Cet article est extrait du n°04 de Boukan, actuellement en kiosque

Constitué au précambrien, le Plateau des Guyanes est un vaste et exceptionnel territoire d’1,8 million de km2 : de très hauts plateaux aux contours particulièrement abrupts, une riche biodiversité animale et végétale, des forêts tropicales denses et humides. Six pays se partagent la souveraineté de cette immense “ île ”, considérée comme l’un des plus grands réservoirs d’eau douce du continent sud-américain. Face aux diverses menaces dont l’exploitation de l’or, une coopération régionale impliquant institutions locales, populations, ONG et parc nationaux se structure..

C’est un trésor légué par les temps anciens, aussi vaste que la forêt du bassin du Congo. “Le plateau des Guyanes” ou “Bouclier des Guyanes” s’étend sur six pays sud-américains et 1,8 million de km2 : le Venezuela, le Guyana, le Suriname, la Guyane française, le nord du Brésil et la Colombie.
Moins médiatisé que la partie méridionale de l’Amazonie, le Plateau des Guyanes, véritable île continentale coincée entre les fleuves Orénoque et Amazone, héberge pourtant l’une des plus grandes forêts tropicales au monde. La nécessité de mieux connaître sa faune, sa flore, ses écosystèmes, pour mieux les protéger, a incité scientifiques, institutions et organisations non gouvernementales (ONG) à coopérer au début des années 1990. Très vite, l’Europe, le Commonwealth et les Nations unies s’inviteront aussi aux côtés des décideurs. En 1993, le Guiana shield initiative (GSI) naît lors d’une table ronde européenne portant sur l’avenir du Plateau des Guyanes. Plus récemment, l’ONU a manifesté son intérêt en intervenant sur des mécanismes de financement pour la conservation et le développement durable. Avant cela, les six nations signaient en 2002, dans la capitale surinamaise, la “ déclaration de Paramaribo ”, comprenant vingt engagements en faveur des programmes de recherche scientifique et de préservation des écosystèmes.

Emancipé de la couronne britannique en 1966, le Guyana, a officialisé la première “ aire protégée ” dès 1929 avec le Kaieteur National Park. Dans ce pays, toutes les aires protégées sont gérées par la Commission des aires protégées, une institution gouvernementale sous la tutelle de la Présidence. La prise en compte de l’existence antérieure de terres ancestrales étant cruciale, les représentants autochtones siègent aussi dans les comités décisionnels. « Les droits des populations autochtones sont protégés ce qui leur permet de conserver leurs modes de vie traditionnels » souligne Sevahnee Pyneeandy, coordinatrice du programme de coopération régionale Renforesap au Parc amazonien de Guyane.
La mise en place d’aires protégées est une première étape dans la concrétisation de l’engagement des Etats à protéger cette fantastique éco-région, lieu de vie de 8 millions d’habitants et immense réservoir d’eau douce et de carbone.
Mais force est de constater que le principal défi réside dans cette souveraineté partagée par six Etats, aux visions et actions hétérogènes rendant difficile la concrétisation d’un corridor écologique de grande envergure. Défi d’autant plus délicat que l’histoire des Guyanes est émaillée de contestés frontaliers : pas de frontière terrestre entre le Venezuela et le Guyana, de fortes tensions entre le Suriname et le Guyana, et des difficultés diplomatiques actuelles entre la Guyane et le Suriname sur le moyen et le haut Maroni…
Malgré le renforcement des initiatives il y a vingt ans et de réelles avancées scientifiques, la prise d’engagements forts (comme la constitution du corridor de conservation Sud au Suriname, un projet de l’ONG Conservation International qui avait pour projet de mettre en protection 40 % du Suriname soit 7,2 millions d’hectares avec l’implication des communautés autochtones) et la constitution d’un réseau transnational manquent toujours, sans doute par le manque d’appui politique de long terme et de structures régionales facilitatrices.

Pour lever les freins, un programme triennal a vu le jour en 2018 entre la Guyane, le Guyana et le Suriname. Le programme “Renforesap”, porte l’objectif de “ renforcer ” la mise en réseau des aires protégées de ces trois Etats sur des thématiques précises que sont la transmission du patrimoine culturel vivant, l’écotourisme, la gestion de la biodiversité et des ressources naturelles à travers les sciences participatives et les stratégies de lutte contre l’orpaillage illégal.

La coopération passe également par les réseaux d’ONG internationales, aux côtés des institutions de la région. Dans la continuité du projet REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation) qui visait à développer la capacité des nations dans le suivi de la déforestation à travers d’un système de crédit carbone, le bureau du WWF-France à Cayenne a ainsi initié dès 2017 le projet d’“Observatoire des services écosystémiques du plateau des Guyanes ” (Ecoseo) au Guyana, au Suriname, en Guyane et dans l’état de l’Amapá au nord Brésil, en collaboration avec les services forestiers nationaux. L’objectif est d’étendre cette capacité d’évaluation, de suivi et de préservation à tout ce qui constitue le “ capital naturel ” de la région : biodiversité, stocks de carbone, eau douce potentiellement disponible, etc.

