Essentiels à la vie sur Terre, les océans produisent 50 % de l’oxygène que nous respirons, assurent la sécurité alimentaire de millions de personnes et sont un allié déterminant pour lutter contre les changements climatiques. Il est essentiel et urgent de les protéger contre les nombreuses menaces qui les fragilisent : surpêche, pollution par le plastique, extractions minières, forages pétroliers… Leur protection dépend aussi de l’action et de la volonté des gouvernements. 

Une crise de la biodiversité, mais aussi une crise du climat

Les océans connaissent une crise de la biodiversité qui se traduit par un déclin des ressources marines, une situation de surpêche massive et par l’effondrement des écosystèmes les plus vulnérables, tels que les récifs coralliens et les mangroves qui sont pourtant des zones essentielles de reproduction ou d’alimentation. Cette crise est aggravée par les pollutions plastiques, l’urbanisation des littoraux, l’intensification du trafic maritime ou encore l’exploitation off-shore du pétrole. En d’autres termes, ce sont les activités humaines à terre et l’industrialisation des mers qui sont à l’origine du déclin de la biodiversité marine.

La crise des océans est intimement liée à la crise du climat. Les océans ont un rôle clef dans l’ensemble du système climatique de la planète. Ils absorbent non seulement une partie importante de la chaleur, mais aussi près de la moitié du CO2 soit par dissolution, c’est la pompe à carbone physique ; soit par la photosynthèse, par stockage dans les poissons, les sédiments ou les récifs, c’est la pompe biologique. Les océans sont donc de véritables puits de carbone, et pour tenir ce rôle ils ont besoin d’être en bonne santé, d’avoir des écosystèmes sains et une biodiversité abondante. Soumise à de trop fortes menaces et pressions, nos océans vont assurer de moins en moins efficacement cette fonction, ce qui aggrave le réchauffement global et accélère la perte de biodiversité.
Le réchauffement climatique a également un impact direct sur la faune et la flore marine : il entraine un réchauffement des eaux, une acidification des océans ou encore une diminution de la concentration en oxygène dans l’eau. Les conséquences sont la montée des eaux et donc une menace pour les littoraux, la destruction des récifs coralliens, la baisse de la biomasse des poissons, pour ne citer que ces exemples. Le rapport du GIEC sur les océans, publié en septembre 2019, démontre l’importance de ces liens et des interactions entre océans et réchauffement climatique, et entre biodiversité et climat. L’état des lieux est plus alarmant que jamais : la situation s’aggrave davantage et plus vite que tout ce qui a pu être prévu.

Protéger au moins 30 % des océans

Pour enrayer la crise des océans et restaurer la biodiversité marine, des outils existent et les décideurs politiques doivent faire preuve de volonté pour les mettre en place. Des politiques publiques de conservation doivent être adoptées pour permettre de protéger de vastes espaces, des aires marines protégées (AMP), également appelées réserves marines. En encadrant, en limitant et en interdisant des activités sur un espace déterminé, les AMP sont un outil très efficace pour protéger les écosystèmes et les habitats. En effet, si elles sont bien gérées, les AMP permettent de restaurer la biodiversité et des écosystèmes comme les récifs coralliens et les mangroves, les stocks de poissons et ce, bien au-delà de la zone protégée. C’est donc un moyen de lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité.
Aujourd’hui, un consensus s’installe dans la communauté scientifique : il faut protéger au moins 30 % des océans et des écosystèmes. Cette position, soutenue par Greenpeace, a fait l’objet d’une résolution lors du dernier congrès de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) en 2016 et fera l’objet de discussions en vue d’un accord international lors de la prochaine COP de la Convention sur la biodiversité (CBD) fin 2020. En outre, Greenpeace a publié en 2019 un rapport expliquant pourquoi il faut protéger au moins 30 % de notre biodiversité marine et de nos océans, et proposant une méthodologie pour l’identification des zones prioritaires à protéger. Ces réserves marines doivent constituer un réseau représentatif des différents océans et des différents écosystèmes, être cohérent et bien géré.
Actuellement, seule une très petite partie des océans a un statut d’AMP, mais une infime portion est réellement protégée de manière efficace, la volonté politique a jusqu’à présent manqué.
La haute mer, qui correspond aux zones marines situées au-delà des juridictions nationales, est particulièrement menacée, car le droit international ne permet pas d’y mettre en place des mesures de protection. Jusqu’à présent, les activités en mer (pêche, transport maritime, extraction de minerais) ne sont gérées que de manière sectorielle, sans aucune efficacité en termes de conservation ou de protection d’espaces marins. L’exemple de la pêche est édifiant : les organisations régionales de gestion de la pêche (ORGP), censées garantir la durabilité des stocks, ne font que servir les intérêts à court terme des industries des pays développés, et ne sont pas capables d’endiguer la surpêche actuelle, bien au contraire. Ainsi, la haute mer qui représente 43 % de la surface du globe est aujourd’hui un “ Far West ” alors qu’il s’agit d’un véritable patrimoine commun à toute l’humanité.

