugnaient à offrir plus de 200 florins par tête quand leurs concurrents européens en offraient entre 250 et 280. Quoi qu’il en soit, c’est avec un fret de 700 captifs, selon les dires de Jochen Outjes, que le Leusden appareilla finalement d’Elmina le 19 novembre 1737. Fret somme toute classique pour la côte de l’Or, il embarquait également un coffre de 23 kg d’or pour le compte de la Det Vestindisk-Guineiske kompagni ou compagnie royale danoise des Indes occidentales.
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