Un capital naturel menacé par les chercheurs d’or

Car malheureusement la plupart des aires protégées des Guyanes sont en proie aux ravages causés par les trafiquants d’or et de bois et par l’activité minière autorisée comme clandestine. « Au Suriname jusqu’en 2016, l’armée et les forces de police surveillaient régulièrement la zone autour du Parc national de Brownsberg situé à 2 h de route de Paramaribo mais celle-ci a été interrompue par manque de ressources financières » expose Roy Ho Tsoi, chef du service Conservation au ministère de la Planification spatiale. En Guyane, les opérations françaises de lutte contre l’orpaillage illégal permettent difficilement de juguler le phénomène. « Très souvent, les sites illégaux sont distants entre eux et sont cachés sous un dense couvert forestier ce qui complique les actions et suivis d’impacts. Et dans la plupart des cas, les orpailleurs reviennent sur les lieux après l’intervention des forces armées, ce qui rend difficile la fermeture pérenne de ces sites » regrette Arnaud Anselin, directeur adjoint du Parc amazonien.

A cela s’ajoute les défaillances du code minier, en France comme dans les pays voisins. Au Suriname par exemple, où l’activité minière artisanale est répandue, « la législation minière est obsolète et les règles environnementales ou sanitaires sont limitées » déplore Valérie Lalji, secrétaire adjointe au ministère des Ressources naturelles. « Les sanctions existantes sont sévères, néanmoins, les orpailleurs pris en flagrant délit d’activité illégale peuvent récupérer leur équipement sous conditions. Un projet est notamment en cours pour former les orpailleurs artisanaux à l’utilisation d’équipements respectueux de l’environnement » précise-t-elle.

Selon les premiers résultats issus du programme Ecoseo coordonné par le réseau WWF, 215 000 hectares de forêts et de lits de cours d’eau ont été détruits par les exploitants d’or légaux et illégaux ces trente dernières années, en particulier au cours de la dernière décennie pendant laquelle la superficie touchée a été multipliée par trois.

Déforestation due à l’exploitation aurifère  sur le Plateau des Guyanes (2018)

Déforestation due à l’exploitation aurifère
sur le Plateau des Guyanes (2018)

L’augmentation a toutefois suivi des dynamiques assez différentes selon les territoires. La poussée 2008-2018 (+ 145 000 ha) est particulièrement inquiétante dans la partie occidentale du Plateau des Guyanes 61 % ayant eu lieu au Guyana, 32 % au Suriname, 5 % en Guyane et 2 % en Amapá. Les niveaux impacts s’expliquent également par la défaillance des mesures coercitives et de surveillance. Par exemple, en ce qui concerne la pollution des cours d’eau, il faut noter que si le mercure est interdit en Guyane depuis 2006, ce neurotoxique puissant est encore très couramment employé au Suriname et au Guyana.

La nécessaire intégration des populations

En ce qui concerne l’orpaillage, lorsque celui-ci inclut les populations forestières et fluviales, l’un des meilleurs moyens de lutte réside en l’émergence d’économies alternatives. Plus généralement, les actions de préservation du milieu ne peuvent être envisagées sans les populations. Cela suppose donc de les intégrer à tous les étages décisionnels.

Au Suriname, « les communautés ont le droit de tirer un usage traditionnel des ressources naturelles dans les aires protégées. Elles jouent aussi un rôle important dans la conservation de la nature en raison de leurs connaissances » explique Rudi Van Kanten, de Tropenbos Suriname, une ONG nationale qui fait partie du réseau néerlandais Tropenbos. Malgré tout, M. Van Kanten déplore que les premiers concernés ne soient pas impliqués dans les comités de gestion.
En revanche, dans la réserve forestière d’Iwokrama au Guyana, sur lequel se superpose un espace de recherche et de développement « les enfants intègrent dès l’âge de six ans des associations pour l’observation des oiseaux, le suivi de la pluviométrie et la phénologie des plantes » détaille Michael Williams, conseiller spécial du village Annaï, de la communauté Makushi. A terme, ces jeunes sachants sont consultés par les conseils de villages. Plus généralement, « ces dernières années, la forêt d’Iwokrama a ainsi servi de plateforme pour établir des réseaux entre les communautés et les organisations qui travaillent en partenariat pour soutenir et financer le développement de divers projets », retient le Dr. Deirdre Jafferally, du Darwin initiative Project.
Le manque d’implication des communautés constitue un des défis communs de la Guyane, du Guyana et du Suriname. « Ainsi lors des rencontres à Lethem, au sud du Guyana pour des ateliers Renforesap autour de la transmission des patrimoines culturels vivants, il a été souligné que les supports et outils de communication devraient être disponibles dans les langues natives pour une plus grande efficacité » constate Sevahnee Pyneeandy.
Devant ces nombreux défis, la forêt du plateau des Guyanes restera-t-elle un des espaces naturels les plus préservés de la planète ? Il faudra relever le challenge d’une coopération entre des Etats aux gestions et aux cultures différentes, et d’une intégration des cultures et des langues locales ou des langues amérindiennes et afro-guyanaises ou noirs marrons. La crise Covid-19, qui complexifie encore les communications entre Etats, donne plus d’espace à l’orpaillage illégal. Face à ces enjeux de conservation, il n’a jamais été aussi urgent pour les Guyanes de dialoguer et de consolider ces nombreuses initiatives.

Texte par Parc amazonien de Guyane, rédaction de Boukan, avec contributions du WWF-France, bureau Guyane.
Photos P-O Jay 97PX, Arnaud Anselin, Pascal Assakia – PAG.