Pas de traité, pas de réserves marines en haute mer

L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 2017 une résolution sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (BBNJ), et convoqué une conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un traité mondial sur la haute mer. Les négociations se déroulent lors de quatre sessions entre septembre 2018 et mars 2020, mais il est déjà très probable qu’elles se prolongent au-delà.
Les principaux enjeux de ce traité sont la création d’aires marines protégées, le partage des bénéfices des ressources génétiques marines (RGM), les études d’impacts environnementales, mais aussi la gouvernance, les modes de décision, le rôle du comité scientifique ou encore les relations avec les organisations sectorielles, comme les ORGP pour la pêche.
Des sujets souvent très techniques et pour lesquels les enjeux politiques et diplomatiques sont aussi importants. Un certain nombre de pays comme la Russie, l’Islande, la Norvège ou la Chine sont hostiles au multilatéralisme et à la conservation. D’autres pays refusent tout partage des bénéfices des possibles ressources génétiques en haute mer, alors que le G77, qui regroupe des pays en voie de développement, est très attaché à ce partage des bénéfices et aux transferts de compétences. L’Union européenne est quant à elle en faveur du traité, mais avec des États membres qui défendent des intérêts sectoriels, comme l’Espagne et la pêche ou l’Allemagne qui défend son industrie de la chimie.
Après les trois premières sessions de négociations, toutes les options sont encore sur la table y compris les plus ambitieuses. Le risque lors des négociations finales est que la recherche d’un accord à tout prix vide de son contenu le traité.
Ces négociations n’aboutiront à un accord ambitieux que si les décideurs politiques s’en emparent, comme cela a été le cas lors des négociations sur le climat et l’accord de Paris.

La France et les océans : effet d’annonce et greenwashing ou véritable volonté de conservation et de protection ?

La France se positionne plutôt en faveur d’un traité mondial sur les océans assez ambitieux, mais qu’en sera-t-il quand les négociations vont se durcir ? Pour Greenpeace, le sujet doit être porté au plus haut niveau du gouvernement et de l’État. En effet, le chef de l’État est souvent assez ambivalent sur les sujets environnementaux, entre des déclarations et une posture sur la scène internationale apparemment très volontariste sur des sujets comme le climat et les océans, et des décisions concrètes au niveau national qui sont en contradiction avec cet affichage.

Le niveau de protection des AMP illustre bien cette situation. En mai 2019, Emmanuel Macron a annoncé l’objectif d’avoir 30 % des eaux françaises bénéficiant d’un statut de protection d’ici 2022. Un chiffre qui semble aller au-delà des 30 % de protection d’ici à 2030 prévus dans les discussions internationales. Cependant, seul un niveau de protection élevé ou intégral permet aux AMP de protéger réellement les écosystèmes, comme cela a été confirmé dans une résolution de l’UICN et par la publication d’articles scientifiques. Les AMP “ à la française ” ne proposent pas ce niveau de protection : l’accent est mis sur la concertation entre les usagers et la cogestion, plutôt que sur la conservation. Résultat : sur les 22 % d’AMP dans les eaux françaises, seul à peine 1 % est réellement protégé. Sans tenir compte des niveaux de protection nécessaire pour protéger la biodiversité et le climat, l’objectif annoncé par le président Macron n’est qu’un simple effet d’annonce.
En 2020, Emmanuel Macron a le choix entre un volontarisme politique international en faveur de la protection des océans ou de continuer dans la posture de façade et de greenwashing. Le calendrier politique international est bien rempli : entre les négociations sur le traité mondial sur la haute mer et l’objectif d’un accord international pour arriver à 30 % de protection des océans d’ici à 2030, la France aura l’occasion de prouver la sincérité de ses déclarations.
De même, au niveau national, le niveau de protection qui sera retenu pour la stratégie nationale des AMP sera le test. Il sera très difficile pour le gouvernement d’arriver au congrès international de l’UICN à Marseille en juillet 2020 avec des engagements de façade, aucune ambition en termes de réelle protection et en tournant le dos à la science. L’enjeu n’est pas de pouvoir afficher sur des cartes des surfaces vides de contenu pour faire bonne figure, mais bien de prendre les décisions politiques au niveau national et international pour mettre fin à l’effondrement de la biodiversité et au changement climatique.

Texte de François Chartier, chargé de campagne “Océans pour Greenpeace”.
Photos Paul Hilton, Nick Cobbing