Développer des techniques douces de travaux en rivière, tel est l’objectif du projet « PROTÉGER », porté par le Parc national de la Guadeloupe, pour améliorer la gestion des milieux aquatiques de ce territoire soumis à des inondations de plus en plus fréquentes. Et de plus en plus violentes.

29 avril 2022. Des pluies torrentielles s’abattent sur le centre de la Guadeloupe, entraînant un mort et un disparu et causant des dégâts matériels colossaux. Les taux de précipitation ont atteint des niveaux records, presque centennaux par endroits, et pris au dépourvu la population en plein « carême », une saison où les pluies de cette envergure ne sont pas attendues.
L’état de catastrophe naturelle a été déclaré quelques jours plus tard pour les communes les plus touchées : Les Abymes, Gosier, Morne-à-l’Eau et Pointe-à-Pitre, sous-préfecture de la Guadeloupe, bâtie sur d’anciens marais. Un habitant constate les dégâts le lendemain matin et déclare avec fatalité : « Les maisons ne sont pas construites au bon endroit, ici, c’est le chemin de l’eau ».

P.A.P.I. & le territoire des « Grands-Fonds »

Pour faire face à ces problématiques, un Programme d’Actions de Prévention des Inondations (PAPI) est piloté depuis 2016 par la communauté d’agglomération de Cap Excellence sur le territoire des « Grands-Fonds », en partenariat avec les 6 communes concernées et les services de l’État. Ce programme vise à mettre en place une stratégie de gestion globale des risques inondation, à l’échelle des bassins versants de la zone.
Claire Meillarec, chargée de mission « risque Inondation » à Cap Excellence nous explique : « Le PAPI est un outil qui vise à articuler plusieurs champs de compétences – risque inondation, urbanisme, aménagement, route, préservation des milieux naturels, gestion de crise… – et à coordonner un ensemble d’acteurs autour d’un objectif commun. Les principales actions menées jusqu’ici ont notamment permis d’améliorer la connaissance des dynamiques des inondations et de les modéliser. Nous avons alors pu réaliser un diagnostic de vulnérabilité du territoire, et proposer plusieurs scénarios d’aménagement hydraulique pour réduire l’aléa ».
Dans la démarche PAPI, les ouvrages de protection hydrauliques envisagés sont évalués selon une analyse multicritères coût-bénéfice et, en Guadeloupe, un seul nouvel ouvrage de protection sera réalisé dans les années à venir. Les autres actions qui seront mises en place viseront à réduire la vulnérabilité des sites les plus à risque et à sensibiliser les populations.

Difficile de s’approprier les compétences

Sur le reste du territoire, les démarches de prévention des inondations sont moins engagées et les collectivités peinent à s’approprier la compétence « Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » transférée de la Région il y a quelques années déjà.
Indissociable de la prévention des inondations, la gestion des milieux aquatiques est un des domaines d’action du Parc national de la Guadeloupe qui s’est engagé depuis 2016 pour le développement du « génie végétal » sur les berges de rivière.
Le « génie végétal » consiste à réaliser des ouvrages en utilisant uniquement des végétaux comme matériau de construction, en lieu et place d’enrochement ou de béton. Ces techniques servent notamment pour lutter contre l’érosion des berges.
Le génie végétal présente des avantages en termes de préservation de l’environnement : le lien entre le milieu terrestre et le milieu aquatique est maintenu, la biodiversité des écosystèmes est accrue, l’artificialisation des sols est diminuée. En termes techniques, les ouvrages sont souples et adaptables, plus résilients, ils peuvent s’intégrer à des aménagements dans des contextes très différents, et leur résistance augmente avec le temps.
Pour développer ces techniques, le Parc national a mis en place un projet pensé sur près d’une dizaine d’années : le projet « PROTÉGER, pour la promotion et le développement des techniques de génie végétal sur les berges de rivières de Guadeloupe ». Entre 2016 et 2018, un inventaire massif des rivières a été réalisé pour améliorer la connaissance des « ripisylves », les forêts qui bordent les cours d’eau. Cette étude a mis en avant l’état de dégradation alarmant des rivières sur leurs parties aval (présence de déchets sur 2/3 des sites recensés et d’espèces exotiques envahissantes sur 3/4 des berges). Sur la base de ces inventaires, une première liste de 40 espèces « à potentiel » pour réaliser des ouvrages en génie végétal a pu être établie.
En 2019, le Parc national s’est alors associé à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), et à l’Université des Antilles pour poursuivre la « phase 2 » du projet. Basée sur la liste d’espèces préétablie, les travaux des années 2019 à 2022 ont cherché à étudier la possibilité d’utiliser ces espèces locales pour réaliser des chantiers de confortement de berges de rivière, en génie végétal.

Le génie végétal et ses avantages

Régis Tournebize, ingénieur d’étude à l’INRAE se rappelle : « Ce qui nous a attirés au départ sur ce projet, c’est que nous assistons de plus en plus à une disparition des terres agricoles le long des berges, à cause des phénomènes d’érosion. L’idée de stabiliser de façon végétale les rives nous a séduits, car cela permettait de renforcer la biodiversité du terrain agricole à proximité. L’INRAE a apporté son expertise sur la culture en milieu tropical, et a garanti la mise en place d’expérimentations scientifiques de qualité dans des conditions qui se rapprochent de celles des futurs chantiers. »
Au terme des 3 années de travaux, une liste d’espèces locales d’arbres, d’arbustes et d’herbacées à utiliser dans des ouvrages de génie végétal a été publiée, et le Parc national confirme aujourd’hui qu’il est possible de faire du génie végétal sur les berges des rivières de Guadeloupe, et des Petites Antilles, avec des espèces indigènes.
Parmi les espèces d’arbres utilisables, le bois carré (Citharexylon spinosum) est particulièrement remarquable. Petit arbre des milieux ouverts aux fortes capacités de bouturage, il est capable de s’adapter aux différents contextes écologiques de l’île. Pour les arbustes, certaines espèces de « queue de rat » (par exemple le Piper dilatatum), petites plantes de la famille des pipéracées, cousines du poivrier, seront utilisées. Très communes en Guadeloupe, ces espèces pionnières sont naturellement présentes en bord de cours d’eau et dans les milieux dégradés. Pour les herbacées, les espèces rampantes à la croissance rapide telles que le curage (Commelina diffusa) ou l’herbe soleil (Sphagneticola trilobata) établiront rapidement un tapis végétal qui empêchera l’installation d’espèces exotiques envahissantes sur les sites des futurs chantiers.
Dans le cadre de ce projet « PROTÉGER », une expertise a d’ailleurs été apportée à la Région Guadeloupe qui réalisera les premiers chantiers pilotes en utilisant ces techniques. Un premier ouvrage d’une centaine de mètres linéaires sera initié d’ici la fin de l’année sur les berges de la rivière Lézarde, dans la commune de Petit-Bourg.
« Nous cherchons à proposer des techniques plus durables pour les pratiques d’intervention en rivière, pour mieux prendre en compte les mouvements, les dynamiques, l’hydromorphologie des rivières, plutôt que faire des interventions qui risqueraient d’entraîner encore plus d’érosion en aval, à l’échelle du bassin versant », précise Sophie Kanor, cheffe du service Protection du littoral et des rivières à la Région Guadeloupe.
L’utilisation du génie végétal devrait donc se concrétiser prochainement sur l’île, même si certaines problématiques restent à élucider pour garantir le bon développement de ces techniques. Il sera notamment nécessaire d’accompagner les différents acteurs du territoire (pépiniéristes, bureaux d’études, entreprises de génie civil, décideurs) pour qu’ils s’approprient ces nouveaux savoirs.
Il ne « reste ainsi qu’à » diffuser largement les résultats et connaissances développées depuis 2016, pour faire du projet « PROTéGer » une solution concrète fondée sur la nature pour lutter contre l’érosion des berges de rivière, dans un contexte de changement climatique toujours plus prégnant sur l’archipel Guadeloupéen.

Lucie Labbouz

Pour en savoir plus sur le projet « PROTÉGER » :
https://genie-vegetal-caraibe.org
Pour en savoir plus sur le PAPI des Grands Fonds :
https://papidesgrandsfonds.fr/